U.S.A. : 42e Parallèle - L'An premier du siècle - La Grosse galette de John Dos Passos

U.S.A. : 42e Parallèle - L'An premier du siècle - La Grosse galette de John Dos Passos

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Benoit, le 25 mai 2004 (Rouen, Inscrit le 10 mai 2004, 43 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (23 249ème position).
Visites : 5 256  (depuis Novembre 2007)

Le Rêve Américain...

Ce roman (en fait une trilogie) nous plonge dans l’Amérique du début du siècle où l'avenir reste ouvert à tout le monde. Cependant, ce tableau idyllique est obscurci par les contrastes de la société américaine d'alors (d'aujourd'hui?) : grande richesse des patrons industriels et grande misère du peuple ouvrier agité de soubresauts révolutionnaires.
Mais il y est aussi question de la guerre (la première guerre mondiale) dans toutes ses horreurs.
Pour nous faire vivre tout ceci (et Dos Passos sait de quoi il parle car une partie du livre est autobiographique), on suit plusieurs personnages auxquels sont consacrés des chapitres entiers. On peut observer leur évolution aussi bien sociale que spirituelle, ce qui fait qu'ils sont extrêmement attachants. Et ce qui fait l’originalité de ce livre c'est que chaque chapitre est séparé du suivant par des articles de journaux, des chansons d’époque qui nous permettent de mieux nous représenter cette époque.
Enfin, certains chapitres sont des biographies de personnages célèbres qui, là encore, nous permettent de mieux nous plonger dans l’atmosphère de l’époque.
Bref, il s'agit d'un roman complet, captivant, qu'on lit avec envie du début jusqu’à la fin et qui nous présente une période méconnue de l'histoire des Etats-Unis.

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Trilogie

9 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 15 décembre 2014

« U.S.A. » est une trilogie : « 42e Parallèle », « 1919 » et « La grosse galette ». Trois gros romans écrits entre 1927 et 1936, parus aux Etats Unis respectivement en 1930, 1932 et 1936 - encore est-il bon de préciser que certaines éditions ont titré pour le second épisode (« 1919 ») ; « L’An premier du siècle » ?
«En France, Dos Passos est devenu l’homme d’un seul livre : Manhattan Transfer, paru en 1925 et traduit aux Editions Gallimard dès 1928. Quant à sa réputation, elle s’est faite sur un seul article, on pourrait presque dire sur une seule phrase, qui concluait cet article : « Je tiens Dos Passos pour le plus grand écrivain de notre temps ». Signé : Jean-Paul Sartre. Or le roman qui vaut à Dos Passos ce passeport pour le Panthéon n’est pas « Manhattan Transfer », mais bien « 1919 », le second volet du triptyque « U.S.A. ».

Quel est le moteur de ce triptyque ?

« Car telle est bien l’ambition de Dos Passos, lorsqu’il ouvre l’immense chantier d’où sortira « U.S.A. » : brosser un tableau d’histoire sans équivalent dans la littérature américaine. Rien moins que la généalogie du « siècle américain » …/…
Son premier exploit est en effet de réconcilier, à travers l’invention d’une forme, ces faux jumeaux sortis du même œuf. Roman, histoire : Dos Passos a la passion de l’un et de l’autre. Une pulsion historienne vibre dans toute son œuvre. …/…
Mais quels sont ces murs le long desquels Dos Passos dresse son échafaudage ? 1898 – 1927 : cette chronologie n’a pas beaucoup de sens pour un Européen. Même sous-titrée « de la guerre contre l’Espagne à l’exécution de Sacco et Vanzetti », elle ne nous parle guère. C’est pourtant la chronologie d’une suprématie annoncée. Trente ans qui ébranlèrent l’Amérique. Trente ans qui la mirent en branle, non plus pour la conquête de l’Ouest, mais pour celle du monde. »


Des prémices de la guerre européenne de 1914 – 1918 à celle-ci, que les USA regarderont d’abord de loin, se frottant les mains des affaires de ventes d’équipements faites aux divers belligérants - alors les « rois du monde » - et prenant très vite conscience que cette guerre est leur chance de passer devant, de s’imposer économiquement dans le monde. Puis l’après-guerre, les casinos boursiers où des fortunes se font et se défont plus vite que le temps de le dire. C’est tout cet ensemble que nous raconte John Dos Passos avec une prescience que, pour ma part, je trouve étonnante.
Cela fait écho, cela dit, avec un autre auteur américain, Gore Vidal, et je pense à un ouvrage en particulier : « Hollywood ». J’écrivais ceci dans sa critique :
« Un pavé du calibre de "Belle du seigneur", d’Albert Cohen, plein d’intelligence et de lucidité sur ce qu’allait devenir l’Amérique au sortir de la Guerre 14 – 18 (en même temps, il l’a écrit en 1989!) mais surtout – ainsi que le suggère le titre, "Hollywood" - l’influence qu’allait représenter la montée en puissance du cinéma (Gore Vidal ne parle pas encore de télévision qui, à l’instar d’une bombe à fragmentations, démultiplie encore le problème) sur la manipulation et la fabrication de l’opinion publique – au moins américaine.

Pas didactique pour un sou, "Hollywood" (le roman) commence en 1916, au moment où l’Amérique – ses gouvernants, puisque Gore Vidal montre bien la mascarade de démocratie du système américain – danse d’un pied sur l’autre pour savoir s’il faut, ou non, intervenir en Europe, alors que l’Allemagne, la France, la Grande Bretagne ont déjà des millions de morts, pour pacifier l’Europe – rafler la mise, notamment économique via l’effort de guerre. »


Oui, la conscience de ce tournant fondamental pour l’équilibre du monde est bien conscientisé chez nos amis américains mais la maturité de John Dos Passos est remarquable. Lui, c’est dans les années 30 qu’il a écrit « U.S.A. ». « Hollywood », de Gore Vidal, date de 1989 !
Une autre réminiscence de lecture qui m’est venue à l’esprit – et qui pourtant sur la forme n’a rien à voir ! – c’est l’ouvrage « Le capital au XXIème siécle », de Thomas Piketty, qui décrit lui la prise du pouvoir économique mondial par les Américains dans ces année - là sur des critères purement objectifs ; des chiffres. Ou quand l’Histoire entremêlée au roman rejoint une pure analyse économique !
Sur la forme, c’est là encore d’une inventivité et d’un modernisme étonnants. John Dos Passos cherche – et parvient – à créer l’illusion de la vitesse et du tournis donnés par des informations télévisuelles par la forme qu’il adopte. Les trois romans sont construits de la même manière. Un peu – si j’ose la comparaison – un pâté en croûte dans lequel on aurait inséré des morceaux de foie gras. Le pâté lui-même ce sont les chroniques, d’une trentaine de pages, consacrées à un personnage ciblé qu’on va suivre sur un évènement court ou sur une période plus longue, qui pourra revenir plus tard, ou croiser, encore plus loin, un autre personnage dans une autre chronique. Ces chroniques – littéralement la chair de ces trois romans - sont titrées du nom du personnage.
La croûte, ce serait les « Actualités », qui enrobent chacune des chroniques, sur 2 – 3 pages, écrites de manière déstructurée ; des gros titres en caractères d’imprimerie, des commentaires, en italique, qui n’ont pas, ou lointain alors, rapport avec le titre précédent. John Dos Passos a sans conteste voulu recréer l’impression de survol qu’on peut avoir en survolant un journal et ses gros titres. Mais l’effet de « zapping » généré par ces passages du coq à l’âne évoque terriblement la télévision et des propres « actualités ».
Et les morceaux de foie gras alors, ce seraient les passages intitulés « L’œil-caméra » (là, l’intention est clairement affichée !), pour le coup complètement déstructurés, commençant au milieu d’une phrase, se terminant en cours de ligne par un blanc et continuant sur un autre sujet, apparemment du moins car, en fait, l’impression finale générée a du sens. Comme un sens poétique. Ca fait penser à certaines techniques d’Apollinaire, me semble-t-il, mais je n’irai pas plus loin n’ayant jamais approfondi Apollinaire.
Au bout du bout, la trilogie terminée, on a l’impression de sortir d’une essoreuse à nouvelles tant, avec ces récits éclatés, ces personnages multiples, qu’on suit ou qui disparaissent (on ne sait même plus), on a été baladé dans tous les sens.
Mais au bout du bout du bout, à l’instar d’un tableau impressionniste, un sentiment d’ensemble se dégage au milieu du fouillis. John Dos Passos nous a bien emmenés là où il voulait nous emmener. Il nous a pris par la main après nous avoir bandé les yeux !

« U.S.A. » lance des personnages à la surface de l’Amérique et Dos Passos suit leurs rebonds. Certains, mal partis dans la vie, coulent vite et à fond. D’autres plongent et réémergent tout au long des trois romans. Ecrire l’histoire en écrivant leurs histoires est un art qui s’apparente à celui des ricochets. »

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