Le Roi des Aulnes de Michel Tournier

Le Roi des Aulnes de Michel Tournier

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Jules, le 19 mai 2004 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 11 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (3 318ème position).
Visites : 20 335  (depuis Novembre 2007)

Un être perdu dans un univers absurde

Comment résister à un livre dans lequel vous lisez déjà à la première page deux phrases comme celles-ci : « Je crois aussi que je suis issu de la nuit des temps. J’ai toujours été scandalisé de la légèreté des hommes qui s’inquiètent passionnément de ce qui les attend après leur mort, et se soucient comme d’une guigne de ce qu’il en était d’eux avant leur naissance. L’en deçà vaut bien l’au-delà, d’autant plus qu’il en détient probablement la clé. »

Abel Tiffauges va nous raconter son histoire assez incroyable et qui va nous mener très loin, dans les tréfonds de l’âme humaine. Un être un peu à part que cet Abel qui se décrit comme laid et chétif quand il était petit. Mais il se demande surtout s’il n’est pas fou !

Il nous écrit son journal, estimant que là se trouve son seul moyen de s’exprimer. La guerre éclate et Abel Tiffauges va s’engager dans les troupes de l’occupant. Commence alors pour lui une époque très dure, mais aussi très trouble de sa vie. Longtemps il va errer dans le fond des forêts allemandes, parmi les animaux sauvages et les brumes qui rendent le monde et l’âme flous.

Au bout du chemin, l’absurde ! Mais Tiffauges réfléchit beaucoup et ces réflexions partent dans toutes les directions, cela va du meilleur au pire, mais souvent au pire, comme ici : « Pour nous, tout est dans le bagage héréditaire, transmis de génération en génération selon des lois connues et inflexibles. Le mauvais sang n’est ni améliorable ni éducable ; le seul traitement dont il est justiciable est une destruction pure et simple. »

A mes yeux, Michel Tournier signe ici un de ses meilleurs livres. Il est dur et poétique par moment. Il est critique, lucide et parfois pitoyable. A l’image d’Abel Tiffauges, personnage de roman que l’on n’oubliera jamais après avoir lu ce livre.

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Un Goncourt très particulier

5 étoiles

Critique de Sundernono (Nice, Inscrit le 21 février 2011, 41 ans) - 26 mars 2024

Lauréat du prix Goncourt 1970, Le roi des Aulnes est un roman assez étrange de par son atmosphère mais aussi et surtout de par son personnage principal au comportement assez troublant.
De ma vie de lecteur rarement un personnage n’aura suscité aussi peu d’empathie au lecteur que je suis. A de nombreuses reprises j’ai été plus que gêné par ce drôle de géant, véritable force de la nature, étrangement attiré par la jeunesse, taiseux, timoré tout en ayant un côté mégalomane.
Bref, un personnage principal très particulier dont j’ai déjà oublié le nom quelques semaines après avoir terminé cette lecture, c’est dire…
A cela s’ajoute une entrée en matière particulièrement longue et monotone. Il m'aura fallu énormément de temps pour enfin rentrer dans l'histoire : pas moins de 150 pages pour enfin trouver un peu d’intérêt à cette lecture tortueuse et déroutante.
Néanmoins, une fois ce cap franchi, l’histoire prend enfin son envol et l’on suit avec une certain intérêt le parcours bigarré de notre drôle de golgoth. Un roman qui nous fera passé par de nombreux paysages sur fond de seconde guerre mondiale.
Clairement le roi des Aulnes fut une lecture étrange, particulière, difficilement définissable mais qui laissera des traces non pas pour son personnage principal mais pour l’histoire qui nous est narrée et surtout l’ambiance dans laquelle baigne ce roman.

Abel Tiffauges, ogre phorique

8 étoiles

Critique de Elko (Niort, Inscrit le 23 mars 2010, 48 ans) - 12 mars 2023

Abel Tiffauges est un être à part. Par nature et par choix. Il sait qu’il a un destin et que même la marche du monde peut s’infléchir pour sa réalisation. Jusqu’à provoquer une guerre pour le soustraire à la justice. Et c’est ainsi qu’il s’accomplira en passant par la ligne Maginot, les camps de concentration, la réserve de chasse de Göring en Prusse orientale et enfin l’école militaire nazie de Kaltenborn.

Michel Tournier a créé un personnage littéraire d’une grande densité. Animé d’une réflexion théoricienne profondément enracinée dans une enfance tourmentée, doté d’un physique hors norme, il pèse de tout son poids dans ce roman. Parfois inquiétant, parfois dérangeant, parfois déconcertant, il suit une crête à la limite de la folie. A la limite du crime. Une manière de Lennie Small métaphysicien.

Dans le fond des choses

8 étoiles

Critique de Krys (France-Suisse, Inscrite le 15 mars 2010, - ans) - 3 octobre 2021

Ce roman m'a dérangée, interrogée, bouleversée. Tout le but d'une oeuvre d'art non ? Tournier a vraiment développé à fond son personnage principal, et c'est avec passion que l'on suit ses péripéties. Décors : l'Allemagne nazie, mais ça pourrait finalement être ailleurs et en d'autres temps.
Bienvenue dans l'antre du roi des Aulnes, roman aussi énigmatique que le poème auquel il rend hommage.

Monumental

10 étoiles

Critique de Bookivore (MENUCOURT, Inscrit le 25 juin 2006, 42 ans) - 11 juin 2021

De Tournier, je ne connaissais que "Vendredi ou la vie sauvage", lu dans mon enfance (comme, je pense, pas mal de personnes de ma génération), et le moins que l'on puisse dire, c'est que c'est assez différent de ce "Roi Des Aulnes" qui, il me semble, obtiendra le Goncourt à l'unanimité (le ''il me semble'' est pour le fait qu'il l'ait eu à l'unanimité) et est un des romans les plus forts que j'ai lus de ma vie.
Tournier a réussi l'exploit de nous rendre totalement attachant ce personnage de pédiphore, Abel Tiffauges, au nom si bien trouvé (Abel, le frère sacrifié de Caïn, pour l'innocence ; Tiffauges, nom d'un des châteaux de Gilles de Rais, le Barbe-Bleue historique, pour le côté un peu pervers).
Le roman est parfait de bout en bout, difficilement racontable (le film de Schlöndorff avec John Malkovich était pas mal, mais adapter ce film était quasiment une tentative vouée à l'échec), et on ne parvient pas à le lâcher avant de l'avoir fini. Les écrits sinistres et le passage de l'Ogre de Romintern restent longtemps en mémoire...

L'ogre mélancolique

8 étoiles

Critique de Lafcadio_ (, Inscrit le 13 septembre 2014, 35 ans) - 23 septembre 2014

Prix Goncourt 1970 à l’unanimité, le Roi des Aulnes nous fait suivre le parcours et les pensées d’Abel Tiffauges, personnage complexe et paradoxal, dans une histoire empreinte de symbolisme.

Nous entrons dans le récit par les « écrits sinistres » du héros, sorte de journal intime où il se présente comme un ogre. Il y conte son enfance au pensionnat Saint-Christophe, son amitié d’alors avec Nestor et sa vie actuelle comme garagiste, métier qu’il juge indigne de lui, persuadé d’être appelé à un grand destin. On peut percevoir le début de ses obsessions et concepts si particuliers ; chaque élément de sa vie se révèle être un signe à percevoir, un symbole à déchiffrer, allant de son nom biblique à son intérêt pour l’acte défécatoire jusqu’à cette dérangeante passion pour les enfants. Le début de la seconde guerre mondiale éclatant, sa mobilisation dans l’armée l’entraînera plus en avant vers sa transformation en monstre.
De là, il devient tour à tour colombophile, est fait prisonnier puis devient l’assistant du garde-chasse de Göring. A chaque fois, son caractère si particulier lui permet d’évoluer que ce soit dans les responsabilités qu’on lui donne ou dans sa personnalité propre.
Enfin, l’ogre s’accomplit lorsqu’il est chargé de parcourir les villages à la recherche d’enfants afin de former la future armée du Troisième Reich.

Michel Tournier reprend la légende germanique du Roi des Aulnes, personnage maléfique emportant les enfants vers la mort, à travers le personnage d’Abel, géant d’une force herculéenne, dans une œuvre mélancolique où l’on retrouve des références à d’autres ogres tels que Gilles de Rais ou Barbe-Bleue. Les thèmes bibliques et mythologiques se mêlent à des concepts fortement allégoriques, l’auteur nous offre grâce à un lexique riche, un style parfait et une grande érudition une œuvre forte et complexe inversant les valeurs communes permettant de prendre en compassion cet être inadapté qu’est ce gentil monstre naïf d’Abel, déclenchant l’horreur sur son passage sans pourtant chercher à la provoquer.

"L’une des inversions malignes les plus classiques et les plus meurtrières a donné naissance à l’idée de pureté.
La pureté est l’inversion maligne de l’innocence. L’innocence est amour de l’être, acceptation souriante des nourritures célestes et terrestres, ignorance de l’alternative infernale pureté-impureté. La pureté est horreur de la vie, haine de l’homme, passion morbide du néant."

Déception !

5 étoiles

Critique de Chene (Tours, Inscrit le 8 juillet 2009, 54 ans) - 2 février 2014

Que de déceptions alors que Tournier est un auteur si passionnant. Le principal narrateur, Tiffauge est un personnage trop ambigu pour que l'on s'accroche à lui. Les 180 premières pages n'ont pas grand intérêt. Après le récit est plus intéressant. Cependant, de nombreux passages me sont apparus comme superflus. J'ose le dire, du remplissage (de type une page sur l'énumération des grades dans l'armée allemande, inutile...). J'aime tellement Tournier que, peut-être, j'attendais trop de ce livre.

Exactement le genre de littérature qui ne me touche pas

5 étoiles

Critique de Falgo (Lentilly, Inscrit le 30 mai 2008, 85 ans) - 17 septembre 2011

Je n'avais jamais rien lu de Michel Tournier avant cet essai tardif et malheureux. Un tel amas de références littéraires, philosophiques, mythologiques conduit à une sorte de récit désincarné dans lequel je suis incapable de rentrer. Tout me paraît artificiel, construit sur la base d'une immense et dérisoire érudition. Rien ne me semble humain dans ces personnages fantoches et désincarnés insérés dans une histoire qui sent son fabriqué à plein nez et cela me désole. Où est l'homme dans tout ce fatras compliqué par une évidente recherche de vocabulaire abscons pour faire "intello"?

Difficile et superbe!

9 étoiles

Critique de FightingIntellectual (Montréal, Inscrit le 12 mars 2004, 42 ans) - 12 janvier 2007

Dans toutes ses significations!

Je ne connais pas bien Michel Tournier et doit avouer avoir été séduit par le titre, mais ce roman est empreint d'une mélancolie doucereuse comme il ne s'en fait que très rarement. Paradoxal vous me direz? Et bien Abel Tiffauges l'est, lui, paradoxal.

Gentil géant, homme maternel, érudit idiot. Plusieurs de ces dichotomies décrivent bien Tiffauges ainsi que la kyrielle de situations paradoxales dans lesquelles il se retrouve. Même la narration, s'enchaine génialement d'un narrateur Balzacien, à Tiffauges et ses Écrits Sinistres, sans jamais briser le rythme.

Un superbe roman sur les gens différents, oubliés de la société par leur rôle, rejetés pour leur différences archétypales, sur les mutants émotifs quoi! Sur la manière dont les mythes et légendes donnent à ces 'mutants' une raison de vivre, un système de signes dans lequel se retrouver, peu importe la situation, n'importe que les signes.

A lire!

Une odyssée symbolique

8 étoiles

Critique de Banco (Cergy, Inscrit le 6 août 2004, 42 ans) - 6 août 2004

Odyssée symbolique d'un paria français dans la Prusse Orientale nazifiée, le prix Goncourt 1972 nous entraîne dans une forêt de signes où seul le héros, Abel Tiffauges, semble pouvoir se retrouver


Frustré de tendresse durant son enfance, humilié à l'adolescence, abêti par son métier de garagiste qu'il juge en dessous de lui-même, Abel Tiffauges s'est peu à peu muré dans la haine de la société et des hommes qui l'incarnent sans toutefois se l'avouer. Jusqu'au jour où la perte de sa maîtresse et une blessure à la main droite viennent lui rappeler sa vocation d'ogre prophétisé par son camarade Nestor au collège Saint-Christophe et la secrète alliance de son destin personnel avec le cours des choses. Parce qu'il devait passer ce jour-là en conseil de discipline, il avait fait des vœux pour que le collège soit détruit et l'incendie libérateur avait eu lieu. Lorsque sa quête de chair fraîche l'avait fait tremper dans une affaire de viol qui menaçait de l'envoyer au bagne, la levée en masse de 1939 l'avait envoyé au front. L'incendie a encore lieu. Et l'entraînera de plus en plus profond vers son destin…


Hommage rendu à la mythologie germanique et au Roi des Aulnes de Goethe, le Roi des Aulnes de Tournier est avant tout un hommage rendu au symbole, au mythe, aux signes, aux augures et à la manipulation des signes. Tout est signes, symboles, destin dans la vie d'Abel Tiffauges. Mais les signes ne se laissent pas dompter facilement, ils s'inversent, se travestissent, changent le bien en mal et le mal en bien et se rassemblent en une impénétrable forêt de signes qui garde encore de son mystère longtemps après la lecture du livre. Tournier s'est plu à décrire des jeux de pistes infinis et à nous faire explorer tous les mythes depuis l'école et ses jeux jusqu'à la sexualité non génitale, en passant par la justice, la prison, le sexe, l'ogritude, la chasse, etc. pour en faire un ouvrage qui tient à la fois de la philosophie, du mystère et du scandale…

Prix Goncourt 1970

8 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 19 mai 2004

J'ai lu ce roman après avoir vu le film de Volker Schlöndorff, afin de comprendre toute la complexité de cet étrange personnage principal. Les deux oeuvres ont leurs qualités. La version cinématographique colle au livre de Tournier pratiquement mot pour mot.

Un constat compréhensible après avoir lu ce très beau livre, à l'ambiance froide mais pleine de sensibilité qui ce devait de conserver toute sa dignité. Le portrait de cet homme naïf qui en croyant faire du bien par ses actions, et qui en fait, contribue à bâtir le plus grand cauchemar, est particulièrement troublant.

Un roman très fort et plein de nuances sur les défiances de la nature humaine.


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