Blues Social Club de Lorenzo Cecchi

Blues Social Club de Lorenzo Cecchi

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 21 décembre 2017 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (23 253ème position).
Visites : 3 998 

Coups de blues

Blues Social Club est le sixième ouvrage de Lorenzo Cecchi et son troisième recueil de nouvelles.

"Délit de fuite", la première nouvelle du recueil, se termine par le feu. Avec une chute finale mémorable, au propre comme au figuré... "C’est fini ce boucan ?" s’achève aussi dans les flammes. De ce feu qui efface toute trace réelle, en tout cas, mais pas le souvenir de ce qui a été... La troisième, "La dispute", est le récit d’une passation douce-amère, par l’écriture... La quatrième narre une "apparition miraculeuse", un de ces moments qui marque une vie, fige un destin, entre douleur et enchantement, et duquel on ne se remet jamais vraiment. Comme la dernière aussi, "Le sac à dos", qui assujettit le narrateur à une vision des choses et lui fait voir la vie, le monde, sous cet aspect. Un beau cas de paranoïa.

Le "sac à dos", c’est un peu la part secrète de chacun, ce qu’on imagine d’autrui sans jamais vraiment savoir, ce qui fait qu’on devine l’autre autant qu’on se trompe sur lui, ce qui nous le fait appréhender comme terroriste de nos habitudes de penser.

L’avant-dernière nouvelle nous conte l’histoire des "chats-à-gratter" et plus jamais ils ne taquineront votre gorge sans que vous vous référiez à ce récit... "Maman est morte", nouvelle lapidaire, rapporte aussi un de ces événements dont on ne sort pas, la disparition brutale d’un proche auquel on ne veut et pourra jamais croire.

Ces récits, souvent écrits à la première personne, réduisent la frontière entre fiction et réalité sans verser dans l'autofiction, ils nous disent que ce qu’on croit, rêve, pense des faits est plus important que les faits nus ou bien que ceux-ci ne prennent tout leur sens qu’une fois interprétés, reliés à un « je » et inscrits dans une histoire personnelle, une vision embrassant passé et futur.

Cette collusion entre fiction et réalité est une des marques et constantes de l’écriture cecchienne. Cet art de la narration, qu’il a chevillé au corps et à la plume, qui rend son écriture concise et intense, prend sa source dans son existence même, entre coups de blues et goût immodéré de la vie, entre essoufflement et grandes respirations.

Il y a du John Fante dans la façon d'écrire de Lorenzo Cecchi, ce goût accru de vivre qui met du vif-argent dans l’instant, cette capacité à rendre le quotidien au plus près, au plus fort.

Un de ses personnages récurrents est Vincent, un alter ego, ce double fictif qui l'autorise à toutes les audaces fictionnelles. Lorenzo plante ses récits dans diverses époques de sa vie, après quoi bien sûr il appuie sur la touche "start" de son logiciel imaginatif et ça démarre, ça pétarade, ça l’éloigne loin de tout vécu. Ce qui peut expliquer qu’il emploie parfois le feu pour arrêter ce flux, ce flow qui, sinon, le brûlerait de l’intérieur.

Ce qui donne à la plupart de ses nouvelles ce cachet d’intimité, cette dose accrue de réel, ce shoot de sensations fortes ; ce qui fait qu’une fois la lecture d'un de ses recueils terminée, on en redemande...

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"Allumer le feu"

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 27 décembre 2017

« Allumer le feu, allumer le feu
Et faire danser les diables et les dieux
Allumer le feu, allumer le feu
Et voir grandir la flamme dans vos yeux
Allumer le feu ».

Le feu, Lorenzo, il l’allume sans retenue aucune dans ce recueil de sept nouvelles publié quelques jours seulement avant le décès de Johnny. Le feu des flammes bouté à un matelas déposé dans un couloir pour incendier tout un étage, ou à l’escalier d’un autre bâtiment pour apaiser une obsession mais il allume aussi le feu de la colère dans les tripes de gars vexés et humiliés, le feu de l’amour dans le cœur de l’amoureux transi et le feu destructeur des bombes lâchées par les terroristes. Le feu dévore ces histoires au rythme du blues et du rock n’roll qui envahit ce livre où l’on croise : Robert Johnson, Big Bill Bronzy, Elmore James, B.B. King et Bill Haley et Chuck Berry, dans un rythme infernal et brûlant.

Un éditeur véreux connait les flammes en essayant de se refaire pour retrouver un passé plus glorieux mais entaché d’une faute définitive. Obsédé par la musique endiablée des voisins du dessus un pauvre type les enflamme. Quand l’élève dépasse le maître, celui-ci se laisse gagner par le feu de la colère. Le jeune professeur est consumé par le feu de l’amour qu’il éprouve pour la fille du pochtron le plus assidu du bar. Le chat-dans-la gorge met le feu dans les larynx des hôtes qu’il n’aime pas. Maman est à Mallbeek, le jour où le feu des bombes ravage tout comme elles peuvent aussi sortir du sac étrange du mystérieux voisin. Voilà sept histoires de feu, de flammes et de musique endiablée, sept aventures bousculant définitivement la vie de gens ordinaires.

J’ai retrouvé à la lecture des ces nouvelles, des impressions que j’avais déjà eues lors de la lecture de Contes espagnols de Lorenzo, j’avais alors « surtout trouvé beaucoup de vie, d’envie de vivre ». Cependant ces dernières nouvelles sont beaucoup plus sombres, leur chute est presque toujours très noire. Après cette dernière lecture, je ne pourrais pas écrire : « Un recueil à mettre sur son chevet pour lire un ou deux textes les soirs de blues ». Je dirais plutôt de réserver cette lecture pour les jours où l’on se sent fort, les jours où l’on a envie de chanter :

« Je veux la foudre et l'éclair
L'odeur de poudre, le tonnerre
Je veux la fête et les rires
Je veux la foule en délire ». (Texte de Johnny Hallyday)

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