Les larmes de sel de Pietro Bartolo, Lidia Tilotta

Les larmes de sel de Pietro Bartolo, Lidia Tilotta
(Lacrime di sale)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Cyclo, le 18 décembre 2017 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans)
La note : 10 étoiles
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un héros

"Les larmes de sel" raconte l'histoire du médecin de Lampedusa Pietro Bartolo, qu’on pourrait qualifier d’un héros de notre temps. Issu d’une famille très modeste, père pêcheur, mère qui élève les sept enfants, deux garçons (dont l’un par suite d’une méningite, restera lourdement handicapé) et cinq filles, il vit une enfance heureuse dans ce milieu populaire : "En face de chez nous vivait une famille encore plus pauvre que la nôtre. aujourd’hui encore, je revois ma mère, vêtue de son tablier, prendre une grande assiette en céramique, la remplir de couscous, traverser la rue et l’offrir en souriant à sa voisine. Vivre modestement n’empêchait pas de partager le peu qu’on avait. On s’entraidait. l’égoïsme et les barrières n’avaient pas cours ici." Puis, il doit partir au lycée en Sicile, il va y rencontrer sa future femme, Rita, avec qui il entreprend et réussit des études de médecine. Très rapidement, il revient à Lampedusa, où il découvre l’arrivée massive de réfugiés pour qui il crée un système d’accueil sanitaire (avec une base d'hélicoptères pour transférer en Sicile les cas très graves) pour ceux qui ont survécu à leur terrible odyssée à travers le désert et la mer, marquée par des brutalités inouïes : violence, cruauté, viols, noyades de leurs proches en mer.

Il leur vient en aide, avec une humanité et un altruisme comme on en voit peu (cf le film "Fuocammare" de Gianfranco Rosi, dont il est un des protagonistes), une foi solide aussi qui lui fait écrire : "Dieu n’a rien à voir là-dedans. Les seuls responsables de cette souffrance, ce sont les hommes. Des hommes cupides, sans pitié, qui ne croient qu’en l’argent, au pouvoir. Et je ne parle pas de ceux qui organisent la traite des êtres humains. Je parle de ceux qui la laissent prospérer, de ceux qui veulent maintenir le reste du monde dans un état de pauvreté, qui alimentent les conflits, qui les soutiennent et les financent. Le problème, c’est l’homme. Pas Dieu."

Il y a les morts, innombrables, qu’on met dans des sacs verts et dont il doit faire l’autopsie. Les nombreuses femmes enceintes, victimes de viols et qui demandent l’avortement, ceux qui ont la capacité de revivre, mais auxquels on met des bâtons dans les roues, comme Omar, qui a décidé de rejoindre l’Allemagne. "Un jour, on l’a arrêté. Ce n’était pas un clandestin, il avait même un permis de séjour. Mais celui-ci était valable pour l’Italie seulement. Ils l’ont donc expulsé. Même chose en Finlande : on l’a jeté dehors. Telle est la loi de l’Union européenne. Mais quelle Union ? Celle des frontières et des murs, certainement pas celle des peuples." Il y a ce garçon paralysé du bas et que son frère Hassan porte sur son dos, ne laissant à personne d’autre le soin de s’occuper de lui, cette très jeune fille qui a réussi à emporter avec elle son chat, mais ce dernier est mis en quarantaine pendant six mois, et Pietro Bartolo réussira à le lui faire ramener en Allemagne où elle a trouvé refuge, et puis ce jeune Nigérian qui refuse de laisser examiner ses parties intimes et dont le docteur découvre avec effarement qu’on lui a tranché le pénis...

Autant d’anecdotes pathétiques qui donnent lieu à des réflexions sur nos responsabilités : "La peur ne doit pas nous conditionner. Nous devons ouvrir nos portes, nos maisons." Et les Lampédusiens le font, à l’exemple de leur formidable médecin. Pietro Bartolo donne son avis aussi sur les responsabilités générales de la politique aberrante de l’Union européenne, sur celle des médias avides de sensationnalisme et si peu de morale humaine : "qu’on ne vienne pas me parler de la prétendue différence entre migrants économiques et réfugiés. Car ce raisonnement, dont les médias se font l’écho, a le don de me mettre en colère." Pietro Bartolo, souvent confronté à son désarroi impuissant, bouillonne de colère, en effet : "Voir les images de la reconduite à la frontière me fait pleurer de rage. Des milliers de personnes ont fui l’enfer et on les oblige à faire demi-tour, sans aucune pitié. Comment un simple bout de papier peut-il sceller le destin d’innombrables vies humaines ? Et comment peut-on faire de grands sourires devant l’objectif des caméras, juste après ça ?"

Il va jusqu’à faire des comparaisons qui paraissenr terribles, mais qui me semblent justifiées : "Les conditions dans lesquelles voyagent les migrants, dans le désert et sur la mer, ressemblent à celles des déportés dans les trains de la mort. Quant à ceux qui veulent bâtir des murs et expulser les réfugiés, leur attitude n’est pas si éloignée de celle des collaborateurs d’Hitler que la philosophe Hannah Arendt a appelés « les hommes banals »." On a trop tendance à oublier aujourd’hui la banalité du mal qui peut aller loin : ainsi la scène où des militaires tabassent deux migrants pris au hasard, et que Pietro Bartolo arrive à sauver de justesse.

Ce livre coécrit par une journaliste est aussi une formidable leçon de vie. Il est dur, jamais complaisant envers les puissants de ce monde, envers l’égoïsme des nantis érigé en règle de vie. Il montre qu’avec de la volonté, on peut aller loin dans la bienveillance, dans la délicatesse, dans l’amour du prochain tout simplement, qu’on peut remuer des montagnes. Et que ça fait du bien, de voir ça. Car, en aidant les migrants, nous nous aidons nous-mêmes !

Le livre-cadeau idéal pour les fêtes !

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