Le quartier américain de Jabbour Douaihy

Le quartier américain de Jabbour Douaihy
(Ḥay al-Amrīkān)

Catégorie(s) : Littérature => Arabe , Littérature => Moyen Orient

Critiqué par Marvic, le 11 décembre 2017 (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans)
La note : 5 étoiles
Moyenne des notes : 6 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 4 étoiles (50 696ème position).
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Perdu-e-s

Le Quartier américain, à flanc de colline, garde encore quelques traces de son passé résidentiel de Tripoli ; quelques maisons où s'entassent des familles pauvres que les cultures maraîchères ne suffisaient plus à nourrir.

"La ville était morte. Elle se réveillait tard, et passé huit heures du soir, c'était une ville fantôme. Elle avait lutté contre le mandat français, elle avait manifesté pour toutes les causes arabes : pour la révolution algérienne, contre le pacte de Bagdad. Le jour de la démission de Nasser, tous ses habitants étaient descendus dans la rue. En 1948, c'était un homme de chez eux qui avait mené l'Armée du salut arabe pour la libération de la Palestine. Mais, à présent, elle ne bougeait plus. À l'heure des élections, les riches achetaient les voix des habitants.. "

Dans l'une de ces maisons, cohabitent la famille du Pendu, Abdel-Rahmân Bakri au rez de chaussée, et celle de Bilâl Mohsen au premier. Ce qui implique que chaque enfant de la famille Mohsen doit traverser le salon du Pendu, enjamber le téléviseur installé sur la troisième marche. Si cela laisse peu de place à l'intimité, cela permet aussi une entraide efficace et spontanée.
Car la vie n'est pas simple au premier.
Bilal ne s'est pas remis des affrontements et des drames qu'il a vécus. Sa belle épouse Intissâr doit gérer ses 4 enfants, ainsi que l'intendance. Sa mère la soulage un peu en hébergeant son fils aîné Ismaïl. Intissâr "succède" à sa mère en travaillant au domicile d'Abdel-Karim Azzâm.
Abdel-Karim est issu d'une grande famille libanaise. Il jouit encore du prestige de son grand-père qui était un héros national. Après avoir voyagé, il a rencontré à Paris une ballerine serbe dont il est tombé éperdument amoureux. Au départ de celle-ci, il est revenu dans la maison de famille, où il reste enfermé avec ses bonsaïs, ses disques et les souvenirs de sa danseuse.

Abdel-Karim et Intissâr se connaissent depuis leur plus jeune enfance. Quand Ismaïl disparaîtra, c'est à lui qu'elle demandera de l'aide. Car Ismaïl, enfant puis adolescent perdu dans cette ville, dans cette famille défaite, se convertit inexorablement au djihad.

Perdu, il n'y pas que le jeune homme. Je l'ai été pendant de nombreuses pages. Le récit des vies des différents héros est intéressant, mais il m'est arrivé de perdre un peu le fil.
Chaque personnage aurait presque mérité à lui seul un roman. J'aurais surtout aimé en savoir plus sur Intissâr, la condition de cette femme seule sur qui tout repose, les premières années d'Ismaïl…

Une lecture instructive avec l'éclairage nécessaire indispensable pour essayer de comprendre l'enrôlement de ces jeunes dans ce pays toujours déchiré, où la cohabitation entre chrétiens et musulmans semble inexistante . Mais une lecture beaucoup trop exigeante et compliquée pour moi.
À noter, les quelques notes de douceur bien agréables, apportées par les recettes en bas de pages.

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Ni déçue ni emballée...

5 étoiles

Critique de Dixie39 (, Inscrite le 12 mars 2017, 54 ans) - 16 mai 2018

J’ai l’impression d’être passée à côté de ce livre : ni déçue, ni emballée… Et pourtant, son propos est on ne peut plus actuel : Jabbour Douaihy nous parle d’intégrisme religieux, de la Syrie et de ses habitants, de Tripoli (ses beaux quartiers aux ambiances feutrées et son quartier américain, le plus pauvre de la ville, où tout n’est que bouillonnements et vie), du quotidien des femmes et des luttes anciennes et nouvelles, puis de l’exil aussi…

Il y a un beau portrait de femme, celui d’Intissar, fil conducteur du récit, qui va faire lien entre deux autres personnages que tout oppose : son fils Ismaïl (jeune homme désœuvré) et Abdel-Karim (fils d’une famille de notables pour laquelle Intissar travaille). Les deux sont tout aussi paumés. Le premier, parce que sa vie ne mène à rien, enfin pas là où il aurait souhaité et le second par désespoir amoureux qui le laisse groggy tous les jours après avoir passé toutes ses nuits à pleurer sur son amour perdu, avec à pleine puissance dans les oreilles, les notes des plus beaux opéras.

Que m’a-t-il manqué pour que je l’apprécie pleinement ? J’avoue ne pas savoir trop bien. Peut-être un rythme plus soutenu, une plus grande empathie pour les personnages d’Abdel-Karim et Ismaïl ? Peut-être n’était-ce pas pour moi le bon moment pour l’ouvrir.

Et pourtant, j’ai été sensible à la détermination sans faille d’Intissar, qui tient à bout de bras toute sa famille, aux rouages bien huilés des intégristes qui savent exploiter les failles de tous ces jeunes (manque de reconnaissance, d’emploi, d’argent…) pour mieux les amener exactement là où ils le souhaitent (à des attentats suicides) et cette idolâtrie du martyr qui en fait rêver plus d’un et offre à la famille du sacrifié, gloire et fierté…

Cafouilleux

6 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 17 janvier 2018

Sujet fort, traitement faible.
Le sujet résonne clairement avec l’actualité : la désespérance des jeunes sans avenir dans les pays arabes (ici le Liban) qui se tournent vers les pseudo-religieux et vrais terroristes, prêts à tout casser puisque … puisqu’ils n’ont plus rien à perdre. Le sujet, indéniablement, est fort …
Le traitement - l’écriture, la manière d’embrouiller personnages, faits, de perdre le lecteur et la traduction, je pense - faible.

« Abdel-Rahmân, surnommé le Pendu par allusion à quelque anecdote familiale oubliée, vit dans ce quartier dit « américain » en raison d’une école anglicane désaffectée dont, pendant des années, un bureau des redoutés Renseignements de l’armée de l’air a occupé les bâtiments à moitié croulants. Le quartier surplombe le fleuve traversant la ville. Pour se rendre chez eux, les habitants n’ont d’autre choix que de gravir les multiples escaliers qui tracent sur la butte des sillons semblables à ces rigoles creusés par la fonte des neiges sur les pentes montagneuses. »

Très descriptif, informatif, le style, on le constate avec l’extrait au-dessus. Mais à trop vouloir informer, Jabbour Douaihy a tendance à perdre le lecteur occidental, pas familiarisé avec Tripoli, au Liban, ni avec les patronymes arabes, qui se multiplient forcément dans le roman.
Oui, c’est à Tripoli, au nord du Liban, que se situe le roman, de nos jours. Disons vers 2003 après l’intervention américaine en Irak (d’ailleurs Saddam Hussein est délogé de son trou pendant le roman). Un étrange personnage –étrange au sens où il est difficile à cerner, ne semble pas se soucier d’argent mais n’en manque pas pour autant – Abdel-Karim Azzam (Azzam une famille de notables locale), est revenu à Tripoli dans la maison familiale après quelques années passées à Paris dans l’insouciance (notamment de l’argent ?) à passer du bon temps, tomber amoureux puis sombrer dans la dépression. Il est revenu donc, mais dans le genre « zombie ». Intissar Mohsen, la bonne historique de la famille continue d’entretenir la maison et se retrouve pratiquement son seul lien vers l’extérieur.
Intissar est la mère d’Ismaïl, notamment, et Ismaïl a bien changé. Il est devenu gibier recruté par des prédicateurs qui recrutent pour … du terrorisme, qu’on a coutume de nommer Djihad même si ça n’a pas grand-chose à voir (merci les Médias au passage).
Les choses évidemment ne vont pas se passer simplement (encore moins vue la manière dont Jabbour Douhairy conçoit son récit) et c’est cette succession de faits, entre le retour d’Abdel-Karim, le départ puis le retour d’Ismaïl, qui constitue la chair du roman. Une chair malheureusement peu digeste alors que le menu était prometteur.

Regard sur le Liban...

7 étoiles

Critique de Myrco (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 75 ans) - 27 décembre 2017

...d'hier et d'aujourd'hui.
En nous faisant pénétrer dans la vie de deux familles musulmanes de milieux sociaux radicalement opposés que lient des relations de maîtres protecteurs à domestiques fidèles et dévoués, et ce, sur plusieurs décennies, c'est toute l'Histoire contemporaine de son pays que Jabbour Douaihy évoque, par bribes, une Histoire souvent complexe, il est vrai, que le lecteur lambda étranger (comme moi) en manque de repères précis a parfois quelque peine à s'approprier.
L'auteur a situé son roman dans une ville qu'il connaît bien, Tripoli, deuxième ville du Liban (où il enseigne la littérature française à l'université), qui, à travers ses vestiges du passé, la métamorphose de ses quartiers et de ses populations, semble refléter à la fois la richesse de cette Histoire et l'évolution d'une société marquée par le déclin des grandes familles qui continuent néanmoins à occuper la sphère politique, et la montée de l'islamisme intégriste dans un contexte de misère sociale.

Ces deux aspects , il les incarne dans ses deux personnages masculins principaux, Abdel Karim Azzâm et Ismaïl Mohsen, deux êtres égarés, en perte de repères, chacun à leur façon, l'un dans une ville et une époque qu'il ne reconnaît plus, l'autre, jeune en mal d'avenir dans un contexte où il ne trouve pas sa place en cette aube du XXI ème siècle.
Le premier, fils très protégé des Azzâm, dont le grand-père fut en son temps une figure de l'indépendance, a choisi, à son retour forcé dans la demeure familiale désertée, après de longues années d'exil à Paris où sa riche famille l'avait envoyé pour le mettre à l'abri de la guerre civile, de tourner le dos aux réalités, s'abîmant dans le souvenir de son amour pour une danseuse serbe connue là-bas et à jamais perdue (un passage sur lequel l'auteur s'attarde un peu trop à mon sens en regard de la brièveté du livre).
A travers l'évocation de sa jeunesse, ses conversations avec ses proches, c'est tout un monde disparu ou en voie de l'être que Douaihy parvient à restituer: un monde traversé de violence politique et de lourdes disparités sociales mais néanmoins un monde où chrétiens et musulmans nantis se côtoyaient dans les mêmes établissements scolaires dispensateurs de la culture française, un monde où la fête et la licence avaient encore leur place, un monde imprégné de la sensualité des parfums et des saveurs des orangers d'antan, ceux-là mêmes qui ceinturaient la ville autrefois, aujourd'hui sacrifiés au béton.
Le second, Ismaïl, est le fils aîné d'Intissâr, l'employée de maison d'Abdel Karim, qui assume quasi seule la charge de ses quatre enfants dans l'un des quartiers les plus pauvres de Tripoli. Son parcours sera celui de nombre de jeunes de sa génération, d'abord petit délinquant de la rue, puis cible idéale des recruteurs pour le Jihad, endoctriné, instrumentalisé, embarqué dans cette entreprise morbide sans toujours bien en connaître les tenants et les aboutissants.
Si Douaihy propose quelques pistes qui ont pu alimenter le terreau sur lequel ce terrorisme a pris racine - notamment la sensibilisation à la cause palestinienne par la forte présence des camps de réfugiés ou les traumatismes d'une génération précédente ( Bilal le père et Yassine le premier mentor) qui a beaucoup souffert des exactions des services de renseignements syriens pendant la guerre civile, il donne à voir plus qu'il n'analyse ce processus de radicalisation, d'où pour ma part une certaine frustration. Mais sans doute n'a t-il pas plus d'éléments à nous offrir.

Au terme de la lecture de cet ouvrage, que j'aurais souhaité moins concis, plus approfondi, je reste dubitative quant au message qu'a voulu faire passer l'auteur au-delà du constat, et d'ailleurs y en avait-il un? Peut-être un message d'espérance à travers le seul personnage attachant, positif, du roman: Intissâr, femme modeste et lumineuse, sensuelle et désirable, mère courageuse et aimante, résolument tournée vers la vie, trait d'union entre deux mondes, et continuité des valeurs passées, rempart contre un futur régressif et abominable. N'est-ce pas son image qui s'imposera à Ismaïl au moment du passage à l'acte fatal? Espoir crédible ou vœu pieu?

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