Point cardinal de Léonor de Récondo

Point cardinal de Léonor de Récondo

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par TRIEB, le 8 septembre 2017 (BOULOGNE-BILLANCOURT, Inscrit le 18 avril 2012, 72 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 579ème position).
Visites : 3 970 

LE COURAGE D'ÊTRE SOI

Léonor de Récondo appartient à un type d’auteurs dont le suivi, d’un roman à l’autre, nous comble. Commencé avec Rêves oubliés, belle chronique d’une famille de réfugiés républicains espagnols tentant de maintenir le souvenir de l’autre côté des Pyrénées, continué avec Pietra Viva, pertinente interrogation sur la place de l'artiste dans la Cité, et enfin Amours, décrivant les tourments et déchirements d’une femme bourgeoise en proie à des sentiments déviants, Léonor de Récondo continue ce parcours par Point cardinal, son dernier roman. Cette romancière nous avait séduits par la précision de son écriture, son style dépouillé, la nuance dans l’élaboration des portraits et la restitution de la vie psychologiques des personnages.
Autant dire d’emblée que nous retrouvons toutes ces qualités dans Point cardinal. Le décor c’est celui d’une petite ville, dans une région non située géographiquement. Laurent Duthillac est un bon père de famille, tout ce qu’on fait de plus classique en la matière. Il vit avec Solange, professeure des écoles, rencontrée dans l'adolescence et pour laquelle il éprouve depuis cette période, un vif amour. Ils ont deux enfants, Claire, âgée de treize ans, et Thomas, âgé de seize ans. Une famille on ne peut plus banale, un pur symbole du conservatisme social à ceci près que dès les premières lignes du roman, ce qui en rehausse immédiatement l’intérêt, Laurent se travestit dans un bar nommé le Zanzibar, où il y retrouve entre autres Cynthia, dans la même situation que lui. Cette situation pourrait durer, sans danger pour son couple et sa famille, mais lors d’un week-end prolongé durant lequel il se retrouve seul à la maison, il se travestit et laisse échapper par mégarde une mèche de cheveux blonds que son épouse découvre plus tard...
Le grand mérite de Léonor de Récondo est d’éviter le côté graveleux, racoleur vers lequel ce genre de récit peut basculer. Nous assistons fort heureusement à une tout autre exposition. C’est un coup de projecteur sur la formation de l’identité sexuelle d’un être humain qui est proposé ici, une illustration des souffrances engendrées par le doute sur cette identité, puis la certitude d’appartenir psychologiquement et psychiquement à un autre sexe… Ainsi, Laurent avoue-t-il à sa famille qu’il est une femme. La description du plaisir compulsif que prend Laurent à aller acheter des vêtements de lingerie féminine est révélatrice : «Il en achète trois, papiers, boîtes, emballages superflus, jetés dans la première poubelle. Il s’enferme dans les toilettes, se déshabille fébrilement( …) enfile la soie, remonte lentement la culotte le long de ses jambes, la plaque contre son ventre. La vague de plaisir submerge tout son corps. Une extase qui le transportant cœur battant n au centre se sa chair, en son point cardinal, là où Mathilda pousse un cri. »
D’autres passages du roman explicitent cette recherche d’une nouvelle identité sexuelle : des souvenirs d’enfance liés au caractère viril des sports d’équipe, la sensation de ne pas éprouver la « justesse du corps ». Pourtant, Point cardinal est un témoignage sur le courage d’être soi, et pose la question de savoir jusqu’où peut aller la recherche d’une vérité personnelle. Dans ce cas, cette démarche conduite Laurent, après consultation d’un psy, d’un médecin, après une confrontation avec ses collègues de travail sur sa nouvelle identité sexuelle, à devenir Lauren : « Et maintenant, Thomas et Claire qui jouent, se disputent, grandissent. Lauren les voit si clairement, dans les vagues, le jardin, sous le soleil, sous la pluie, chaque jour unique et changeant, chaque jour qui passe avec Mathilda, avec toutes celles du Zani. Lauren en pleine lumière. »

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Très bon .. peut-être un poil trop rose

8 étoiles

Critique de Faby de Caparica (, Inscrite le 30 décembre 2017, 62 ans) - 22 février 2020

" Point cardinal" de Leonor De Récondo (232p)
Ed. Sabine Wespieser

Bonjour les fous de lectures...

C'est toujours un bonheur de se plonger dans les livres de Leonor De Récondo.

Petite ville de province.
Laurent vit avec Solange et ont deux ados.
Une petite vie bien réglée et sans problème majeur, une vie que l'on pourrait qualifier de banale.
Si ce n'est que Laurent certains jours, échappe au quotidien et endosse sa vraie personnalité inconnue de ses proches.
Laurent se travestit et entre dans la peau d'une femme.
Cette situation aurait pu continuer sans perturber le quotidien de chacun si Solange n'avait pas trouvé un élément perturbateur... de longs cheveux blonds accrochés à une épingle à cheveux.
Laurent ne tergiverse pas et passe très vite aux aveux, soulagé en somme.
Commence un parcours du combattant pour lui, sa famille et ses proches.
Pas facile de se faire accepter lorsqu'on sort des sentiers battus...

Loin d'être graveleux, voici un récit sur la recherche de l'identité sexuelle et sur ses tabous qui sont encore tellement présent lorsqu'on ne fait pas partie du moule défini, imposé.

L'auteure nous parle de la difficulté à être soi, à imposer sa propre identité sans faillir.

La plume légère et fluide de l'auteure rend la lecture addictive.
C'est émouvant, sensible, c'est juste bien écrit.

Petit bémol ... ici .." tout est bien qui finit bien "..
Par contre combien de "Laurent " n'ont pas la force de s'affirmer ou tout simplement ne trouvent pas les oreilles attentives ou les portes auxquelles frapper pour franchir le pas et enfin être soi.

Cette jolie histoire est peut-être un peu trop rose mais j'ai passé un très bon moment de lecture

A noter que cette auteure est également une violoniste de talent

Suis-je une femme ?

4 étoiles

Critique de Ludmilla (Chaville, Inscrite le 21 octobre 2007, 68 ans) - 29 mars 2019

Moi qui n’ai pas de talons aiguille, pas de maquillage, pas de culotte en soie, pas les cheveux longs, suis-je vraiment femme ?
Se sentir femme, est-ce frissonner d'extase à chaque essayage de dentelle, comme Laurent ?

Lauren(t) dit « Si je ne me suis jamais senti homme, je me suis toujours senti père », mais va faire son « coming out » un soir à table devant ses enfants adolescents (Thomas, 16 ans et Claire, treize ans) sans se préoccuper une seconde des conséquences sur leurs vies. Est-ce vraiment être père ?

Si les réactions des enfants m’ont semblé réalistes, il n’en va pas de même d’une partie des réactions de sa femme Solange (en dire plus serait spoiler)

Alors non, même si l’écriture est excellente, je n’ai pas trouvé que c’est « un grand roman sur le courage d’être soi » (quatrième de couverture).
Dommage pour un sujet aussi important que l’identité de genre.

Thème dans l’air du temps.

7 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans) - 9 décembre 2018

Oui, le changement de sexe est un thème dans l’air du temps. Comme si « l’on » voulait banaliser la chose, la faire entrer dans le rang. Ca ne me parait pas pour ma part d’une si grande importance si l’on rapporte cet acte à l’importance d’autres sujets qui traversent notre monde si fragmenté et tellement inégalitaire. Un peu se préoccuper de la couleur des carreaux de la salle de bains quand le feu menace la maison … Mais bon ! Changement de sexe donc.
Leonor de Recondo s’y entend pour incarner au fil de sa courte production romanesque des thèmes réellement très divers. Et elle le fait avec toujours beaucoup de délicatesse et de sensibilité. « Point cardinal » ne déroge pas à la règle.
Laurent est apparemment un mâle lambda dont il y a peu à dire. Marié, avec bonheur à Solange, son amie d’adolescence, un garçon, Thomas, et une fille, Claire, de seize et treize ans, un travail dans lequel il se sent apparemment bien, des ami(e)s …
Mais voilà, à l’occasion d’échanges sur des forums trans, Laurent se sent définitivement plus féminin que masculin. Il se sent ou il conscientise davantage. Et il va rentrer dans un processus où, progressivement, il va rentrer dans des phases de travestissement dans une boîte spécialisée, et l’envie va grandir, devenir irrépressible, de faire vivre la Mathilda qu’il sent vivre en lui en lieu et place de l’individu Laurent.
Les dernières barrières – ce qu’il va infliger à sa femme, ses enfants – sautent lorsque ceux-ci partent en week-end sans lui et qu’il va pouvoir aller toujours plus loin. Laurent deviendra donc Lauren et le roman qu’écrit Leonor de Recondo, c’est tout ce que ce genre de démarche génère autour de Laurent ; à son travail, auprès de sa famille, …. C’est analysé sans concession, sans facilités, à la Leonor de Recondo quoi ! Pour autant je ne me suis pas senti touché par ce sujet. Vraiment l’impression qu’il y a un effet « mode » autour de la communication sur le phénomène trans. Mais sans doute d’autres seront beaucoup plus touchés …

"Le mal que tu nous fais"

10 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 65 ans) - 20 novembre 2018

Mathilda gare sa voiture sur une place discrète d’un supermarché avant de se démaquiller, d’enlever ses faux cils, de changer ses vêtements. Laurent peut alors reprendre la route et rentrer chez lui où l’attendent Solange, son épouse, Claire et Thomas ses enfants.
Une famille heureuse, équilibrée, aimante, avec les soucis habituels de friction avec et entre des adolescents.
Laurent est écartelé entre sa vie de père et son identité de femme.
Une mèche de sa perruque blonde trouvée par sa femme, va l’obliger à dire la vérité.
Et à la révéler à ses enfants.
"Mais il y a autre chose que je veux que vous sachiez. Une chose dont je n’ai jamais douté. Si je ne me suis jamais senti homme, je me suis toujours senti père."

Un soulagement pour lui, qui va pouvoir enfin affirmer sa personnalité féminine mais un ravage pour les siens.
Particulièrement auprès de son fils. Sentiments de trahison, de honte, vécus différemment par chaque membre de la famille.

L’auteure réussit un roman aussi fort qu’original sur la transformation de ce père exemplaire en femme, sur les difficultés à vivre d’un transsexuel mais aussi, en analysant avec une grande justesse, les "dommages collatéraux" de cette transformation. On ne peut qu’être bouleversé par ces douleurs, celle de sa femme, admirable, par la violence de la souffrance de Thomas qui interpelle Laurent/Lauren.
Une formidable réussite.

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