P'tit Quinquin de Bruno Dumont

P'tit Quinquin de Bruno Dumont

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Gregory mion, le 16 août 2017 (Inscrit le 15 janvier 2011, 41 ans)
La note : 10 étoiles
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L'hypothèse d'une autre Justice.

La lecture de ce scénario confirme s’il était besoin que Bruno Dumont est aussi bon écrivain que cinéaste. On pense bien sûr à Louis-Ferdinand Céline pour la vérité oratoire des personnages, tous remarquablement campés dans les inflexions et les manières du Nord, mais on pense également au Jean-René Huguenin de La Côte Sauvage, pour l’ambiance maritime et la sensation d’étrangeté qui se dégage de toutes les situations. Au reste, on s’aperçoit que Bruno Dumont excelle dans son propre sillon stylistique, dans un enchevêtrement de phrases brèves et prolixes, toujours nourries de verbes et d’adjectifs formidablement choisis. De sorte que le succès de P’tit Quinquin à l’écran repose avant tout sur un texte indéniablement travaillé. Il est par conséquent fort dommage que cette partie de l’œuvre n’ait guère été mise en avant, si elle a jamais vraiment fait l’objet d’une attention particulière un jour.

On pourra donc découvrir ou redécouvrir P’tit Quinquin dans le texte et le savourer comme un roman constitué de quatre longs chapitres. L’enjeu narratif se noue à la fois dans le tragique et le comique, et c’est précisément cela qui fait songer derechef au meilleur de Céline, lorsque l’écrivain pouvait envisager une histoire d’amour en la hissant sur les tréteaux de la saloperie humaine. Il en va ainsi du béguin de P’tit Quinquin pour sa voisine Ève Terrier : ils sont comiques de s’aimer avec une maladresse d’enfants de dix ans, mais ils sont tragiques de perpétuer leur amour dans un microcosme où le Mal s’évertue à semer ses calamités. La jonction des deux tonalités suscite d’immenses déplorations atténuées par des éclats de rire franchement tonitrués. En outre, le tragique ne perd pas de ses attributs dans la mesure où les morts violentes se succèdent, cependant, à la toute fin, le dénouement suggère un reflux des forces nuisibles, lorsqu’un aspect du Mal est hypothétiquement désigné. Le fait même d’identifier la source probable des malheurs contribue à les attendrir.
Par ailleurs, l’image terminale du grand soleil peut s’interpréter comme un éloge subtil de la nécessité : qu’importe la sottise des humains, le règne de la force vraie demeure dans la nature (les anciens philosophes grecs diraient que Phusis l’emporte nécessairement contre Nomos – les rythmes naturels ne sont pas destinés à fléchir devant les petites cadences culturelles de l’homme). En filigrane, on pourrait même supposer que Bruno Dumont tire le rideau sur son histoire avec le jugement de la Grande Justice (la Dikè antique) : ce n’est pas dans les tribunaux du droit positif que doit se jouer l’évaluation des crimes commis par les hommes, mais bel et bien parmi les puissances naturelles, comme ce soleil final qui emporte toute cette mascarade dans le giron de sa lumière purificatrice.

Mais avant cette magnifique conclusion, nous sommes confrontés à des meurtres en série, vraisemblablement passionnels, et perpétrés avec des techniques et des mises en scène désopilantes. Il s’agit d’une arythmie très perturbatrice pour cette région française que rien ne paraissait prédestiner à ce degré de violence criminelle. Les interrogations bourrues le disputent à la continuité ordinaire de l’existence, même si, évidemment, on n’échappe pas aux tensions croissantes au fur et à mesure que les cadavres se multiplient. Du reste, Bruno Dumont excelle dans la périphérie des crimes, car loin de négliger les personnages et les émotions secondaires, il les situe à la hauteur du Mal fondamental, tant et si bien qu’un acte médiocre de racisme est susceptible de courber la trame du récit, comme un baiser furtif, dans ce contexte, cristallise certains rapports humains avec toute la pertinence que sous-entend le procédé.
Cette histoire à la fois sordide et radicalement humaine est encore approfondie par un duo de gendarmes, le commandant Van der Weyden et le lieutenant Carpentier, qui incarnent en quelque sorte le coryphée des événements. En effet, par leurs réflexions tour à tour burlesques et justes (quoique la justesse soit peut-être davantage le fruit du hasard), ils déposent un commentaire plein d’intelligence et de tendresse sur les horreurs qui sévissent. À beaucoup d’égards, leur apparente incompétence plaide en faveur de ce que nous disions tantôt : ces deux enquêteurs ne sont pas représentatifs d’une justice terrestre classique, mais, tout à l’inverse, ils semblent avoir le regard incisif de la grande nature qui délivre forcément la grande justice.

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