Les Nègres du traducteur de Claude Bleton

Les Nègres du traducteur de Claude Bleton

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Sahkti, le 4 mai 2004 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 664ème position).
Visites : 5 000  (depuis Novembre 2007)

Assassin littéraire

Claude Bleton est traducteur et directeur du Collège international des Traducteurs littéraires d’Arles. Il a eu un jour envie de passer derrière la feuille et d’écrire à son tour. Claude Bleton a travaillé son roman pendant huit ans, il avait envie de le peaufiner, de lui donner une touche personnelle.

C’est l’histoire d’Aaron Janvier, dont l’épouse Aurore, oeuvrant dans le milieu littéraire, est une femme désarçonnante modelant sa vie et son physique au gré des humeurs de son mari. Décidée à le tirer de là, elle décide de mettre à profit les connaissances en espagnol de son mari pour le propulser dans le monde de l’édition. L’ascension est rapide, Janvier est invité chez un éditeur catalan où il croise du monde (il y a même une allusion à BHL, "un philosophe professionnel, chemise blanche ouverte jusqu’au troisième bouton").
Aaron Janvier connaît un certain succès, on aime sa conversation, on lui demande de dénicher des talents espagnols, il décide de se lancer dans la traduction. Petit à petit, grisé par le succès, il modifie les textes en leur donnant une certaine saveur "à la française", il commence à modifier la forme puis le contenu, pour finir par écrire lui-même les histoires. Le stratagème est mis en place : Janvier demande à d’obscurs auteurs espagnols ou à d’anciennes gloires en panne de célébrité de rédiger des romans à partir d’histoires qu’il a lui-même écrites et qu’il fera passer pour des traductions. L’inverse du processus habituel ! Janvier va même au-delà et recrute des auteurs de tous horizons, plus forcément espagnols. L’envie et le besoin d’écrire sont plus forts que tout le reste, peu importe que disparaisse ainsi la dernière parcelle de crédibilité.
Complètement ivre de notoriété et de reconnaissance, Janvier s’enfonce de plus en plus dans ce trucage littéraire. Certains "nègres" espagnols commencent pourtant à se rebiffer, complètement étouffés par la personnalité dévorante de Janvier. Qu’à cela ne tienne, il se débarrassera d’eux et tant pis pour la production espagnole. Après tout, il l’a considérablement augmentée grâce à ses récits inventés de toutes pièces. Janvier poursuit sa route jusqu’au jour où un lecteur habile, un commissaire de police à la retraite, dénonce la supercherie et provoque la perte du traducteur, qui finira sa vie sous un pont de la Seine. Triste fin, chute sociale qui me fait penser à celles qu’on lit chez Douglas Kennedy, brutale et sans appel. Beaucoup plus de finesse cependant chez Bleton que chez Kennedy. Si le milieu littéraire et le monde éphémère de l’édition sont pointés du doigt, c’est avant tout sur les dangers du succès intellectuel et la satisfaction aveuglante qu’il peut parfois apporter que se concentre la réflexion de notre auteur autour d’un sujet qu’il connaît bien : les difficultés du métier de traducteur et les dangers qu’il recèle. Claude Bleton a-t-il eu un jour envie de corriger le texte d’un auteur à traduire ? On pourrait penser que oui mais qu’il y a bien réfléchi !

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Ah, les traducteurs

7 étoiles

Critique de Bolcho (Bruxelles, Inscrit le 20 octobre 2001, 76 ans) - 18 septembre 2004

De superbes portraits de profs grotesques qu’en tant que prof grotesque j’ai énormément appréciés. Le tableau consternant du monde soi-disant intello mais définitivement bête : on y reconnaît notamment BHL. Le récit de la première traduction-adaptation est hilarant. Le texte espagnol d’origine traitait de l’après franquisme. Il est transformé en fable franchouillarde et accueilli par la critique avec un légitime étonnement comme reflétant « une vérité qui dépasse de loin les frontières ibériques ». Le projet de traduire la « Recherche… » de Proust, « récit un peu austère », en français, n’est pas mal non plus. On l’aura compris : cela délire un peu. Quelques descriptions de fausses œuvres littéraires en un ou deux paragraphes qui font un peu penser à la démarche de Poe lorsqu’il donne les ingrédients d’un poème vendable.
Conclusion : un regard désenchanté sur la littérature de fiction.
C’est parfois bon d’être désenchanté, au moins lorsque ça permet de passer à autre chose.

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