Le dimanche des mères de Graham Swift

Le dimanche des mères de Graham Swift
(Mothering sunday : a romance)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Débézed, le 12 août 2017 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 277ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
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Et tout bascula

En Angleterre, le jour des mères, les maîtres donnent congé à leurs employés de maison pour qu’ils puissent visiter leurs parents, ce 30 mars 1924, les Niven, les Sherigham et les Hobday respectent la tradition et laissent leurs domestiques, surtout des femmes car les hommes ont souvent disparu lors de la terrible guerre sur le continent, aller visiter leur famille. Mais Jay n’a pas de famille alors elle attend un coup de fil de son amant qui arrive bientôt, il l’invite dans la maison familiale qui sera vide car les trois familles ci-dessus ont décidé de faire un pique-nique en l’honneur du futur mariage de la fille Hobday avec Paul Sherigham l’amant de Jay, la petite bonne des Niven.

Le décor est planté : les maîtres piquent-niquent, les domestiques sont dans leurs familles respectives, les futurs mariés se sont donné rendez-vous dans une auberge. La tragédie peut se nouer, le futur époux s’attarde auprès de sa maîtresse pour un dernier rendez-vous. Il lui laisse la demeure, se fait beau et quitte la maison au volant de sa voiture fonçant vers son destin.

Bien longtemps après, elle a alors 98 ans, Jay répond aux questions des auditeurs de l’une de ses lectures, elle leur dit qu’elle a décidé de devenir écrivaine après cette tragédie mais elle ne raconte pas les amours ancillaires qu’elle a vécues avec le beau Paul, ça personne ne l’a jamais su. Elle évoque surtout Conrad qu’elle admire, les mots qui sans cesse lui jouent des tours, qu’elle n’arrive pas à maîtriser, « … elle était obsédée par le caractère changeant des mots. Un mot n’était pas une chose, loin de là. Une chose n’était pas un mot. Cependant, d’une certaine façon, les deux – choses – devenaient inséparables. »

Qu’aurait été sa vie sans cette tragédie ? Que serait-elle devenue, elle la petite orpheline placée dès son plus jeune âge ? Heureusement, elle savait lire et Mr Niven lui avait ouvert les portes de sa bibliothèque, elle avait pu ainsi confondre sa vie misérable avec les histoires qu’elle pouvait lire. « C’était la grande leçon de la vie, que faits et fiction ne cessaient de se confondre, d’être interchangeable ». Le malheur avait sorti cette pauvre soubrette de sa médiocre condition pour en faire une auteure connue et reconnue mais aussi une femme lucide qui avait bien compris que la vie n’était que hasard et qu’elle pouvait basculer d’un côté ou de l’autre au moindre souffle du vent. Le succès ne lui avait pas fait tourner la tête qu’elle avait gardée bien froide malgré son grand âge. Elle aimait répéter à l’adresse des auteurs comme des lecteurs : « Eh bien vous devez comprendre que les mots ne sont que des mots, un peu de vent, c’est tout… »

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Comment devient-on écrivain ?

8 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 65 ans) - 24 juin 2019

Mars 1924. Jane (Jay) Fairchild est au service de la famille Niven depuis ses 17 ans. Elle est rapidement devenue la maîtresse de Paul  Sheringham fils unique d’une famille voisine.
Le dimanche des mères, jour où toutes les employées de maison sont en congé, il profite de la maison vide, 2 semaines avant son mariage, pour passer une dernière et inoubliable journée avec Jay.
Mais le destin bascule après ces quelques heures de bonheur.
"Comment la vie pouvait être aussi cruelle et généreuse à la fois ?"

Jane a maintenant plus de 90 ans, elle est une auteure à succès.
C’est elle qui "vous conte ses aventures", le parcours qui l’a menée de l’orphelinat à la maison d’Upleigh, puis à Oxford, les possibles raisons qui ont fait d’elle une romancière célèbre.

Pour Jane, être orpheline était la condition idéale pour devenir écrivain, surtout romancière, en n’ayant aucune référence, en étant soi-même une feuille vierge. La chance aussi d’être placée dans un orphelinat où on apprenait à lire, à écrire et à compter aux enfants, chose peu courante à l’époque.
Ensuite, être "placée" à 14 ans, "faisait de vous un observateur professionnel de la vie".
Avec la chance de servir dans une maison où le maître l’autorise à emprunter les livres de la bibliothèque.
Et puis, "cette belle journée de mars, celui où la "semence" de l’écriture avait été plantée en elle-même".
Plus tard, la gentillesse du libraire d’Oxford où elle travaille qui lui fera cadeau (inopinément ou volontairement, doute entretenu) de sa machine à écrire ("ça vous ferait plaisir ?")
Jane racontera beaucoup de choses, mais en taira aussi quelques autres, qui ne concernent pas la romancière, mais la toute jeune femme au cours d’une inoubliable journée.

Un roman très bien construit, plein de charme, comme son héroïne, et de fraîcheur.

Le jour du changement

9 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 67 ans) - 29 avril 2019

« Si vous avez aimé Downton Abbey, vous aimerez ce roman », affirme le bandeau publicitaire dont se pare l’édition de poche (Folio) du Dimanche des Mères. Pour ceux qui l’ignoreraient, Downton Abbey est une série télévisée britannique remarquable, très recommandable, dont l’action se déroule durant le premier quart du XXème siècle dans une riche demeure anglaise, l’une des grandes particularités de l’œuvre étant d’accorder autant de place à la domesticité qu’à l’aristocratie qu’elle est chargée de servir.
Pour ce qui concerne le roman de Graham Swift, si le rapprochement avec la série télévisée ne manque pas d’à propos, il ne faut cependant pas s’attendre à un récit ayant la même ampleur. Cependant, malgré sa forme brève, le livre ne comportant que 170 pages, il nous en apprend beaucoup, lui aussi, sur les us et coutumes des aristocrates comme des domestiques.
L’essentiel du roman se déroule durant la journée du 30 mars 1924. C’est le dimanche des mères, qui donne son titre à l’ouvrage, une sorte de fête des mères, si l’on veut, mais qui n’est en somme qu’une concession accordée au personnel de service par les maîtres. Ce jour-là, grâce à cette faveur, serviteurs et servantes peuvent quitter leurs fonctions pour aller visiter leur famille (et donc, en particulier, leur mère). Or cette journée de liberté, l’héroïne du roman, prénommée Jane, décide de la passer tout autrement que les autres domestiques et ce, pour une bonne raison : elle est orpheline et n’a, par conséquent, pas de famille à visiter.
La jeune femme, qui est au service de la maison d’Upleigh, dont les maîtres sont Mr et Mrs Niven, s’absente bel et bien de ce lieu, mais pour se rendre dans une maison voisine, à Beechwood, où elle retrouve un des aristocrates du lieu, Paul Sheringham, qui est aussi son amant. Graham Swift prend soin de décrire avec beaucoup de sensualité et un brin de verdeur le lien qui unit les deux amants. Or, même si tous deux se fréquentent depuis longue date, ce lien demeure fragile, d’autant plus que Paul s’apprête à épouser une riche héritière, autrement dit une jeune fille de son rang.
Mais c’est sans compter avec le sort (ou le destin, appelons cela comme on veut) qui s’autorise à changer le cours des choses. Non seulement pour Paul, mais aussi et surtout pour Jane, une jeune femme qui n’a pas l’intention de passer sa vie entière à faire la domestique. Elle a d’autres ambitions et l’une d’elle, ironie de l’histoire, a été nourrie grâce à la bibliothèque de la maison d’Upleigh et à la permission concédée par Mr Niven à la servante d’en emprunter les ouvrages pour les lire. Et c’est ainsi, au contact de romans d’aventures (car la jeune femme se passionne pour des lectures qu’on prétend être écrites pour les garçons !), en lisant Robert Louis Stevenson puis Joseph Conrad, que naît et s’épanouit la véritable vocation de Jane.
Graham Swift, lui, sans s’encombrer de grands développements, réussit à la perfection à décrire un monde qui s’achève et un autre qui émerge. Quand les domestiques accèdent au savoir et à la culture, il y a fort à parier que surgissent en eux d’autres désirs que de rester les serviteurs de l’aristocratie, d’autant plus lorsque celle-ci est sur son déclin. Ce roman magistral en donne la belle illustration.

Adam et Eve en Angleterre

9 étoiles

Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 30 mars 2019

Jane est orpheline. Elle est "placée" comme bonne chez les Niven, une famille aisée ravagée par la perte de ses fils lors de la vilaine guerre. L'Angleterre de 1924 a un goût de cendres mais tente quand même de donner le change. Jane aurait pu plus mal tomber, elle peut emprunter des livres dans la bibliothèque de son maître et apprendre à rêver. Paul, le fils du cottage voisin, lutine Jane depuis quelques temps déjà... une liaison cachée, des attouchements fébriles, rapides ; que des corps qui se touchent.
Ce dimanche là est particulier. Le personnel reçoit son congé annuel afin de rendre visite à leur parentelle. Les maîtres s'absentent pour un pique-nique ou pour honorer des relations mondaines, les logis sont vides.
Jane et Paul vont profiter de ce moment pour se rencontrer, se dénuder et prendre le temps de faire vraiment l'amour.
Être nu, vraiment nu, souverainement nu, c'est être l'égal de l'autre. Jane ne le sait pas encore. Elle ignore encore qu'il existe une autre vie que celle des lessives, de la cuisine et du service des maîtres.
Après la fameuse pomme, Adam et Eve se rendirent compte qu'il étaient nus et que le fruit de l'arbre de la connaissance de l'assouvi et de l'inassouvi leur ouvrait tout grand un univers inespéré... le possible, oui il est possible d'être autre chose que ce à quoi on nous a destiné.

Jane aussi !

Proust aurait fait de ce thème un dictionnaire de deux mille pages (écrit serré), Graham Swift en moins de cent cinquante pages dit tout sans un mot de trop. Même si la seconde partie est moins intense elle a toutefois son intérêt.
Je sors de cette lecture bouleversé. La technique de l'auteur est une véritable prouesse.

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  Sur le "coeur" de cette journée 2 Donatien 14 août 2017 @ 12:06

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