La douleur de Manfred de Robert McLiam Wilson

La douleur de Manfred de Robert McLiam Wilson
(Manfred's pain)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Sahkti, le 23 avril 2004 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (11 946ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 6 164  (depuis Novembre 2007)

La douleur comme remède

Ce livre fut une gifle. Manfred aime sa douleur, il la chérit du mieux qu'il peut, il l'aime car elle lui permet de se complaire dans son malheur. Un malheur incarné par sa vie qu'il repousse. Manfred se réjouit de mourir. Fou. L'histoire d'un homme qui aime la douleur et la mort, car elles sont libératrices. Avoir mal pour mourir, mourir pour être libre.
McLiam Wilson va très loin, c'est subtil, grandiose par moments. C'est un enchaînement de souffrances et de silences, des secrets véhiculés au fil des années par Manfred, des éléments qui le font souffrir et la souffrance morale est souvent plus pénible à supporter que la souffrance physique. Un corps qui hurle pour masquer les cris d'une âme en peine, un homme qui meurt car cela fera taire ce corps qui masque son esprit, tout disparaîtra. Raisonnement simple et efficace. Trop simple. L'esprit humain ne peut se nourrir de cela. La douleur physique réveille les douleurs morales, les souvenirs enfouis, des images de guerre, de violence, d'une femme meurtrie (Emma), de juifs persécutés... Mince, peut-on encore revendiquer sa propre souffrance face à tous ces coups de poings balancés dans la figure de l'humanité ?! Manfred estime que oui, il le fait avec une froideur et un calcul qui me laissent pantoise devant tant de noirceur. Si la douleur est une drogue que l'on respire à pleines bouffées, peut-elle devenir une arme destinée à se satisfaire soi-même au détriment des autres ?

L'auteur l'a bien compris, il transforme la déchéance d'un corps en exorcisme des tourments de l'âme. Effrayant.

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

la douleur, comme dirait Duras

10 étoiles

Critique de Cyclo (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 79 ans) - 15 août 2011

Pour Manfred qui, lui, a justement épousé une survivante des camps de la mort, la douleur est une permanence. D’abord, il est juif, et dans l’Angleterre hyper hiérarchisée et raciste (lire attentivement ce savoureux dialogue avec son voisin, l’infirmier noir ; «Saviez-vous que j‘étais juif ?» demanda [Manfred]. Le sourire de Garth grandit jusqu‘à occuper tout son visage. «Saviez-vous que j‘étais noir ?»), il était plutôt au bas de l’échelle. Il a fait la guerre dans l’armée anglaise comme une sorte de zombie, tout étonné de sortir vivant de ce monceau de cadavres : «Les survivants bambochaient et chantaient pour ne rien entendre. La fête était un analgésique, une narcose coupable. L’univers était devenu un ossuaire, un charnier. Nul drapeau, nul idéal de vainqueur ne pouvait être brandi sans tache.» Les débuts de son mariage sont heureux, mais, après la naissance de son fils Martin, il est rongé par les silences d’Emma, et ses démons intérieurs le corrodent : un beau jour, il commence à battre sa femme, qui reste silencieuse, puis continue, de plus en plus sauvagement. Jusqu’au jour où celle-ci, lassée d’être battue, le chasse. Et commence alors pour lui une descente aux enfers, dans une solitude de plus en plus complète, que la maladie contribue à accroître : «Mais il appréhendait la solitude de son appartement - inutile de presser le pas pour retrouver ce lieu désert. Il n‘y avait personne pour remplir les endroits vides de son logement.». Sans parler de la vieillesse, qui concourt à l’isolement. Manfred fait sienne les paroles d’un vieillard qu’il a rencontré : «Vous autres, les jeunes gens, vous êtes pour moi des fantômes, des rêves. Votre monde est irréel. La plupart des gens avec qui j’ai autrefois partagé le monde sont morts. Vous me croyez solitaire et presque défunt. Mais pour moi, c’est vous qui existez à peine.»

Oui, quand on cumule tant de discriminations (la judéité pour Manfred, qui pense comme Sartre : «comme toujours lorsqu‘il rencontrait quelque manifestation antisémite, Manfred se sentait soudain un peu plus juif que d‘habitude», le cancer, l’abandon par rupture du lien amoureux, le vieillissement, et l’approche de la mort), on vit dans un temps différent du temps ordinaire. Et ce que dit McLiam Wilson de Manfred : «Il ne désirait pas vraiment la mort, mais il mourait d’envie d’être débarrassé de la vie», s‘applique à tout le monde.

Voilà pourquoi ce livre est important, pour moi du moins, et m‘a permis de mettre des mots sur mon vécu. Il contribue, comme tout grand livre, à ne pas dévaluer «l‘étoffe précieuse du temps» dont parle notre auteur. Dans la lueur de la nuit, figée de fatigue comme une bête de somme, quand j’ai ouvert les volets vers sept heures ce matin, j'ai vu la neige tourbillonner, et je sentais davantage d’harmonie en moi grâce à cette lecture, mon âme était moins mélancolique. Et c’est vraiment là la victoire de la littérature, qui nous est à la fois nourriture, vêtement, maison, air pur, espace, reflet de nous-mêmes, puisque nous intégrons, ingérons, assimilons ce que d’autres ont écrit, danse et parfum de l’âme. Même et surtout quand la tonalité des œuvres est sombre, sans exclure d’ailleurs l’humour (cf la réponse de Garth à Manfred).

À quoi bon lire ? pensent certains. Je pense avoir répondu à la question, que je reformule ainsi : oui, à quoi bon lire des inepties, aussitôt oubliées que lues ? Quand les plus intimes nécessités deviennent pour nous difficiles, écoutons les écrivains et les poètes : «Ennoblissons, mon cœur, l’imagination !» comme écrivait Apollinaire à Lou.

Douleur thérapeutique...

8 étoiles

Critique de Saint-Germain-des-Prés (Liernu, Inscrite le 1 avril 2001, 56 ans) - 29 juin 2005

Beaucoup d’éléments intéressants dans ce livre, notamment la complexité des relations homme-femme. Manfred aime Emma, mais la bat. Ils se séparent, mais Emma accepte de le revoir, une fois par mois, toujours au même endroit, sur un banc dans un parc. Manfred n’a pas le droit de la regarder, il ne sait donc pas à quoi ressemble son ex-femme. Pendant vingt ans, ils ne manqueront pas ce rendez-vous mensuel. Manfred est vieux maintenant, une douleur physique intense lui coupe le souffle mais il refuse de consulter un médecin. Et si le poète a dit « Sois sage, ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille », Manfred réagit à l’opposé, la douleur lui étant nécessaire, comme si elle seule était capable de le détourner d’une souffrance mille fois plus pénible. Lorsque la douleur physique se calme, la torture mentale commence : Manfred ausculte son passé, et s’il faut y aller au scalpel, il n’hésite pas. Cela nous donne des pages dures, bien sûr. Mais que cela ne décourage personne, le livre en vaut la peine…

Fin d’une triste vie

8 étoiles

Critique de Manu55 (João Pessoa, Inscrit le 21 janvier 2004, 51 ans) - 27 mai 2005

Manfred se sait malade. Une douleur le travaille dans l’abdomen. Il sait que cette douleur va le conduire rapidement à la mort. Il décide de ne rien faire, de se laisser mourir.
À l’heure de la mort, un bilan noir d’une triste et sombre vie. Le roman de la vie de Manfred, vieil acariâtre, est déprimant, accablant..

« Il l’avait battue parce qu’elle avait vécu avant lui et sans lui. Il l’avait battue à cause du mal que lui-même n’avait pas fait. Il l’avait battue à cause de la guerre. Il l’avait battue à cause de sa beauté à elle, à cause de son fils, de son silence et de ses souffrances. Il l’avait battue parce qu’il l’aimait »

McLiam Wilson

8 étoiles

Critique de Jules (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans) - 23 avril 2004

Voilà une bien belle critique ! J'ai adoré "Eureka Street" de cet auteur, mais le sujet de celui-ci me semble solidement plus macabre. Dans "Eureka Street" il y a un aspect de désespoir, mais il y en a d'autres hilarants, tant McLiam Wilson décrit les choses d'une façon vraiment particulière. Il flirte souvent avec un humour à la Céline.

Pourrait-on en dire autant ici ? Le sujet me donne l'impression que non.

Forums: La douleur de Manfred

  Sujets Messages Utilisateur Dernier message
  Le rire dans la douleur de Manfred 3 Sahkti 11 septembre 2006 @ 16:12

Autres discussion autour de La douleur de Manfred »