La Naissance du sentiment de Jean-François Kervéan

La Naissance du sentiment de Jean-François Kervéan

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Tmichel, le 25 avril 2017 (Inscrit(e) le 18 juillet 2010, - ans)
La note : 5 étoiles
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La Grèce mérite un iota de mieux, quoi quoi!

Voici un roman historique a priori bien accrocheur. La Grèce du -Ve siècle, au tournant des époques archaïque et classique, ce n'est pas fréquent. En outre, il s'agit du monde de Sparte, cité "idéale", détestable ou admirable, ce sera selon nos penchants politiques et philosophiques de lecteurs, mais à coup sûr passionnant par son originalité. Un monde rude jusqu'à la cruauté, mais pensé, ce qui témoigne de son hellénitude.
Dans ce monde antésocratique, la citoyenne Carthas, veuve et mère, tente de garder en vie son fils en dépit de son infirmité, soigneusement cachée aux païdonomoï, éducateurs sans état d'âme: c'est pour lui une question de survie dans une société eugéniste et pour elle, malgré l'interdit sentimental, une réaction de mère frustrée. Il réussit à devenir "l'hoplite-presque-parfait", quoique personne ne soit dupe. C'est le temps où le futur Léonidas, ce Tartarin, s'élance de toute la force de son mauvais caractère vers le trône bicéphale de la cité avec ses mains déjà sanglantes. Car le sang coule pour un oui ou pour un non, à Sparte, c'est même une institution et c'est bien connu: il n'y faisait pas bon être un ilote! En attendant l'héroïque sacrifice des Thermopyles, Aphranax, fils de Gorgophonée (sic), fait son chemin dans ce monde de brutes d'où le cœur est exclu, quoiqu'on en ait.
Sur fond de Xerxès-Ubu à l'assaut de la Grèce et du monde, tout converge (sans préjudice ni au con, ni à la verge, ne vous en déplaise) vers l'ultime union des 300, hoplites d'élite, pour sauver la Grèce dans un enthousiasme régénéré.
L'intrigue nous emporte, je crois qu'on en conviendra. Sparte est très humaine, en creux comme en relief. Monde humain, trop humain. L'auteur ne plaide pas pour la "spartialité". Il nous ménage des réconforts, avec l'ilote Saad, par exemple, pauvre gamin gracié par son maître lors des ignobles crypties et qui en sort transfiguré.
Alors, oui, on se projette et se retrouve bien volontiers dans ce tissu romanesque, pour peu qu'on l'aime, cette Grèce qui nous a accouchés, de notre mère Europe, avec l'Occident presque entier, tels que nous sommes, un peu spartiates au vrai, pas qu'athéniens.
Il n'est pas sans intérêt non plus, quoique d'une violence grotesque, cet apologue des castors et des cygnes, prémonitoire de l'héroïsme stratégique de la rencontre avec les Perses. Ni non plus la présence limitrophe, presque sous-jacente, du merveilleux mythique dans la trame des événements. On s'y laisse prendre parfois: la Pythie nous fait pouffer, Saad, le gamin bègue possédé par la grâce, nous réjouit.

Mais il y a un mais. Voire plusieurs. Le propos volontiers ordurier, par exemple, notamment quand Léonidas et la mère d'Aphranax, son ami souffre-douleur, "baisent". J'ôte ma tunique et crac crac, je me stimule le "vit" et c'est reparti. Il est vrai que la Spartiate baisait sans son mari. Mais n'hyperbolisons pas, par Aphrodite: tout le temps et partout, cela relève plus du fantasme contemporain que de la vérité historique. Et puis quand Aphranax, par surprise, se fait "enculer", autre exemple. Ah bien sûr, les Grecs, hein... Mais, à mes yeux, plus grave, les anachronismes: pourquoi parler de "Via sacra" dans un temps où ces rustauds de Romains n'ont pas encore mis leurs sales calligae sur le sol grec? faire figurer l'écriture arabe pour faire "perse" alors qu'elle n'existait pas encore? transcrire en "Gorgophonée" ce qui devrait l'être sous la forme" Gorgophonè"? Et qu'il est difficile, par-dessus tout, d'encaisser ces barbarismes, pour ne pas dire béotianismes: "homoï" pour parler des Egaux est la plus flatulente, si j'ose dire: le terme exact est "homoïoï". Voilà qui est bien lourd de la part de qui prétend nous apprendre au passage un peu de grec ancien... Enfin: le jeu avec le terme "porte" pour baptiser les chapitres relève d'une finesse accablante! Décliné à l'infini ou c'est quasi. Quand on en arrive à "La porte dans la gueule", on en plaint l'auteur, quoi quoi (tic verbal de Léonidas)!
On comprend que le roi héros, Léonidas, ait fini chocolat... Je plaisante lourdement direz-vous? Ce jeu de mot est de l'auteur lui-même.

On peut le penser: c'est ce qui fait le sel lacédémonien de ce livre, soit. L'ouvrage a un goût de Péloponnèse antique. Mais le laconisme n'autorise pas tout, par la lyre d'Apollon!

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