L'Eternel sentit une odeur agréable de Jacques Chessex
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Les limites d'un écrivain
Dernier ouvrage de Jacques Chessex qui nous livre un bouleversant hymne à la sensualité, en mêlant harmonieusement (et très subtilement) fiction et réalité, en faisant de Roger Vaillant un des héros de son histoire. Un procédé habituel chez Chessex qui l'a utilisé à plusieurs reprises, notamment à propos de son père, ne voulant pas tromper le lecteur mais le promener en sa compagnie au fil de ses pensées et de ses errances. Qu'est-ce qui est réel, qu'est-ce qui l'est-moins, est-ce vrai ? Mais le faux existe-t-il dans la littérature ? L'écrivain ne possède-t-il pas tous les droits à partir du moment où il choisit de raconter une histoire à sa manière ?
Jacques Chessex, sous un habile brouillard de soufre, a-t-il le droit de réveiller des morts pour les attaquer et où devrait-il placer des limites ?
Mêler fiction et réalité est un des jeux préférés de Chessex, il l’a fait dans d’autres textes , notamment à propos de son père. On sent chez l’auteur un besoin d’exorciser comme il peut/veut des tourments qui ne le quittent pas et ne le laisseront jamais tranquille. Avec humour, drôlerie et verve poétique.
Un écrivain qui aime manipuler la poudre, avec, peut-être, une volonté déguisée d'interpeller, voire de choquer, afin qu'on se pose la question de savoir si un écrivain a le droit de tout oser. Et si oui, comment.
Dans le cas présent, l'éditeur pense utile de préciser qu'il s'agit de l'utilisation de personnes réelles dans une fiction. Autant se protéger tant certaines susceptibilités pourraient être froissées par le récit de Jacques Chessex qui présente Vaillant et son épouse comme des pervers sexuels abusant de paysans candides. Ce n'est pourtant pas un secret (je renvoie ceux qui voudraient en apprendre davantage à la biographie d'Yves Courrière, ainsi qu'aux Mémoires d'Elisabeth Vaillant). Si les personnalités des Vaillant sont plus ou moins conformes à la réalité, le décor planté par Chessex sort tout droit de son imagination. A partir de faits avérés, il a construit une fiction, un monde bien à lui tout entier dédié aux mystères du corps et de la sensualité. Avec beaucoup de similitudes, d'allusions ou d'évocations très précises de la vie de Roger Vaillant : sa maison de campagne, son militantisme communiste, ses relations avec un évêque qui acceptera de monter une pièce de Vaillant avec l'aide de la troupe paroissiale, réserve appréciable de chair dans laquelle se serviront allègrement Vaillant et sa femme.
Voyeur ce récit ? Peut-être. L'histoire est narrée par un rescapé de ces folies sexuelles, Jules-Henri Mangin, un serrurier à la retraite, qui explique que si Roger Vaillant était un homme correct dans sa débauche, il en allait tout autrement de sa femme (Lisina), perverse de talent, menaçante et dominatrice. Une femme dangereuse qui peut conduire à la mort (on apprend qu'une jeune fille s'est pendue un soir d'excès, fiction selon Chessex mais le doute est introduit).
Chessex induit (volontairement ?) la confusion en parlant de son admiration pour l'écriture de Roger Vaillant mais sous la plume de son héros, Jules-Henri Mangin, on ressent nettement moins cette affection. Un peu comme si Chessex laissait parler tour à tour l'ange et le démon sur son épaule, comme si il faisait les questions-réponses dans un jeu savamment mené d'avocat du diable. Une dualité que l'on retrouve dans le corps du récit, mêlant spiritualité et sexualité.
La dernière page tournée, l'esprit reprend son souffle, troublé qu'il est devant les informations qui lui sont données. Si il est clairement établi que Mr et Mme Vaillant ont passé leur temps à soudoyer de jeunes ingénues campagnardes dans le but d'abuser d'elles, le personnage de Jules-Henri Mangin, celui qui dénonce tout ça, est une pure création de Chessex. Difficile dans ce cas de faire la part des choses sans émettre des doutes, quelques soupirs et pas mal de questions, d'autant que l'admiration que Jacques Chessex voue à Roger Vaillant est réelle et intense. Chessex est Mangin et vice-versa. Au lecteur de se débrouiller avec ça. Tout en appréciant à sa juste valeur la poésie érotique de Chessex qui nous livre ici quelques superbes passages de douceur et de sensualité.
Les éditions
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L'Éternel sentit une odeur agréable [Texte imprimé], roman Jacques Chessex
de Chessex, Jacques
B. Grasset
ISBN : 9782246666714 ; 14,92 € ; 03/03/2004 ; 236 p. ; Broché
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Le Diable ou le bon Dieu
Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans) - 13 juillet 2010
Parmi les thèmes de ce roman, il y a bien sûr le sexe avec de nombreuses scènes lubriques mais cette fois-ci l’auteur a fait preuve d’assez de retenue pour ne pas dégoûter ses lecteurs. C’est un roman sur le bien et le mal, le déchirement d’un être qui avait voué sa vie à Dieu mais qui se voit détourné du droit chemin par une rencontre qui change sa vie du tout au tout et le fait basculer dans la luxure et le vice le plus débridé. En lisant, je pensais à Sade mais aussi, inévitablement, au livre « Le parfum » de Süskind. En effet, le narrateur semble posséder un organe olfactif anormalement développé car il capte les odeurs des gens et peut ainsi se faire une assez bonne idée de leur personnalité et du destin qui les attend. C’est un livre imprégné d’odeurs, de sensations, d’arômes et d’effluves corporelles diverses. Le narrateur devenu vieux, nous confie sa vie sur le ton de la confidence.
Belle écriture de monsieur Chessex mais je n’apprécie pas trop sa façon d’introduire des petits bouts de phrases les uns à la suite des autres ce qui a pour effet d’alourdir quelque peu la lecture et de couper la fluidité du récit. Et puis, il n’approfondit pas assez ses personnages ce que je trouve fort dommage. Par contre, les doutes et questionnements du narrateur sur la nécessité de vivre une vie dans la sainteté ou dans le péché sont intéressants. Sa crainte de s’être éloigné de Dieu par une vie de débauche trouve une issue tout à fait étonnante.
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