Marx et la poupée de Maryam Madjidi

Marx et la poupée de Maryam Madjidi

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Hcdahlem, le 30 mars 2017 (Inscrit le 9 novembre 2015, 65 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 490ème position).
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Marx et la poupée

Si vous cherchez un jour une définition du mot «littérature», alors sortez votre exemplaire de Marx et la poupée, car ce livre doit figurer dans la bibliothèque de tout honnête homme. Pour le résumer, il suffit d’une phrase: c’est l’histoire d’une famille iranienne contrainte à l’exil et qui doit s’inventer une nouvelle vie en France. Mais ce qui fait sa force, c’est qu’en le refermant, il vous restera des images fortes, des épisodes inoubliables, des émotions intenses. Bref, ce qui constitue l’épine dorsale de la bonne littérature.
L’un de ces épisodes marquants arrive dès les premières pages. Nous sommes en 1980 à Téhéran et la narratrice n’est pas encore née. Elle a même failli ne pas naître car sa mère, enceinte, se retrouve au cœur de la répression qui a suivi l’arrivée des ayatollahs, pourchassée par les gardiens de la révolution. « Ma mère porte ma vie mais la Mort danse autour d’elle en ricanant, le dos courbé ; ses longs bras squelettiques veulent lui arracher son enfant ; sa bouche édentée s’approche de la jeune femme enceinte pour l’engloutir. »
Elle finira par s’en sortir et accoucher, mais ni elle, ni sa famille ne voudront renoncer à leur liberté. La maison familiale, dans le quartier de Tehranpars sert aux réunions politiques clandestines. On y discute de Marx et d’une autre révolution, on parle de liberté. Vu par les yeux de la petite fille qui grandit dans cette ambiance, ce monde d’adultes est absurde. On y cache les tracts dans des couches-culottes, on enterre les livres signés Marx, Lénine, Che Guevarra dans le jardin ou on met en prison des gens dont les cheveux volent au vent. L’oncle Saman, qui a pris l’habitude de lui offrir une Golé Maryam, la belle fleur qui embellit son jour d’anniversaire, ne viendra pas. Il a été arrêté porteur de tracts et jeté en prison à Evin.
C’est là qu’un détenu passe son temps devant la télévision, regardant un stupide dessin animé. On se dit que l’intellectuel est en train de perdre la raison avant qu’il n’explique qu’il écoute la voix de son épouse, chargée de doubler l’un des personnages.
La répression est de plus en plus forte. Les participants à des fêtes privées sont impitoyablement poursuivis. Il est temps de songer à fuir. Les jouets sont répartis entre les enfants pauvres du quartier, achevant de briser le moral de la petite fille : «Je me sentais si seule au monde. J’étais convaincue que je vivais avec deux monstres qui me déposséderaient de tout.»
La vocation littéraire de l’auteur – double de la narratrice – date sans doute de ce moment où elle a dû monter dans un avion partant vers la France en laissant derrière elle sa grand-mère chérie et son pays natal : « Je voudrais semer des histoires dans les oreilles de tous les êtres. Je veux que ça fleurisse, qu’il en sorte des fleurs embaumantes à la place de toutes les fleurs manquantes, absentes, de toutes les Golé Maryam qui auraient dû être offertes et qui n’ont pas pu l’être. »
Si dans les chapitres suivants il n’est pas question de violence ou de répression, la tension ne faiblit pas pour autant. Car Maryam Madjidi dit la souffrance née de l’exil. Elle raconte, par exemple, comment son père doit subvenir aux besoins de la famille en acceptant tous les petits boulots qui se présentent. Pour cela, elle nous raconte comment les mains de son père changent. Grâce à un Iranien d’origine turque, il est d’abord tôlier-peintre dans un garage, avant que ce dernier ne ferme. Au chômage, ses mains devaient trouver quelque chose d’autre rapidement. Elles vont alors devoir travailler le bois, le béton, les briques, le ciment, le gravier, la peinture, les tuiles, la moquette, les enduits, le carrelage. « Puis un jour ses mains ont commencé à moins travailler, elles étaient fatiguées, ridées et craquelées par endroits. Il y avait aussi la marque d’innombrables blessures laissées par la matière et l’outil. La peau était devenue aussi dure que du cuir. »
Il passera alors à la calligraphie, dessinant de belles lettres persanes et cherchera dans l’opium de quoi soulager son vague à l’âme.
Sa fille ne va guère mieux. Elle ne retrouve pas les saveurs de son enfance, la musique de la langue de son pays. Elle va refuser de manger, refuser de parler. Fort heureusement pour elle, l’arrivée d’un couple de réfugiés iraniens et leur fille Shirin va lui permettre de retrouver le moral. Avec cette compagne de jeux joyeuse et pleine de vie, elle trouvera la complice qui lui permettra de trouver une place dans cette société parisienne. Comme un bouchon de champagne qui explose, elle accepte de lâcher les mots qu’elle a patiemment appris, sans toutefois vouloir les dire. « Les mots se pressaient pour sortir, impatients qu’ils étaient, ça fusait dans le petit studio, ils volaient, ils dansaient, ils butaient contre les meubles, ils s’élançaient de ma bouche comme des flèches et touchaient le plafond et les murs, ils virevoltaient eux-mêmes, soulagés d’être enfin libérés de ma bulle intérieure, enchantés de pouvoir enfin communiquer avec les autres. Tout l’espace était rempli de mes mots français. »
N’allez toutefois pas croire que ce premier roman si sensible devient alors une ode à l’intégration. Tout au contraire, il est question de rentrer au pays, de retrouver les parfums qui manquent tant à la famille, les amis et les proches qui souffrent en silence. Une image de plus suffit à faire voler en éclats ce rêve. En voyant sa petite fille faire du vélo en short et débardeur, son père comprend que ce retour est impossible : « On ne peut pas partir. Je ne peux pas lui enlever cette liberté si innocente. »
Il faudra attendre 2003 pour que la jeune femme retourne à Téhéran. Mais ne pourra pas y rester car son passeport ne suffit pas à faire d’elle… une iranienne.
Voilà sans doute le plus authentique des témoignages sur la condition des migrants. Ici foin de considérations politiques ou économiques. C’est le cœur, la chair, les sens qui parlent. C’est poignant, ironique, vrai. C’est de la grande littérature. http://urlz.fr/52NC

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Il n’y a pas que les arbres qui ont des racines

7 étoiles

Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 19 février 2021

Ce livre présenté comme un roman reste avant tout une biographie de l’enfance et la jeunesse de l’autrice.

Elle y raconte d’abord son pays d’origine, l’Iran, que ses parents, communistes ont quittés alors qu’elle avait 6 ans, fuyant la dictature islamiste de Khomeini. Ensuite elle évoque son adaptation difficile en France, pays de liberté et de démocratie, mais tellement fade en comparaison aux saveurs et à l’extériorisation persane.

Et finalement, l’autrice ou la petite-fille, suivant les chapitres, se livre à des digressions sur la culture et les langues avec lesquelles elle doit jongler.

On est donc face à une analyse assez complète et lisible de ce que peut ressentir une enfant qui doit vivre une telle aventure, remplie de frustrations mais aussi, comme pour beaucoup d’Iraniens, vécue comme une chance et une volonté de renaître sans oublier ses racines.

L'écriture salvatrice

8 étoiles

Critique de Deashelle (Tervuren, Inscrite le 22 décembre 2009, 15 ans) - 12 décembre 2017

Le résumé: Depuis le ventre de sa mère, Maryam vit de front les premières heures de la révolution iranienne. Six ans plus tard, elle rejoint avec sa mère son père en exil à Paris.
À travers les souvenirs de ses premières années, Maryam raconte l’abandon du pays, l’éloignement de sa famille, la perte de ses jouets – donnés aux enfants de Téhéran sous l’injonction de ses parents communistes -, l’effacement progressif du persan, qu’elle va tour à tour rejeter, puis adopter frénétiquement.
Maryam Madjidi écrit avec humour et tendresse le livre de l'exil fondateur. Elle évoque la brutalité de la révolution iranienne et la perte de liberté. Le déboires de l'installation à Paris, loin de la figure tutélaire de la grand-mère iranienne. Ses différentes naissances au gré de l'apprentissage de la langue d'adoption et ensuite, sursaut d'identité retrouvée, de la redécouverte de la langue enterrée... Ses racines, tour à tour, fardeau ou rempart. Et finalement l'écriture,
élément fondateur de paix et de reconstruction intime.
. « Je voudrais passer ma vie à récolter des histoires. de belles histoires. Dans un sac, je les mettrais et les emporterais avec moi. Et puis au moment propice les offrir à une oreille attentive pour voir la magie naître dans le regard. Je voudrais semer des histoires dans les oreilles de tous les êtres. Je veux que ça fleurisse, qu'il en sorte des fleurs embaumantes à la place de toutes les fleurs manquantes, absentes, de toutes les Golé Maryam qui auraient dû être offertes et qui n'ont pas pu l'être. »

Un livre où l'apaisement et la réconciliation avec soi-même suivent les douleurs de l'exil forcé!

Le coeur partagé

8 étoiles

Critique de Pascale Ew. (, Inscrite le 8 septembre 2006, 57 ans) - 14 août 2017

Bien que ce livre soit présenté comme un roman, l'auteur y raconte son histoire : quelques années après la révolution iranienne, Maryam dut quitter son pays à l'âge de six ans. Déjà auparavant, elle avait dû se séparer de ses jouets parce que ses parents voulaient lui apprendre le partage communiste. Ses parents étaient des militants, des résistants - sa mère s'était jetée d'un septième étage enceinte pour échapper à des milices qui l'a poursuivaient. Ils finirent par se résigner à partir pour protéger leur fille.
Maryam relate ensuite son arrivée en France, sa vie, son adaptation qui fut un déchirement, face à une montagne d'incompréhension. Forte personnalité, elle commence par refuser de parler (en attendant d'être sûre de ne pas faire de fautes de langue), puis par refuser de manger (elle abhorre la nourriture de la cantine), enfin de parler sa langue maternelle ou de l'apprendre (pour changer d'avis quelque temps plus tard et l'étudier une fois adulte). Adulte, elle joue de sa double nationalité, utilise les poèmes persans pour séduire, mais elle finit par admettre ses blessures, comme le lui suggère sa grand-mère qu'elle voit de temps en temps en apparition. Elle retourne dans son pays d'origine, retrouve sa famille et devient une femme internationale qui habite tour-à-tour en Chine, en Turquie, etc.
Ce livre est découpé en trois naissances, qui correspondent chaque fois à sa relation à la langue : le persan, le français, puis le retour au persan, avec lequel elle fait la paix. Par ailleurs, l'auteure fait des allers-retours entre toutes les époques de sa vie par moments et c'est très (trop) déroutant. Elle alterne également entre des passages en 'je', 'tu' ou 'elle', tout en parlant de la même personne. C'est un style original.
L'auteure relate ses colères, ses tristesses, ses révoltes, ses souvenirs, ses hontes, ses blessures liées à l'exil…, ses parents fougueux qui s'éteignent peu-à-peu. Son point de vue extérieur de l'intégration est très interpellant.

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