La joyeuse complainte de l'idiot de Michel Layaz
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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épopée adolescente
Je ne connaissais pas Michel Layaz ; à la faveur d’une caisse de livres vendus d’occasion à la devanture d’une librairie, je suis tombé sur "La joyeuse complainte de l'idiot", ce qui m’a valu une franche tranche de plaisir presque rabelaisien. Ici, on est loin du réalisme pur et dur, et pourtant, tout nous y ramène. Cette vision du monde étriqué d’un pensionnat pour adolescents "demeurés" (en fait des doux dingues dont les parents se débarrassent en les confiant à une collectivité), racontée par un de ces "idiots", a des accents épiques, ainsi qu’une saveur verbale enfantine. Notre chroniqueur est faussement candide.
L'institution "La Demeure", dirigée par Madame Vivianne (avec deux n, comme le souligne le narrateur, un des "idiots"), fait preuve de méthodes éducatives originales. Il s'agit de préparer ces adolescents à sortir au dehors, à vingt-et-un ans au plus tard, en sachant se débrouiller dans la vie, débarrassé de l'insignifiance et de la sottise du monde alentour. Le chroniqueur dresse donc le tableau des employés qui aident Madame Vivianne dans cette tâche difficile : Monsieur Alberto, l'homme de ménage, qui meurt si on lui enlève son éternel torchon-doudou à la saleté repoussante ; Josette, la réceptionniste vissée à sa chaise tourbillonnante, que le narrateur découvre un jour saillie par Monsieur Hadrien le jardinier ; Karl, l'étonnant professeur humaniste aux conseils toujours judicieux, Monsieur Guillaume, qui enseigne les manières d'être, et raconte inlassablement d'une voix suave ses aventures antérieures ; le surprenant docteur Félix, qui interdit qu'on pénètre dans son antre, et qui rêve d'une ville idéale, où la procréation sera réservée aux mâles de plus de 85 ans ("le problème avec les hommes, et avec les pères en particulier, c’est leur obstination à demeurer ce qu’ils sont, c’est-à-dire une construction achevée, figée dans une attitude toujours plus ou moins ratée, comme un animal empaillé, une bête morte et sans mystère, de l’âme prévisible, de l’esprit prévisible, de l’humour prévisible, des colères prévisibles, une intelligence sans surprise qui refuse toute bifurcation"), ce qui permettra aux enfants de rêver leur père (puisque celui-ci mourra alors qu'ils sont en très bas âge) et où on veillera à préserver les enfants des mères possessives ; Blanche et Marguerite, les deux cuisinières jumelles, qui enseignent le plaisir de la bonne chère.
Quand ils sortent (rarement) de ce paradis, le narrateur et son ami Raphaël se font moquer par les jeunes "normaux", dont la seule hantise est de faire fortune avant la trentaine : "ces pauvres mortels qui comptent leur argent en répétant que c’est là une occupation raisonnable et qui oublient la seule chose essentielle qui leur est comptée : le temps". Eux, les "idiots", sont bien plus utopiques, et ils trouveront comment sauver l'institution, menacée d'être vendue.
Sous l'aspect d'une sorte de fable, voilà un roman fantaisiste, peut-être, qui pourra apparaître extravagant à d'autres (on pense à Queneau parfois), mais qui n'oublie pas de prononcer une satire de notre société trop normative, ou trop tiède : "Les tièdes s’estiment, se respectent, se placent, prennent du pouvoir, gagnent du galon, les tièdes s’adressent un sourire en coin devant leur glace, ils se reconnaissent dans la rue, ils se font élire, nommer, nominer, ils entretiennent leur progéniture réplique exacte !... Ils pullulent !..." Ces "idiots" savent vivre, en fait, peut-être grâce aux réjouissantes méthodes éducatives des adultes qui les entourent :
"Si donner est un art, recevoir en est un autre." Eh bien, il s’agit de recevoir ce livre !
Les éditions
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La joyeuse complainte de l'idiot [Texte imprimé], roman Michel Layaz
de Layaz, Michel
Points / Points (Paris)
ISBN : 9782757818282 ; 6,10 € ; 17/03/2011 ; 155 p. ; Poche
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