Le tabac Tresniek de Robert Seethaler

Le tabac Tresniek de Robert Seethaler
(Der Trafikant)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Tistou, le 5 novembre 2016 (Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 8 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (3 307ème position).
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Vienne, entre 1937 et 1938

Robert Seethaler ne se refuse rien : il dispose de la belle ville de Vienne qui, entre l’été 37 et celui de 38 voit progressivement la vague nazie déferler, d’un jeune homme, Franz Huchel, qui vient de quitter son village de Haute Autriche natal pour venir travailler avec Otto Tresniek, propriétaire d’un tabac à Vienne et connaissance de sa mère. Il dispose aussi d’un contexte historique conséquent mais il lui en faut plus apparemment puisqu’apparait dans son roman – et à une place significative – ni plus ni moins que le « Docteur Sigmund Freud ». Himself !
Franz Huchel, donc, dans un contexte de misère quitte sa mère avec laquelle il vivait près des montagnes qui bordent l’Attersee, sur l’injonction de celle-ci qui ne parvient plus à trouver la subsistance pour eux deux. Il a dix-sept ans. Elle l’adresse à Otto Tresniek, une connaissance qui tient un tabac à Vienne et engage le jeune homme comme apprenti, dans un contexte global pour Franz évidemment très différent de ce qu’il avait toujours connu ; Vienne est singulièrement différente des rives de l’Attersee ! Et de fait, apprendre, c’est ce que va faire Franz, drivé en cela par Otto Tresniek, mentor, et pas seulement en tabac et cigares. « Le tabac Tresniek » est typiquement un roman d’initiation, à la vie, à la guerre peut-être qui pointe son nez, à la mort sûrement. Educations citoyenne, politique, humaine, tout cela se déroule harmonieusement sous la plume de Robert Seethaler au fil d’une histoire jamais ennuyeuse et qui recrée magnifiquement l’ambiance d’un pays, d’une ville, qui perdent progressivement leur insouciance au fil de la montée en puissance du nazisme.
Et puis donc, donc, il se trouve qu’un vieux monsieur digne était client du tabac Tresniek où officie Franz. Franz qui se trouve attiré, intrigué, par cette personnalité avec qui il va finir par entrer en contact. Et nous avec du coup. C’est l’occasion de rentrer dans un bout de vie du Docteur Sigmund Freud, qui vit seul avec sa fille – qui vit des moments troubles qu’on n’aimerait franchement pas voir revenir.
Au bout d’un été Franz aura achevé sa mue. Il aura été éduqué. Pas sûr pour autant que son avenir soit prometteur !

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Autriche, grandeur et décadence

9 étoiles

Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 8 juin 2018

Robert Seethaler, auteur contemporain viennois, nous conte l’histoire de Franz, fils naturel d’un bourgeois de la Haute-Autriche. A la mort soudaine de ce dernier, qui entretenait financièrement sa mère, cette dernière envoie son fils à Vienne afin qu’il y exerce un emploi chez une vieille connaissance, Monsieur Tresniek, buraliste unijambiste et ancien-combattant de la grande guerre.

A la veille de l’Anschluss, le jeune Franz va découvrir ce qu’il croit être l’amour, les conflits sociaux et le racisme, mais surtout un confident en la personne de Sigmund Freud qui habite à deux pas du bureau de tabac. Plus qu’un roman historique, c’est une ambiance de fin d’époque et de misère économique et sociale que l’auteur nous décrit de manière remarquable. Un petit bijou qui se lie d’une traite et qui réjouira les lecteurs férus d’histoire du 20ème siècle.

Bien sûr, on peut comprendre certaines critiques qui trouve ce roman un peu léger, mais ce très beau style rend selon moi parfaitement le caractère naïf et profond de notre héros emporté par la tourmente de la peste brune. Par ailleurs, il fait une belle jonction avec des livres que je viens de terminer comme le dernier Goncourt « L’ordre du jour » ou «Un requiem allemand » de Philip Kerr, ce dernier roman évoque aussi Vienne, mais dix ans plus tard.

Une vraie découverte !

Fable amère

6 étoiles

Critique de Elko (Niort, Inscrit le 23 mars 2010, 48 ans) - 30 juillet 2017

Franz, 17 ans, mène une vie protégée sur les rives de l’Attersee. Les tumultes qui font rage dans cette Europe de 1937 semblent bien loin de ses préoccupations. Puis c’est le départ contraint pour Vienne, où il rejoint un ami de sa mère, Otto Tresniek, pour travailler dans son tabac-presse. Tout se bouscule : l'antisémitisme monte et menace Otto qui est juif et Franz tombe éperdument amoureux. Il se trouve alors emporté dans le maelstrom des événements et de ses sentiments. Mais la candeur et l’absolutisme de son âge résisteront-ils à l’implacable mécanique nazie ?

C’est une histoire touchante que celle de cet enfant propulsé dans la violence du monde. Mais j’ai eu l’impression de n’aborder que l’écume des choses. N’avoir eu accès qu’à une partie de l’histoire. Et la relation avec Freud ne m’a semblé être qu’un faire valoir dispensable. Entre fable et réalité je n'ai pas su choisir. Il me reste un goût d'inachevé.

Etonnant Franz

8 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 13 juin 2017

L'enfance tranquille et paisible de Franz bascule quand il doit quitter les rives tranquilles de l'Attersee et sa maman pour vivre à Vienne, chez Otto Tresniek, "buraliste unijambiste", employeur, maître, homme bon et sage.
Franz découvre le monde, faisant à vitesse accélérée l'apprentissage de la vie, entre sa première relation amoureuse, sa rencontre et ses échanges avec Freud, mais découvre aussi avec incrédulité la vilenie humaine et la montée du nazisme.

Si je n'étais pas passionnée par le début de ce roman, j'ai été très vite touchée par ce mélange de sagesse, de candeur, d'innocence, de naïveté, par la perception et les réflexions d'une grande intelligence, d'une grande finesse du jeune héros, mêlant le courage et l'inconscience de la jeunesse.
"Combien d'adieux peut supporter un être humain ? se demandait-il . Peut-être plus qu'on ne croit. Peut-être pas un seul. Rien que des adieux, où qu'on soit, où qu'on aille, on devrait être prévenu."
Un roman original et émouvant, qui décrit sans violence mais avec beaucoup de talent la montée inexorable du nazisme et de ses atrocités.

Saleté d'époque...

8 étoiles

Critique de Myrco (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 75 ans) - 2 avril 2017

Disons le tout de suite: sans le prix CL, je serais passée à côté de ce livre et malgré quelques réserves, c'eut été dommage!

Si ce n'était par l'écriture fraîche, souvent piquante voire primesautière parfois - à l'image du jeune héros - teintée d'un humour léger, la première moitié du roman ne m'avait guère séduite. Celui-ci commence en effet comme un roman d'apprentissage assez classique et l'introduction d'une relation improbable avec la figure emblématique de Freud m'est apparue comme une tentative peu convaincante de pimenter un propos a priori peu original. Par ailleurs, j'ai également été gênée par le manque d'authenticité, à mon sens, de certains comportements du jeune Frantz. Je ne veux en citer pour exemple que la scène de la grotte aux contes au Prater: jolie idée sur le plan littéraire qui me paraît néanmoins à côté de la plaque d'un point de vue psychologique. Il me semble que ce n'est que beaucoup plus tard que l'on éprouve cette nostalgie douloureuse du paradis perdu de l'enfance et non à ce moment charnière de l'existence vécu dans l'exaltation de la découverte et de la liberté.

J'ai par contre trouvé la seconde moitié (l'après Anschluss) remarquable par la manière dont l'auteur est parvenu à traiter cette montée en puissance de l'intensité dramatique avec la plus grande sobriété. Sans doute fallait-il cette relative légèreté (j'allais dire banalité) du temps de l'insouciance et des premiers émois amoureux pour mieux créer ce basculement dans l'inacceptable dans lequel il nous immerge, d'abord doucement, insidieusement, par la grâce d'une plume délicate, sans le moindre pathos. Nous sommes alors saisis jusqu'à l'oppression par la restitution de cette atmosphère délétère de cette Vienne d'après mars 38: " Tout était pensable. Tout était possible " dans " une ville devenue folle ". L'auteur traite avec une ironie caustique la propagande véhiculée par la presse de l'époque et croque avec talent les comportements d'auto-préservation du plus grand nombre: ne rien voir, ne rien entendre, ne rien dire , jusqu'à l'allégeance passive du facteur qui préfère renoncer à toute tentation d'esprit critique: après tout" Si le Führer ne savait pas ce qu'il fait, il ne serait pas Führer ".

La scène pour moi la plus marquante reste celle de ce pantalon hissé en haut du mât, en lieu et place de la bannière nazie, comme un pied de nez à l'oppression et un ultime hommage à l'esprit de résistance et de liberté. Quelques jours après avoir refermé ce livre qui m'a laissé un goût bien amer, j'étais encore hantée par la pensée de ceux qui ont osé braver ce totalitarisme abject... les meilleurs, hélas!

La Vienne d'avant-guerre

9 étoiles

Critique de Ellane92 (Boulogne-Billancourt, Inscrite le 26 avril 2012, 49 ans) - 3 mars 2017

Je participe au prix CL entre autres pour découvrir des livres que je n'aurais jamais lus de moi-même. Je fais souvent, de cette manière, deux ou trois belles découvertes par an. Le tabac Tresniek n'est pas un livre que j'avais envie de lire de prime abord. Et bien, il fait sans aucun doute partie de mes belles découvertes de cette année !
Ce livre de R. Seethaler tient à la fois du roman d'apprentissage et de la peinture sociale d'une Vienne d'avant-guerre, décrivant la montée nazie précédant le début de la seconde guerre mondiale au travers du regard d'un jeune garçon de la campagne qui monte à la capitale. Franz est un jeune garçon touchant, un candide, un pur, sans pour autant être niais. Sa simplicité et sa ténacité lui feront découvrir l'amour, pas toujours simple, l'amitié d'un vieux monsieur à la fois professeur et juif, un certain Sigmund Freud, le monde parfumé des cigares que vend son maitre d'apprentissage, l'unijambiste Otto Tresniek, tout en gardant en lui l'image du lac auprès duquel il a grandi et en chérissant sa mère, avec laquelle il correspond.
Le sujet est grave, le monde devient fou, les voisins se battent ou se dénoncent, la gestapo surveille les entrées et sorties des bâtiments, les courriers, et les intellectuels sont en dangers et s'enfuient tandis que l'Autriche change... Parfois même, des gens disparaissent quand ils sont emmenés à l'hôtel Metropol.

Les évènements ne glissent pas sur Franz, ils le sculptent, le dégrossissent, pour qu'il ne reste plus que l'essentiel : un jeune homme ouvert, juste, bienveillant et courageux. Mais bien sûr, pas plus le monde d'avant-guerre que celui d'aujourd'hui ne peut se permettre de laisser marcher dans ses rues de tels jeunes gens.
Un livre que je vous conseille.

Comment la peste arrive...

10 étoiles

Critique de Pieronnelle (Dans le nord et le sud...Belgique/France, Inscrite le 7 mai 2010, 77 ans) - 6 février 2017

Ce livre détient une force incroyable de par son thème et surtout son écriture. Thème grave, sur un sujet pourtant très souvent abordé, celui du nazisme ; mais ici il s’agit du nazisme ordinaire, tel qu’il s’est infiltré de façon insidieuse, dans le, les pays même, où il s’est développé dans les conditions que l’on connaît. Là nous sommes en Autriche, et le fou furieux commence à distiller son venin , dans les journaux, chez les petits commerçants, les marchés, les ragots de rue...
C’est dans cette atmosphère que Franz, le jeune homme venant de sa campagne autrichienne, débarque à Vienne chez Otto Tresniek qui tient un tabac pas tout à fait comme les autres, où on lit la presse, et où l’on rencontre encore des gens de toutes classes sociales. Un beau personnage que cet Otto, unijambiste après avoir perdu sa jambe pendant la précédente guerre. Otto vend du tabac sous toutes ses formes mais il ne fume pas ; Otto lit les journaux ! Et il transmettra ce goût de la lecture à son jeune employé. Mais pas seulement :
«Par un matin triste et gris, le carillon émit un trémolo hésitant, et un vieux monsieur pénétra dans le tabac. Il n’était pas bien grand, et assez fluet, presque décharné. Quoique leur coupe fût irréprochable, son chapeau et son manteau avaient un peu l’air de sortir d’un autre temps (...) «Bien le bonjour, monsieur le professeur, dit Otto Tresniek...»
LA rencontre ; celle d’avec FREUD, venu chercher ses cigares préférés.
Je n’ai pu m’empêcher de voir dans cette apparition celle de la vieille Autriche, encore digne et savante, qui commence à s’effondrer.
Si ce roman est certes un roman d’apprentissage, cette rencontre avec le vieux professeur lui donne une autre dimension. Elle se transforme en une réflexion profonde, avec parfois un humour noir et désespéré.
Ces deux personnages si différents, Franz et Freud, deviennent de ce fait complémentaires. Que d’interrogations dans leurs dialogues apparemment simples ; le doute chez celui qui avait sondé l’âme humaine, le questionnement chez celui qui découvre le monde de l’intelligence dans un univers déboussolé très proche de l’absurdité. Mais tous les deux se retrouvent dans une incompréhension envers les hommes, bien proche de la désespérance .

L’écriture de l’auteur, riche, chaleureuse, généreuse, jamais dramatique, qui ne se contente pas de relater simplement des événements, relie, rallie deux mondes, l’un naïf, simple, plein de bon sens, au regard clair, face à un autre qui se remplit de noirceur, de haine, de ressentiments, de désir de revanche.

"De plus en plus de gens saluaient le bras tendu en disant "Heil Hitler". Franz, à qui ça semblait un peu exagéré, avait trouvé une formule peu compromettante et répondait : "Merci, vous aussi."

Bien sûr il y a l’histoire d’amour, non partagé, entre Franz et la jeune Anezka ; signe que même l’amour dans ces temps sinistres est incapable de réconcilier les hommes ? Mais il ressort de ce très beau roman, la constatation terrible que le danger de cette peste noire peut arriver tout doucement, si on n’y prend garde, surtout quand elle est enveloppée d’une soi-disant liberté d’expression individuelle, celle qui autorise la délation, les rejets, les propos haineux, le droit de tuer, au nom d’un nationalisme qui «protégerait» du danger des «autres» ,et de celui de la grandeur d’une Nation. La scène chez le boucher en face du tabac est terrible et édifiante !
Mais, à côté de ce désespoir, il y a aussi dans ce livre de belles choses, les lettres entre Franz et sa mère ; les rêves de Franz recopiés sur des papiers et collés sur la vitrine du tabac, poétiques et absurdement courageuses ; l’amitié entre le grand professeur et ce jeune garçon ; le geste de Egon le Rouge qui préfère choisir sa mort.... et celui de Franz !
J’ai aimé que les lycéens l’aient sélectionné, pas pour juger mais pour comprendre comment Ca peut arriver :

«Même les oiseaux sont devenus fous, maintenant, remarqua Franz en frôlant le gravier du pied.
-C’était l’oiseau de la peste, murmura Freud. On dit qu’il apparaît avant l’irruption des épidémies, des guerres et autres catastrophes» (...)
«Est-ce qu’il va se produire une catastrophe, monsieur le Professeur ?
-Oui, dit Freud en levant les yeux dans la direction de l’oiseau de la peste, qui avait depuis longtemps disparu quelque part derrière le Burgtheater.
-Monsieur le Professeur, je crois que je suis un drôle de crétin, conclut Franz après quelques instants de silence et d’intense réflexion.J’ai autant de cervelles que nos moutons bêlants de Haute Autriche.
- Mes compliments, la lucidité est la condition première du progrès sur soi.»

Intrigues secondaires mal agencées

5 étoiles

Critique de Sentinelle (Bruxelles, Inscrite le 6 juillet 2007, 54 ans) - 7 janvier 2017

J’avoue avoir été déçue par cette lecture, avec cette impression que le romancier avait systématiquement survolé la plupart des thématiques abordées. La rencontre entre Freud et Franz sonne faux et les conversations qu’ils entretiennent au gré des rencontres me semblaient tellement douteuses et improbables qu’elles en devenaient problématiques en ce qui me concerne. L’ébauche de l’éveil sensuel et du sentiment amoureux avec la jeune artiste de cabaret Anezka n’est pas non plus des plus réussies. Je pense finalement que l’auteur aurait gagné à recentrer son intrigue sur les soubresauts politiques et sociaux de la Vienne de l’époque, en renforçant la focale sur les relations du buraliste unijambiste et du jeune Franz, au lieu de s’éparpiller dans plusieurs intrigues secondaires mal agencées, peu approfondies et finalement pas très abouties. Dommage également que la relation entre Franz et sa mère soit si vite escamotée, tant on sentait là quelque chose de prometteur mais à nouveau pas assez exploité.

Un roman d’apprentissage pas toujours convaincant et un peu trop léger à mon goût. Cette première rencontre avec l’auteur ne fut pas aussi réussie que je l’espérais mais je reste tout de même sur une impression globalement plus positive que mon commentaire pourrait le laisser penser. Je compte donc revenir un jour ou l’autre vers cet auteur autrichien, histoire de ne pas rester sur cette première appréciation mitigée.

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