Les contes défaits de Oscar Lalo

Les contes défaits de Oscar Lalo

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Lucia-lilas, le 2 novembre 2016 (Inscrite le 21 février 2016, 58 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 8 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (730ème position).
Visites : 3 312 

Une vie en pointillés...

A vrai dire, je ne m’attendais pas du tout à découvrir une histoire aussi terrible : est-ce le mot « conte » qui me laissait imaginer tout autre chose ? Ma surprise n’en a été que plus forte lorsque j’ai découvert un narrateur détruit, vide, un homme incapable de devenir un adulte, ne sachant ni aimer ni être aimé. « Je suis sans fondations. Ils m’ont bâti sur du néant. Je suis un locataire du vide, insondable et sans nom, qui m’empêche de mettre le mien. »
Quel événement est à l’origine de cette impossibilité d’être ?
Alors qu’il était enfant, le narrateur partait en vacances dans un « home », espèce de colonie de vacances sur laquelle régnait en maître une femme-tyran qui terrorisait tous les gamins en imposant des lois absurdes : ne pas courir, ne pas sauter, ne pas se cacher, ne pas parler, ne pas crier, ne pas se salir, ne pas tomber malade, ne pas être en sueur… Evidemment, ce n’est pas tout à fait comme cela qu’un enfant imagine ses vacances mais il vaut mieux se taire que d’être frappé.
Cependant, le pire n’était pas la femme mais l’homme, le mari de la Thénardier : lui ne frappait pas, il caressait, longtemps, trop longtemps…
Mais, comment peut-on se plaindre d’une caresse ? Il était si gentil, ce directeur, il écoutait les enfants, les réconfortait. Lui, au moins, on pouvait le tutoyer. Alors, les enfants abusés se taisaient pour ne pas lui faire de la peine.
Si dans les contes, les méchants sont les méchants, la réalité s’amuse à brouiller les pistes… Derrière le berger, se cache peut-être le loup…
Alors, quand la main de la mère lâche celle de l’enfant au moment de monter dans le train, c’est la panique : « Ce sont nos parents qui nous conduisaient au train. A qui se plaindre quand c’est la police qui vous livre ? » Les parents n’y voient que du feu : la brochure vantant les mérites du « home » présentait les enfants attablés devant jus d’orange, croissants et pots de confiture. Et puis, « c’était cher, donc ça soulageait la conscience de nos parents qui se débarrassaient d’autant plus aisément de nous. »
Malgré quelques tentatives d’opposition, l’argument parental tombe comme un couperet : « « Tu comprends, y a rien à faire. » C’était vraiment ça la force de ce lieu : nos parents n’avaient rien à faire. Ils étaient comblés. Quant à nous, dès lors que nos parents n’avaient rien à faire, nous n’avions rien à dire. »
Mais à soixante-cinq ans, le narrateur, seul face au puzzle de sa vie, constate qu’il lui manque une pièce. Et pourtant, apparemment, il a, comme on dit, « réussi sa vie ». Apparemment seulement, car à l’intérieur, tout est creux, tout est vide. « Je suis un post-it qui ne colle plus. » Pas d’identité réelle, une vie qui consiste à faire semblant, à imiter, à s’agiter. « Je me suis inventé mille vies car je n’en vis aucune. » Il est un homme « éparpillé » comme le suggère le dessin de la couverture où l’on voit une tête qui semble s’effriter en une multitude de points. Son unité est perdue. Il est « défait » au sens militaire du terme, vaincu, écrasé. L’enfant abusé est en morceaux, en pièces. Adulte, il restera comme émietté en dedans.
Seule l’écriture peut encore l’aider : « Et c’est ainsi qu’en calligraphiant la laideur, j’ai tracé des lignes de vie que je ne connaissais pas. » Minces lignes de fuite pour quelqu’un qui a besoin de dire son passé, de nommer ce qui l’a détruit.
Un texte très fort, écrit avec beaucoup de pudeur et de retenue : en effet, tout est suggéré, murmuré, parfois même comme dissimulé derrière des jeux de mots qui sont autant de feux de détresse tirés à l’horizon d’une vie gâchée par des gestes déplacés, des parents aveuglés et égoïstes, un entourage absent.
Un sujet sensible traité avec beaucoup de délicatesse…

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Les éditions

  • Les contes défaits [Texte imprimé], roman Oscar Lalo
    de Lalo, Oscar
    Belfond
    ISBN : 9782714473868 ; 18,00 € ; 25/08/2016 ; 224 p. ; Broché
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Quel écrivain de talent !

10 étoiles

Critique de Didoumelie (, Inscrite le 5 septembre 2008, 52 ans) - 17 avril 2017

Tout a été dit plus bas.
Premier roman édifiant à l'écriture autant poétique qu'incisive et tranchante. Toujours des mots justes, des atmosphères décrites telles qu'on s'y croirait, le tout sur un sujet grave avec sur un ton juste.
Vivement son prochain livre !!!

Une plume unique

10 étoiles

Critique de Tsar (, Inscrite le 7 février 2017, 44 ans) - 7 février 2017

C'est une histoire au thème dur et si bien écrite. Sur un sujet tel que celui ci, aucune erreur ne serait d'ailleurs possible pour le lecteur. Oscar Lalo détient une plume surprenante. Merci pour ce beau moment de partage

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Bravo, très bel ouvrage

10 étoiles

Critique de Nicob (, Inscrit le 23 janvier 2017, 55 ans) - 23 janvier 2017

Sensibilité, subtilité et pudeur sont les 3 maitres mots de ce roman.
On se sent vidé et submergé par les émotions.

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MAGNIFIQUE

10 étoiles

Critique de Lizas (, Inscrite le 23 janvier 2017, 32 ans) - 23 janvier 2017

Un livre empreint de sensibilité et de subtilité; un thème dur mais extrêmement touchant. Ce livre fut pour moi une belle surprise et un joli cadeau reçu à Noël. Je n'avais pas encore entendu parler de l'auteur, mais je pense que Monsieur Lalo sera bel et bien l'auteur phare de l'année 2016-2017 grâce à la qualité de sa plume. J'espère qu'il est en train de s'atteler à son deuxième ouvrage

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Magnifique

10 étoiles

Critique de Nathavh (, Inscrite le 22 novembre 2016, 60 ans) - 24 novembre 2016

Le décor est planté dès le premier chapitre, notre narrateur a soixante-cinq ans et veut enfin trouver un équilibre. Il lui manque une pièce dans le puzzle de sa vie, il veut juste la trouver, rien d'autre, pour rendre une justice et surtout ne pas devenir bourreau.


"Affronter son passé pour comprendre son présent et espérer éclaircir son avenir"

Lorsqu'il était enfant, il était coutume de l'envoyer avec son frère à chaque vacance en "colonie", oh non pas "Les joyeuses colonies de vacances" chantées par Pierre Perret. Oh que non, même si les parents le pensaient car comme c'était cher , c'était donc bien ( le pouvoir de l'argent !) mais aussi la brochure qui idéalisait l'endroit montrant entre autre de copieux petits-déjeuners croissants, jus d'orange. Encore un miroir aux alouettes, le petit-déjeuner se prenait en fait serré sur un banc parfois à 35, des tartines énormes, dures, badigeonnées de fraise, le tout mouillé par un thé ou un chocolat.

C'est âgé de dix-huit mois que tout commença pour notre narrateur, d'abord l'abandon à la gare, un long voyage en train, l'arrivée au "home" (sweet home, ah non pas du tout!- c'est ironique car c'était tout le contraire, et le voyage avec l'homme "des enfants".

"Ce sont nos parents qui nous conduisaient au train. Á qui se plaindre quand c'est la police qui vous livre ?"

La directrice : dominatrice, tyrannique, pernicieuse, elle contrôle tout, gère tout.
Le home :

c'est la "sodomie matinale" avec le thermomètre coupable, si 37, 4 ° on est considéré malade !
c'est l'obligation de "faire dans le pot" devant tout le monde après le repas
c'est la promenade obligatoire
c'est ne pas courir, ne pas salir, se taire, ne pas crier, ne pas être en sueur...
c'est la directrice qui souffle les réponses au téléphone, il fait toujours beau, tout va toujours bien.
c'est la directrice qui dicte les courriers
"La version orale des lettres que nous leur envoyions authentifiait nos propos et détruisait d'autant la vérité qu'ils ne pouvaient plus comprendre."

Bref elle domine et impose la terreur. Mais ce n'est pas le pire !

Le pire c'est l'homme des enfants : le loup dans la bergerie, celui que l'on croit ami car il est doux, il console, il caresse, et touche les enfants, c'est pire car c'est indicible, innommable , comment se plaindre, en parler ? C'est la loi du silence.

Septante-neuf courts chapitres abordent ce sujet sensible et douloureux dont Oscar Lalo nous parle avec énormément de pudeur. Il est économe des mots, concis, direct. Il joue et détourne avec élégance les mots.

"Pourvoyeur de plaisir pour voyeurs. Un viol de nuit sans Petit Prince. Les contes défaits etc ..."

Son style est direct. Sa plume sobre, subtile et travaillée. Il dit sans dire. Il verbalise cette quête de justice et explique comment le narrateur a été "défait" comme ses contes.

Un récit touchant, douloureux, indispensable. Un premier roman dont on ne sort pas indemne.

Un petit bijou.

Ma note : ♥

Les jolies phrases

Elle nous apprit en une seconde : qu'à ne pas le choisir, on accepte qu'un autre choisisse l'autre.

Nous étions sous pression. Rêver sur une chaise, dans un livre, sur un puzzle, ou marcher sans but précis, c'était risquer le surgissement du loup, du chien ou de leur maîtresse. On n'y comprenait rien.

Mais cette famille intérimaire nous bousculait tellement que toute notre énergie passait à rétablir notre équilibre.Leurs gestes, par exemple. La directrice nous frappait et l'homme nous caressait.

Si à l'oeil nu, la carence affective ne se voit pas, la carence alimentaire, elle crève les yeux.

Et être proie revenait à tendre la joue. Pour une claque ou une caresse. La seconde laissait plus de traces.

J'étais devenu sans m'en apercevoir celui qui ne dit plus jamais non à rien. A la fois acteur principal d'un film de figurants et spectateur de ma propre impuissance, je charriais des flots de violence contre moi. Ainsi mon problème n'est-il pas de n'avoir rien construit dans ma vie, mais d'avoir systématiquement tout détruit.

Dire un seul mot, ce serait tout dire, donc perdre un ami. Alors pour le garder, cet ami, nous ne bronchions pas et devenions notre pire ennemi.

Cette quarantaine volontaire joignait dangereusement deux ingrédients : la douleur et la haine. Á ceci près que l'explosion n'avait lieu que des années plus tard. Les dommages décimaient alors l'entourage, indemne jusque-là. Avant cela, douleur et haine consumaient la mèche qui brûlait tout l'intérieur. La décomposition qui en résultait affaissait tout l'organisme sans relâche. Haine et douleur se relayaient pour redoubler une tension d'autant plus sourde qu'on n'éclatait toujours pas.

Ils ressemblaient tous à des nuages. Mais des nuages d'un genre particulier. De ceux qui ne pleuvent jamais.

C'est comme une tache que l'on constate sur soi et qu'on peine à relier à un événement précis alors qu'elle a forcément une origine.

Car un attouchement va plus loin que l'acte lui-même. Il creuse une plaie dans l'eau de mer, qui ne peut que s'élargir.

Pourquoi donc la soumission ? Pourquoi n'avons-nous jamais dit "Non !", juste pour voir ?

Le mariage de l'incertain et de l'anodin : c'était ça le home. Les bons moments qui passent de promesses à sévices. Vos bourreaux qui vous délivrent. Bref, la menace perpétuelle du naufrage sur mon lit-canapé.

J'ai plusieurs professions pour éviter de penser. Je suis sportif et musicien, cinéphile et mélomane. Je me suis inventé mille vies car je n'en vis aucune.

De fait, les abus commis sur l'infant n'existent pas puisqu'à moins de six ans, on est pénalement irresponsable. On n'a pas l'âge de raison. Traduisez : on a toujours tort. Les actes n'existent pas. Preuve en est : on ne peut pas vous frapper d'une peine. Vous êtes déjà condamnés à vie. Ainsi, par un effet pervers prévu pour les pervers, un mur d'impunité entoure toute exaction commise sur un trop petit enfant ; puisqu'il ne peut pas être coupable, il ne peut pas être victime.

Quand on a voué sa vie à se nier, peut-on seulement s'entrevoir au kaléidoscope dont le jeu de miroirs angulaires émiettera notre reflet ?

Mon testament est simple. Il tient en trois mots : je vais vivre. Je veux vivre. Je meurs de m'y mettre. L'enjeu : ne pas vivre à l'envers.

Peau d'âme, noire neige, le petit poussé, bref, tous ces contes défaits.

On m'a privé d'enfance comme d'autres de dessert. Sauf que l'enfance, c'est l'entrée et le plat principal. Á cause de l'homme d'enfants, je suis un homme enfant.


Un bon mensonge vaut mieux qu'une mauvaise vérité.

Conte désenchanté

9 étoiles

Critique de Killing79 (Chamalieres, Inscrit le 28 octobre 2010, 45 ans) - 18 novembre 2016

J’ai rencontré Oscar Lalo à la foire du livre de Brive. Il a été vraiment accessible et plein d’entrain pour son première expérience dans le monde de la littérature. J’ai donc ouvert cet ouvrage avec une grande envie même si je n’en connaissais pas le propos.

Le roman débute dans les souvenirs du narrateur, à l’époque où il allait dans un camp pour enfants. Étant moi aussi parti en colonie dans ma jeunesse, j’ai ressenti de la nostalgie dans les premières lignes. Mais ce doux sentiment s’est très vite effondré lorsque l’histoire commence à se durcir et qu’elle tombe dans des thèmes plutôt difficiles.

Alors ce roman nous parle de l’enfance et de son innocence. L’enfant ne connaît pas les règles, ne différencie pas ce qui est bien de ce qui ne l’est pas et se laisse donc facilement influencer. Pour l’adulte que le narrateur est devenu, la gravité des actes ne fait aucun doute, mais il les partage avec ses yeux d’enfant. Tout est alors beaucoup plus flou et tellement plus candide. On constate grâce à ce texte que certains faits peuvent être vécus comme un conte au regard d’un enfant (d’où le titre !), alors qu’il s’agit en réalité d’un drame aux conséquences terribles.

Le thème de la résilience est aussi au centre de cette tragédie. Longtemps après les faits, le narrateur reste victime de son silence. Il explique comment son traumatisme est resté enfermé en lui, sans échappatoire. Les évènements ont bouleversé sa vie et rien ne semble lui permettre de tourner la page. C’est le parcours de cet homme torturé qui doit traverser les obstacles avec son fardeau.

Sans jamais tomber dans l’outrance ou dans le pathétique que pourrait engendrer ce genre de sujet, Oscar Lalo nous livre une œuvre intimiste, toute en délicatesse. C’est un roman court mais d’une grande puissance. Je suis ressorti bouleversé de cette lecture qui sort de l’ordinaire par sa forme et qui a su m’ouvrir les yeux sur la maltraitance et ses répercussions, quand le mal va bien au-delà du préjudice physique.
Toute mon admiration pour M Lalo qui avec ce premier roman d’une finesse rare, offre au lecteur un concentré d’émotions et nous secoue les tripes.

Génial!!!

10 étoiles

Critique de Almal (, Inscrite le 17 novembre 2016, 34 ans) - 17 novembre 2016

Impossible pour moi, d'ordinaire si difficile à convaincre et si exigeante quant aux oeuvres que je décide de lire de décrocher mes yeux de cette magnifique histoire si peu ordinaire et si poignante.. Mention toute particulière à l'auteur, ou dirais-je plutôt au génie qu'est Monsieur Lalo. Le thème reste dure mais la délicatesse employée permet bien de pouvoir a tout moment, "fermer les yeux" si on ne veut pas savoir. Une plume émouvante et un talent fou ! Merci pour ce vrai régal littéraire. Une seule question demeure : à quand la prochaine œuvre ?

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