Eric Rohmer, Graham Greene et le pari de Pascal de Nicole Hatem

Eric Rohmer, Graham Greene et le pari de Pascal de Nicole Hatem

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Saule, le 26 décembre 2016 (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 58 ans)
La note : 10 étoiles
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l'Amour de l'être absent

Dans cet essai passionnant Nicole Hatem fait une exégèse d'un roman de Graham Greene ("La fin d'une liaison") et d'un film de Eric Rohmer ("Conte d'Hiver") en utilisant comme grille d'interprétation le pari de Pascal. Il est évidemment très utile de (re)lire le livre et de (re)voir le film pour profiter pleinement des nombreuses pistes d'interprétations proposées par l'essai et se rendre compte de la richesse de ces oeuvres. Ces deux auteurs, Greene et Rohmer, sont d'ailleurs connus pour leur méticulosité et peu de détails sont laissés au hasard dans leurs oeuvres (jusque dans le choix des noms ou de réflexions en apparence anodines).

La grille d'interprétation choisie par Nicole Hatem est donc celle de Pascal, en particulier le pari de Pascal. Celui-ci pose le fait que miser sur l'Infini, même si la probabilité de gain est minime, est le meilleur choix possible : on cas d'issue favorable on gagne tout et sinon on ne perd rien et même, on aura une vie meilleure grâce à l'espérance. L'héroïne de Rohmer fait ce pari sans le savoir, après un long parcours courbe et une sorte de révélation qui la saisit d'abord dans une église et ensuite en regardant la pièce de Shakespeare homonyme du titre du film ("Conte d'hivers"). Une lecture chrétienne apparente ce parcours à la grâce, la marque d'un Dieu qui agit dans le secret et en silence, un concept qui se retrouve tout à fait dans le formidable et puissant roman de Graham Greene, "La fin d'une liaison".

C'est donc un essai érudit (il contient nombre de références à Kierkegaard et autres) mais tout à fait abordable. Il permet de voir toute la richesse de ces deux oeuvres et il ouvre de nombreuses perspectives pour aller plus loin. Le risque d'une telle exégèse est évidemment de trahir l'auteur pour faire entrer le texte dans sa propre grille d'analyse mais il semble évident que ce n'est jamais le cas ici. Il faut dire que aussi bien que Graham Greene que Rohmer ont laissé dans leur oeuvre beaucoup de pistes (mise en abymes, renvois, symboles) mais il y a également une ambiguïté voulue (Greene l'explique d'ailleurs explicitement dans la préface de l'édition française) et cela permet malgré tout différentes interprétations (Nicole Hattem cite souvent un philosophe américain qui a une lecture complètement laïque et sécularisée des films de Rohmer par exemple). Et c'est passionnant aussi.

N'étant pas cinéphile je n'avais pas imaginé que des films de cinéma puissent être tellement riches et stimulants sur le plan intellectuel. Et même si je suis inconditionnel de Graham Greene depuis longtemps, la relecture accompagnée par cet essai m'a apporté beaucoup et une admiration plus grande encore pour son oeuvre. Je n'ai jamais lu Pascal et je pense que sa lecture me serait rébarbative, tandis que lire Graham Greene et voir ce film de Rohmer (accompagné des commentaires de cet essai) me procure autant de nourritures spirituelles et intellectuelles qu'un bouquin de théologie en dix volumes.

En conclusion, un essai très recommandable (indispensable même) pour celui qui s'intéresse à Graham Greene ou à Eric Rohmer (et sinon une occasion parfaite de s'y intéresser pour celui que la thématique intéresse). C'est érudit mais jamais pompeux, très lisible et ouvre beaucoup de pistes de réflexions (de par les références notamment). Il faut absolument (re)voir le film et (re)lire le livre en parallèle, ce qui triple le plaisir tiré de cet essai vraiment intéressant.

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