La mélancolie de la résistance de László Krasznahorkai

La mélancolie de la résistance de László Krasznahorkai
(Az ellenállás melankóliája)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Septularisen, le 19 septembre 2016 (Inscrit le 7 août 2004, - ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 664ème position).
Visites : 3 936 

SERMO SUPER SEPULCHRUM

« La mélancolie de la résistance » commence dans une petite ville du Sud-est de la Hongrie. Nous découvrons tout d’abord Mme. Pflaum une habitante de la ville, qui revient chez elle en train après un court séjour dans sa famille. Après un voyage qui tourne au cauchemar éveillé, en retournant à son appartement elle constate des changements inquiétants dans la ville, le château d’eau vacille, les horloges arrêtées depuis des lustres se remettent à marcher, les tas d’ordures s’accumulent, les rues ne sont pas éclairées…

Elle est bientôt rejointe chez elle par Mme. Eszter, l’ambitieuse femme de M. Eszter, un ancien pianiste de génie qui vit maintenant sa retraite cloîtré chez lui, avec pour seule compagnie János Valuska un jeune simplet, poète et mime à ses heures, qui fait office de postier de la ville et qui se trouve être le fils de Mme. Pflaum. Mme. Eszter vient demander l’aide de Mme. Pflaum, pour monter une opération « Ville propre » avec le slogan « Cour balayée, maison rangée » avec des prix pour récompenser les habitants les plus méritants.

C’est alors qu’un mystérieux cirque, dont l’attraction unique est une immense baleine, transportée en camion, s’installe sur la place centrale de la petite ville…

Impossible bien sûr de résumer en quelques lignes une œuvre aussi immense que celle-ci. Disons que, comme toujours avec l’écrivain hongrois, on a une écriture extrêmement dense et touffue. Donc un livre très difficile à lire, notamment à cause de toutes les digressions introduites en cours de phrases. L’écriture est toutefois ciselée au scalpel et donc requiert un maximum de concentration pour sa lecture. Le dosage homéopathique de la durée de la lecture est donc de mise, si on ne veut pas se lasser très vite du livre !

Véritable description d’un pays qui sombre peu à peu dans le totalitarisme, le roman manie tour à tour la terreur, l’humour, le nihilisme, le désespoir, l’ironie, le mystère, le grotesque… Samuel BECKETT et Franz KAFKA ne sont pas loin ! On sent vraiment la tension monter peu à peu dans le récit de façon assez étonnante.

Ce livre de László KRASZNAHORKAI, m’a surtout plu par les descriptions et la profondeur psychologique des personnages. Les rapports entre le quatuor de protagonistes complémentaires, mais toutefois opposés, - un peu comme les deux côtés d’une pièce -, est saisissant. D’un côté les deux figures féminines : Mme Pflaum, passionnée d'opérette et vivant dans son petit confort quotidien, sans se soucier de ce qui se passe autour d’elle, ni même de son fils et Mme Eszter, ambitieuse, carriériste, manipulatrice, calculatrice et assoiffée de pouvoir.
De l’autre et beaucoup plus en retrait, les deux figures masculines, M. Eszter et Janós Valuska. M. Eszter, est un être bon et pur, complètement dépassé par le monde dans lequel il vit, et qui rêve juste de retrouver le son musical parfait. Janós Valuska lui est un rêveur marginalisé qui vit dans son propre monde, et fait la risée des habitants de la ville. Il passe ses journées chez M. Eszter à qui il voue une admiration sans limites et qu’il est prêt à protéger au prix de sa propre vie si nécessaire…
La construction du roman est d’ailleurs ainsi faite qu’à la fin du roman, les personnages secondaires, ou du moins ceux qui apparaissent le moins en nombre de pages, comme Mme. ESZTER se retrouvent en fait, être les personnages principaux!…

Je dois toutefois reconnaître que ce qui m’a le plus plu dans ce roman est cette tension permanente, qui tient le lecteur en haleine, et qui va en s’accroissant tout au long du livre, on suppose qu’il va se passer quelque chose, on sent qu’il va se passer quelque chose, on sait qu’il va se passer quelque chose, que la catastrophe est imminente, mais on ne sait ni quoi, ni quand, ni comment cela aura lieu, et cela ne fait que renforcer l’intérêt de ce livre…

Rappelons que ce livre a reçu le prestigieux prix littéraire « Prix International Man Booker » en 2015, et que le nom de László KRASZNAHORKAI a déjà été proposé à de nombreuses reprises pour le Prix Nobel de Littérature.

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Quand le sort du monde repose sur... le chaos

8 étoiles

Critique de SpaceCadet (Ici ou Là, Inscrit(e) le 16 novembre 2008, - ans) - 16 novembre 2016

Dans la seconde moitié des années 1980, période au cours de laquelle ce roman a probablement été conçu, la Hongrie, alors dirigée par le Parti socialiste ouvrier Hongrois et son prosoviétique de secrétaire János Kádár (en poste depuis 1956), traverse, à l'instar d'autres pays appartenant au bloc de l'Est, une période de transition. 'On va où?', était sans doute la question qui animait bien des esprits. Dans ce climat d'incertitude propice à l'anticipation, comment László Krasznahorkai, la jeune trentaine, diplômé en droit et en littérature, aurait-t-il pu résister à la tentation de laisser libre cours à son imagination?

'La mélancolie de la résistance', commence par un train, un train à bord duquel nous prenons place en compagnie de Madame Plauf une veuve qui, à l'issue d'un séjour dans sa famille, s'apprête à rentrer chez elle. Submergée par un sentiment d'insécurité, ce voyage s'avère pour cette quinquagénaire un véritable cauchemar. Une fois arrivés à destination, parcourant à pied le trajet entre la gare et son logis, c'est par le regard et la pensée de cette femme que nous découvrons pour la première fois la ville où se déroule le récit. Une ville dont l'état d'abandon n'a d'égale que la léthargie dont semblent souffrir ses habitants; une ville autour de laquelle une menace non identifiée semble avoir tissé sa toile, n'attendant que le moment propice pour passer à l'action; une ville enfin, qui sera bientôt l'hôte d'un étrange visiteur, sorte de 'cirque' ambulant transportant une baleine empaillée et traînant dans son sillage une réputation qui n'a rien de rassurant.

Dès lors, le contexte et surtout l'ambiance du récit sont installés. Et si tant est que l'on puisse y parvenir, il ne nous reste plus, lecteurs, qu'à tenter de nous mettre en phase avec la phrase. Parce qu'autant le dire d’emblée, ici c'est l'écriture qui domine. Une écriture qui prend possession de nous et nous emporte dans un tel flot de mots, qu'il est difficile de se poser, de prendre du recul, bref, de s'arrêter.

Un à un, les personnages principaux, au nombre de quatre, nous ouvrent les portes de leur esprit, nous dévoilant leurs pensées telles qu'elles se présentent dans la réalité immédiate, leurs motivations, leurs préoccupations, bref, leur point de vue subjectif. C'est ainsi que par fragments, un contexte se dessine, lentement, tandis que peu à peu l'intrigue s'installe, puis se déploie.

En l'absence de description objective (presque tout dans ce roman est présenté sous un angle subjectif, y compris les personnages), même si l'on sait que l'action se situe dans une ville de province située au sud-est de la Hongrie (région dont l'auteur est originaire), l'époque n'étant par ailleurs pas définie, bref en l'absence de précisions, on éprouve la sensation d'évoluer dans un cadre imaginaire, déconnecté du monde, parmi des personnages aux contours flous, un univers frôlant parfois le surréalisme. Une ambiance qui, au-delà de la fiction, n'est sans doute pas étrangère à ce que l'on pourrait éprouver si l'on se trouvait dans une ville similaire traversant ces mêmes circonstances.

On joue donc ici sur deux plans: une réalité surréaliste ou une surréalité réaliste (selon le point de vue d'où l'on se place).

Ainsi, tandis que certains éléments du récit offrent des similitudes avec l'histoire, (notamment avec les événements liés à l'insurrection de Budapest en 1956, moment où János Kádár s'est installé à la tête du pays), dont l'auteur s'est probablement inspiré, plus près de nous, l'intrigue politique du roman illustre également assez fidèlement des événements réels et actuels (on peut penser par exemple au dernier coup d'état qu'a connu la Thaïlande en 2014).

Bref, en dépit de quelques inconsistances, cette intrigue, habilement soutenue par une réflexion a teneur philosophico-scientifique, s'étend donc bien au-delà de son contexte initial, bien au-delà également de son univers fictif, pour glisser vers des questions d'ordre universel.

A la croisée du politique et du psychologique, 'La mélancolie de la résistance' est un roman cérébral, constitué d'une histoire évoluant lentement au début, rythmée par le suspense dans sa seconde moitié, allégée par quelques pointes d'humour, pimentée par un soupçon d'ironie; un roman servi par une écriture touffue, une prose à la fois souple et laborieuse, ainsi qu'une forme narrative remarquable. Certains passages sont splendides, d'autres terriblement longs. En tout, un roman tonique, stimulant et exigeant.


Notes:

.Lu en version anglaise (traduit du hongrois par George Szirtes).

.Signalons que ce roman a fait l'objet d'une adaptation cinématographique par Béla Tarr, en collaboration avec l'auteur, le film, 'Werckmeister Harmonies' est sorti en Hongrie en 2001.

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