Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Coup au coeur!
Présentation de l'éditeur
À la fin des années 1950, Mathilde, adolescente, voit partir son père puis sa mère pour le sanatorium d'Aincourt. Commerçants, ils tenaient le café de La Roche-Guyon. Doué pour le bonheur mais totalement imprévoyant, ce couple aimant laisse alors ses deux plus jeunes enfants dans la misère. Car à l'aube des années 1960, la Sécurité sociale ne protège que les salariés et la pénicilline ne fait pas de miracle pour ceux qui, par insouciance, méconnaissance ou dénuement ne sont pas soignés à temps. Petite mère courage, Mathilde va se battre pour sortir ceux qu'elle aime du sanatorium, ce grand paquebot blanc niché dans les arbres, où se reposent et s'aiment ceux que l'enfance ne peut tolérer autrement qu'invincibles.
Mon avis: Valentine Goby m’avait bouleversé avec son roman « Kinderzimmer » qui nous racontait les camps de concentration pour femmes et le destin des nourrissons de celles-ci. Le thème n’était pas gai, le texte non plus d’ailleurs, mais elle avait su trouver le ton juste pour ne pas tomber dans le pathos. Et une nouvelle fois, elle récidive avec ce très bel ouvrage.
Son récit se situe dans les trente glorieuses, une époque où le monde connaissait des événements importants. Mais Valentine, elle, ne s’intéresse pas aux acteurs principaux de la Grande Histoire. Elle préfère se concentrer sur ceux dont on ne parle jamais. Elle veut rendre hommage aux petites gens, ceux qui végétaient dans leur misère, ces petits héros du quotidien.
Pour être au plus près de la dure réalité, elle utilise le présent. On est donc inclus dans l’instant et on vit aux côtés de ces personnages. Elle ne fait pas dans le spectaculaire et s’attache aux détails de tous les jours pour nous parler de l’essentiel, c’est-à-dire l’humain. Comme dans « Kinderzimmer », le personnage principal est une femme. Et malgré ça, je me suis senti en empathie avec cette fille et j’ai ressenti ses douleurs et ses joies.
« Un paquebot dans les arbres » est un grand roman sur la maladie, la misère, la famille, le courage et l’abandon, qui a déclenché chez moi un feu d’artifice d’émotions. J’ai été pris aux tripes du début à la fin. Avec sa belle écriture toujours exigeante, Valentine Goby a encore frappé fort. Son récit est juste, poignant et jamais sentimentaliste. Je sors de ce livre avec la boule au ventre. Bien sûr, je ne le conseille pas aux lecteurs qui recherchent une aventure « feel good » ou qui donne la pêche, vous pouvez passer votre chemin. Mais si vous voulez vivre un authentique moment d’humanité, dur mais véritable, je vous conseille ce coup de cœur qui est aussi un coup au cœur!
Message de la modération : Prix CL 2019 catégorie roman de langue française
Les éditions
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Un paquebot dans les arbres
de Goby, Valentine
Actes Sud
ISBN : 9782330066482 ; 10,78 € ; 17/08/2016 ; 268 p. ; Broché -
Un paquebot dans les arbres
de Goby, Valentine
Actes Sud / Domaine français
ISBN : 9782330069254 ; EUR 14,99 ; 17/08/2016 ; 266 p. ; Format Kindle -
Un paquebot dans les arbres [Texte imprimé], roman Valentine Goby
de Goby, Valentine
Actes Sud / Babel (Arles)
ISBN : 9782330096106 ; EUR 7,80 ; 16/05/2018 ; 266 p. ; Broché
Les livres liés
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Les critiques éclairs (11)
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Marginalité, tuberculose, misère
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 17 septembre 2019
Paul et Odile vivent leur histoire de cafetiers sans se soucier du quotidien, négligeant les dettes et entretenant les amis. Ils sont heureux, Paul est le cador du café et le roi de l’harmonica. Il donne un cœur au village lors de soirées intenses. Mathilde, elle, observe ceci de son poste de petite fille, jalouse de la primauté accordée à sa sœur aînée Annie par le père, qui la choisit systématiquement comme partenaire de danse quand Mathilde observe tout ceci de sous la table où elle s’est cachée, dévorée d’envie. Mais les jours heureux ont une fin quand vient le mal. Et pas n’importe quel mal ; la tuberculose, qui va toucher Paul de plein fouet et Odile aussi.
Les clients fuient, l’activité du café plonge, l’argent manque. S’enclenche le cycle de la misère qui est la principale raison d’être de ce roman.
On va grandir avec Mathilde dans une détresse et un dénuement toujours plus grands, au point de la faire placer, elle et son frère Antoine dans des familles d’accueil quand ses parents partent au sanatorium d’Aincourt ; le « paquebot dans les arbres ». Sordide à tous les étages …
Comme nous sommes dans les années 50 – 60, petite incursion dans les répercussions de la guerre d’Algérie, hé bé oui c’était l’actualité de l’époque même si elle restait à moitié cachée sous le tapis.
Valentine Goby nous dresse un tableau fidèle de l’époque, avec ses codes, ses inhibitions et ses particularités.
»Mathilde allume le poste de radio, baisse le volume, y colle son oreille. Dans le profond silence un journaliste annonce les résultats officiels du référendum algérien, 99,73% de votes pour l’indépendance. A dix heures et demie ce matin , le porte-parole du gouvernement a lu la déclaration du président de la République reconnaissant solennellement l’indépendance de l’Algérie. Le peuple algérien est né, énonce le ministre des Affaires algériennes.
Au loin, le ciel vermeil incendie la Seine. »
Une histoire poignante, une histoire des années soixante pas toujours si glorieuses …
Une famille toxique
Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 4 avril 2019
Au fur et à mesure de ma lecture je me suis quand même dit que ce père que toute la famille encense était avant tout irresponsable et aveugle à l'amour que lui porte la narratrice et que finalement celle-ci se sera sacrifiée pour une famille qui n'en valait pas tant la peine. Mais bon, je cherche un peu la petite bête car j'ai malgré tout vraiment aimé cette histoire.
De l’importance de la Sécurité Sociale !
Critique de Ludmilla (Chaville, Inscrite le 21 octobre 2007, 69 ans) - 17 janvier 2019
Mathilde, au caractère exceptionnel, dévouée à sa famille, qui réussira malgré tout à se sortir de la misère.
Seules quelques-unes des critiques précédentes évoquent la Sécurité Sociale, n’existant à cette période que pour les seuls salariés. Or si la famille Blanc avait été affilée à la Sécurité Sociale, Paulot aurait pu se faire soigner avant qu’il ne soit trop tard. Les antibiotiques ne sont pas réservés aux seuls salariés, mais leur coût est prohibitif pour la famille Blanc.
Les premiers chapitres m’ont ramené à mon enfance. Mes parents étaient commerçants. Autant dire que l’on n’allait pas chez le médecin, le dentiste, l’ophtalmo,.. si ce n’était pas absolument indispensable…
De même que la peur de la tuberculose, mais aussi du BCG !
« Il y a bien un vaccin mais […] on s’en méfie […] à La Roche, dira plus tard Odile à Mathilde, pas un gosse n’était vacciné »
« Ça fait belle lurette qu'on ne payait plus l'assurance privée, avouera Odile. En 1952, pour le sana, ils l’avaient, l'assurance privée. Après ils n'ont plus d'argent pour la cotisation. Ils ont cessé de payer, ont attendu des jours meilleurs. Il n'y a pas eu de jours meilleurs »
Magnifique découverte
Critique de LesieG (CANTARON, Inscrite le 20 avril 2005, 58 ans) - 15 décembre 2018
Il y a très peu de chapitres, l’histoire coule au travers de descriptions, d’images et parfois même de répétitions mais ce jeu d’écriture qui normalement ne me plait pas, donne ici une dynamique au texte qui aborde un sujet lourd.
Il n’y a pas toujours de paragraphes pour passer d’une situation à une autre, ni même pour un retour sur le passé, mais ce n’est absolument pas gênant car tout est introduit de manière fluide.
Maintenant, l’histoire en elle-même, oui elle aborde la maladie, la misère et le rôle des femmes… mais le côté qui m’a le plus émue et touchée c’est l’amour inconditionnel de Mathilde pour sa famille et surtout pour « Paulot », elle n’appelle pas ses parents Papa et Maman, mais un lien indéfectible la lie à sa famille. Elle a très bien compris du haut de ses 9 ans, que pour plaire à son père qui a déjà une autre fille, elle doit prendre la place du « ptit gars », ce frère mort avant sa naissance.
On suit son parcours pour maintenir ce petit monde au complet malgré la maladie, l’éloignement jusqu’à prendre la place qu’auraient dû tenir ses parents.
Il y a aussi en fond, l’histoire de la guerre d’Algérie et les mouvements dramatiques qui se sont déroulés pour son indépendance. Là je n’ai pas vraiment réussi à comprendre où l’auteur voulait en venir, le lien avec ce livre.
C’est un très beau roman qui fait ressortir le courage, la fierté et la détermination d’une jeune femme dans une époque difficile.
Extrait : lorsque le père doit partir au Sanatorium
"A un moment Paulot a cette drôle de phrase, adressée à Odile tandis qu’il fixe Mathilde ; il parle à sa femme en regardant sa fille, comme si elle ne pouvait ni le voir ni l’entendre, qu’ils se tenaient de part et d’autre d’un miroir sans tain :
- Je ne la reverrai plus.
Odile dit tais-toi, on part pour guérir. Et lui secoue la tête :
- Tu comprends pas, je dis qu’elle ne voudra plus me voir, je sais que je l’ai pas bien traité mon p’tit gars.
Mathilde serre les mâchoires et traverse le miroir :
- Arrête de dire n’importe quoi.
Mais il pleure vraiment."
Mathilde, mon p'tit gars !
Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 59 ans) - 11 novembre 2017
Elle; c'est Mathilde, la fille de Paulo, le patron du Balto de La Roche-Guyon. Paulo, l'âme du village, celui qui fait danser, rire et chanter.
Paulo qui n'a d'yeux que pour Annie, son aînée, alors que Mathilde, son "p'tit gars" lui voue une admiration sans borne.
Alors quand brutalement Paulo s'effondre, terrassé par la maladie qui sera diagnostiquée comme la tuberculose, c'est un monde qui s'effondre.
Les amis s'éloignent, la famille explose. Odile et Paulo sont envoyés au Sanatorium d'Aincourt à l'architecture fonctionnelle et majestueuse.
Un bâtiment aux formes d'un paquebot dans un écrin de verdure.
Et c'est Mathilde, du haut de ses 17 ans, bientôt émancipée, qui va prendre en charge la famille au prix de sacrifices infinies.
Mathilde qui se bat pour réduire les distances entre les membres de la famille et ne pas perdre pied.
Sur les conseils avisés de ma prescriptrice préférée, je me suis lancé dans cette aventure et j'avoue ne pas en être ressorti indemne.
Valentine GOBY traite d'un sujet difficile (La tuberculose tue encore dans les années 1950-1960) mais le personnage de Mathilde insuffle un élan de vie incroyable.
Une jeune fille solaire, battante, qui aime son "Paulo" plus que tout au monde et qui n'attend de lui qu'un sourire.
Le roman d'une vie, d'une période de l'Histoire de France ("les Trente Glorieuses", la Sécurité Sociale, l'indépendance de l'Algérie)
L'écriture est addictive, l'auteur dévoilant par petites touches l'avenir qui se dessine.
J'ai retrouvé les mêmes sensations qu'à la lecture de "Le Soleil des Scorta" (Laurent Gaudé)
Une oeuvre solaire, d'un optimisme débordant.
Mathilde est un personnage que vous n'oublierez pas.
Chargée de famille
Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 9 octobre 2017
L'occasion pour elle d'évoquer ses souvenirs d'enfance, avec cet homme extraordinaire qu'était son père, Paul Blanc dit Paulot, qui séduisait et était aimé de tous, jusqu'à sa tuberculose.
Quand le mot est lâché dans les années 50, cela signifiait la mort, l'épidémie, comme la peste autrefois ; la mise au ban traumatisante de la famille qui tenait le Balto, le café, centre de vie du village.
Mathilde est l'enfant née après la mort d'un fils, tant désiré par Paulot. Elle fera tout pour se faire aimer de lui, pour exister à ses yeux ; ne pouvant concurrencer la féminité de sa sœur aînée Annie, elle prendra des risques permanents dans son enfance, devenant ce qu'on appelait à cette époque ce "garçon manqué" que son père appellera "mon p'tit gars".
Et c'est Mathilde qui, au départ de ses deux parents au sanatorium, deviendra le ciment familial, le tronc, le pilier de la famille disloquée, éparpillée ; s'oubliant elle-même, toujours au péril de sa propre vie.
Il en faudra des années, pour qu'elle commence à penser à elle, à regarder le monde plus loin que les limites de La Roche.
"Il est si modeste pourtant son rêve, si accessible le fantasme de fleuriste, de course à vélo, d'histoire d'amour. Il est si empêché du dedans, à cause de cet autre amour pour Odile, Paulot et Jacques, en vérité, elle raisonne comme une mère, la petite Mathilde, et c'est pourquoi elle parle de démesure : au regard des responsabilités d'une mère, de telles libertés lui semblent inconcevables. Rien n'aurait pu persuader Mathilde de renoncer à sauver les siens pour se sauver elle-même."
Valentine Goby écrit un roman fort, bouleversant autour d'une famille tranquille qui voit son destin basculer, avec le personnage superbe et attachant de Mathilde.
Un roman qui permet aussi de mesurer les progrès de la médecine et de la sécurité sociale.
Admirable
Critique de Deashelle (Tervuren, Inscrite le 22 décembre 2009, 15 ans) - 14 septembre 2017
C'est le règne du Rimifon, des bacilles Koch, des premiers antibiotiques réservés par la sécurité sociale aux seuls salariés. Le temps honteux des mouroirs de pestiférés, celui de la relégation dans les paquebots perchés sur des montagnes ou dans les arbres. L'atmosphère qu'elle crée a la vérité du cinéma noir et blanc.
On ne peut qu'être bouleversé par cette fille-mère courage qui, bravant les codes bien-pensants, oubliant son confort, se met au service de tous pour recueillir, soigner, panser, et se dépenser sans penser pour les autres! Face à la cruauté ordinaire du groupe, il y a la dignité de l’héroïne qui défend les siens avec la dernière énergie. Admirable.
enfance perdue
Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 76 ans) - 10 septembre 2017
Lent, démoralisant
Critique de Pascale Ew. (, Inscrite le 8 septembre 2006, 57 ans) - 3 mai 2017
Mathilde Blanc revient sur les lieux du sana que son père intégra dans les années 1950 pour ne pratiquement plus en sortir jusqu'à sa mort en 1962. Elle se remémore ces années d'adolescence où elle a dû se débrouiller seule, sans revenu. En effet, sa mère a suivi son père au sana. Sa sœur aînée s'est mariée et a fui la contagion. Quant à son frère cadet, il a été placé dans une famille d'accueil par les services sociaux. Mathilde aussi, mais elle a rapidement fui car elle était mal traitée. L'auteure décrit la solitude, la détresse, la honte, la colère de l'héroïne face à la couardise des amis; le dénuement à tous niveaux jusqu'à l'appel au secours, la tentative de suicide. Elle dépeint la lente décrépitude du père et c'est LENT au possible ! Et démoralisant.
Le lecteur ne sait absolument rien de la suite, de ce que fut la vie de Mathilde par après (frustration !).
A la fin, Valentine Goby fait un parallèle entre la guerre d'Algérie et la mort de Paulo. Je n'ai pas compris pourquoi.
J'ai bataillé pour finir ce livre où il ne se passe rien.
Lutter !
Critique de Lucia-lilas (, Inscrite le 21 février 2016, 58 ans) - 4 octobre 2016
Pourtant, le Paulot, lorsqu’il tenait le café Le Balto, à La Roche-Guyon, c’est bien lui qui mettait l’ambiance au village avec son harmonica Hohner : bals à gogo, apéros, repas gratuits pour les affamés, lits pour les « sans piaule », parties de belote et de billard tard dans la nuit. Un gars généreux, à la tête de tous les clubs, prêt à animer toutes les fêtes et qui aurait donné sa chemise pour les autres.
Mais maintenant, les autres, les anciens amis, aiment mieux le voir de loin : c’est contagieux un tubard, « c’est la mort qui rôde. Un mort-vivant. Un assassin. »
On est en 1952 et Paulot va devoir entrer au sanatorium d’Aincourt dans le Val d’Oise avec sa femme Odile, contaminée, elle aussi. Pas le choix. Ce sana à l’architecture fonctionnaliste dite « paquebot » est construit à l’écart du monde. Il faut tenir éloignés les nouveaux lépreux. Au cœur d’une véritable forêt de pins des Vosges, s’élèvent « trois paquebots de béton couleur neige, jaillis d’un océan de verdure de soixante-treize hectares » : les malades doivent réapprendre à respirer. C’est un lieu hors du monde construit entre 1931 et 1933 à cause d’une très nette recrudescence de cas de tuberculose et devenu sous Vichy un camp d’internement administratif avant de rouvrir ses portes en 1946 pour accueillir les derniers malades.
Mathilde et son frère seront placés, la famille éclatée, éparpillée, comme mise en miettes. Maintenant, la jeune fille doit tout faire pour s’occuper de ses parents et de son frère, oui, tout faire. Se donner, s’oublier pour eux, eux qui vivent ces Trente Glorieuses comme s’ils n’en faisaient pas vraiment partie : ils n’ont pas la sécurité sociale, encore réservée aux salariés, ils n’ont pas profité du vaccin qui existe depuis 1921 et à peine des antibiotiques qui coûtent cher. A La Roche en 1952, « il n’y a rien d’autre à voir… que du malheur et des cadavres. » Cigales, ils ont beaucoup donné aux gens du village, partagé, profité, sans penser que le malheur pouvait s’abattre sur leur tête.
Ainsi Mathilde qui voue depuis toujours une admiration sans limites à son père, elle qui petite, plongeait dans l’eau glacée, marchait sur le toit du château ou sur le mur écroulé du donjon tandis que son père dansait avec la sœur aînée, Mathilde prête à tout pour se faire remarquer et exister à ses yeux devra se sacrifier par amour, préserver coûte que coûte les liens, annuler les distances, « maintenir une géographie », en écrivant à chacun des membres de cette famille désormais morcelée et en se déplaçant à pied pour aller les voir, jusqu’à épuisement.
J’ai attendu avant d’acheter mon Valentine Goby, je l’ai retourné dans tous les sens lorsqu’il me faisait de l’œil chez les libraires… Si quelqu’un m’avait dit : « Tiens, j’ai acheté le dernier Goby », j’aurais été verte de jalousie. Je me suis retenue, un bon mois, et puis, mercredi dernier, je suis allée le chercher… Encore quelques jours à retarder le moment fatidique et je l’ai ouvert. Dès la première phrase, j’ai su que j’y étais, que je n’allais pas être déçue et enfin, je me suis laissée aller à ce plaisir tant retardé… « Mathilde Blanc traverse le cadre des fenêtres. »
Et quel plaisir… enfin… Un magnifique portrait de femme, Mathilde, celle qui « sourit toujours, par-dessus l’apocalypse », un être d’une force et d’une volonté prodigieuse, se donnant sans compter, par amour, prête à entraîner toute sa famille dans son élan vital, dans ce saut pour s’en sortir… C’est aussi la peinture d’une famille qui n’a pas profité des progrès de sa génération, des espèces de laissés-pour-compte, des êtres en marge de leur époque comme beaucoup d’autres qui n’avaient pas prévu ou qui n’avaient pas les moyens de le faire, des espèces « d’anachroniques », acteurs d’une tragédie qu’on pensait achevée.
Et puis, il y a cette écriture, ce rythme, cette sensualité dans l’évocation des gens, des lieux, des choses. On a comme l’impression de les toucher, de les voir, de les sentir, d’y être… Les folles soirées au Balto, les danses endiablées, les promenades de Mathilde en forêt avec Paulot, ses courses folles dans la nature…
J’ai déjà envie de m’y replonger et d’y regoûter… Immense coup de cœur de la rentrée…
SOUVENIR DES REPROUVES
Critique de TRIEB (BOULOGNE-BILLANCOURT, Inscrit le 18 avril 2012, 73 ans) - 3 septembre 2016
Nous sommes dans les années cinquante, au cœur de ces Trente Glorieuses, perçues par beaucoup de nos contemporains comme l’âge d’or de l’après-guerre. Paul Blanc et son épouse Odile tiennent un café dans une localité de la région parisienne, La Roche-Guyon, Le Balto. IL y fait bon vivre, on y organise des réunions, des repas arrosés, des concerts d’harmonica assuré par Paul, dit Paulot, qui apporte à son auditoire captif un peu de bonheur, de joie de vivre, de chaleur humaine. Ils ont trois enfants, Jacques, Annie, Mathilde. Elle est la dernière, se sent un peu illégitime car elle a su que sa venue n’était pas autant désirée que celles de ses frères et sœur. Les ennuis s’enchaînent, très vite, pour cette famille de commerçants, dont le père Paulot est bientôt atteint d’une maladie qui sera diagnostiquée comme la tuberculose. Paulot n’a pas droit à la Sécurité Sociale, comme commerçant, ce qui va constituer pour la famille un premier obstacle de taille pour lui dispenser des soins à la hauteur. Du point de vue de l’image donnée par les « tubards », Valentine Goby rappelle très opportunément que la tuberculose terrifie à cette époque, que ce halo maléfique dont on l’entoure alors s'inscrit dans la ligne des grandes peurs du Moyen Âge : « Devant le tubard on change de trottoir, sa solitude extrême Thomas Bernhard l’appelle le froid. Par pitié pour ces exclus et contre toute logique médicale, on renonce à imposer la déclaration obligatoire de la maladie : le tubard est caché. »
La famille Blanc traverse toute une série d’épreuves : les dettes s'accumulent, l’état de santé de Paulot connaît des hauts et des bas, ces derniers l’emportant bientôt sur les premiers. Mathilde, au bord du gouffre tant matériel qu’affectif tente de se suicider.
Dès son réveil, à l’hôpital, elle décide de faire face à la vie, à la cruauté de l’existence, car beaucoup d’injustices subsistent dans la France de l’après-guerre : la maladie y reste une « exagération des rapports de classe », selon le mot de Sartre, qui n’est pas qu’une boutade mais aussi une réalité car le roman rappelle qu'alors, on ne soigne pas la tuberculose quand on est trop pauvre.
Mathilde décide de faire front à rôle inversé : elle sera la Mère Courage de la famille Blanc : « en vérité elle raisonne comme une mère, la petite Mathilde(…) Rien n’aurait pu persuader Mathilde de renoncer à sauver les siens pour se sauver elle-même. »
Valentine Goby nous décrit, à travers le personnage exceptionnel de Mathilde, une tentative réussie de sauvegarde de la dignité, une illustration de la possibilité toujours existante de l’émancipation de la femme et des corps, thème cher à l’auteur.
Le style du récit est à hauteur des personnages : simple, dépouillé, écrit à la troisième personne, souvent, populaire, à la manière des dialogues d’Audiard au cinéma. Il restitue l’atmosphère de ces milieux, marqués par la gouaille, le franc-parler coloré. L’emploi de ce mode de description accentue l’épaisseur humaine des personnages ; il les fait vivre, met à notre portée leur humanité sans tomber dans le piège du misérabilisme ou du naturalisme.
Roman social, populaire ? Un rappel fort utile à propos de la perception des réprouvés.
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