Copies de Thierry Radière
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Love story dans les lettres
Il aimait Françoise et la littérature comme Jennifer aimait Mozart et les Beatles mais le drame qui entachait sa love story, à lui, n’était pas aussi tragique que celui de la jeune femme du film, il consistait simplement en une pile de copies, une véritable falaise entre lui et le monde, qu’il devait corriger dans le cadre du bac de français. Evidemment, comme tout bon professeur de lettres, il nous explique que les élèves d’aujourd’hui n’ont rien compris à cette matière, qu’ils se désintéressent totalement de la langue, de l’écrit et par conséquent de la littérature. Et pourtant le sujet proposé était particulièrement alléchant, il nous le propose en introduction à cet ouvrage : quatre textes, écrits chacun par un grand maître des lettres : Chateaubriand, de Nerval, Mallarmé, Green, Julien, soumis à la sagacité des candidats.
« Je sens déjà dans les copies que je lis, le silence du vertige, la paraphrase de l’indicible, le contresens de l’incompréhension, le faux-sens de la sous-interprétation, et le non-sens du néant total s’enchaîner les uns aux autres dans la plus naturelle des compositions ».
Le narrateur est rompu à ce genre d’exercice depuis de nombreuses sessions mais cette année tout est nouveau pour lui, il est amoureux et le monde s’est transformé, rien n’est plus comme avant, sauf les copies qui sont toujours aussi insipides, mais il les lit différemment, il a même l’impression de les évaluer autrement.
Ce texte emmène le lecteur dans la vie du narrateur avec une grande empathie, on partage le mélange de sentiments qui l’habite : son amour pour Françoise, son amour pour les lettres, notamment pour les extraits proposés à l’examen, son agacement à l’endroit des candidats, une certaine forme de désabusement envers son métiers et une pointe d’animosité à l’endroit de ses élèves qui ne font aucun effort pour essayer de comprendre les textes proposés pourtant tellement riches.
« Lire c’est apprendre à vivre. Lire c’est approcher d’un peu plus près les zones obscures de l’humanité, les coins inexplorés du vécu… »
J’ai lu ces textes, vite, trop vite, j’y ai vu surtout l’expression du temps qui coule inexorablement comme le sable entre les doigts, ce qui évidemment génère la nostalgie de ce qui fut et ne sera jamais plus. Le narrateur lui nous interroge sur ce qu’est la mémoire : « La mémoire n’est-elle qu’un miroir déformant d’une partie de nous-mêmes ensevelie par les années ? Son image trouble remontant à la surface du temps cache l’incertitude de l’avenir et l’angoisse du présent qui l’ont fait naître, cette représentation du passé ». Ne passant pas le bac de français, je ne voudrais pas répondre à cette question, je voudrais seulement dire que la mémoire, l’âge avançant, fait remonter à la surface un passé des moins sûr et cache de moins en moins un avenir de plus en plus certain. A vingt ans on n’a pas de passé et le présent c’est déjà l’avenir, à quarante ans le présent c’est déjà le passé et l’avenir se conjugue de plus en plus au présent, et à partir de soixante ans, le présent se dissout dans un passé de plus en plus fou alors que l’avenir devient de plus en plus certain, la fin se matérialisant de plus en plus.
Ce texte pourrait être le roman d’un professeur oubliant son aigreur professionnelle dans un amour un peu tardif, un essai sur le temps qui fuit, sur la mémoire et ce qu’elle représente et aussi un cours de lettres sur la compréhension et l’interprétation des beaux textes. Chacun le lira selon ses inclinaisons, pour ma part, je n’ai surtout pas essayé de dissocier ses différents aspects parce que la vie c’est ce mélange entre nécessité professionnelle, inclinaison artistique, appréhension philosophique de l’existence et surtout l’amour qui peut transcender tout ce qui précède.
Les éditions
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Copies [Texte imprimé]
de Radière, Thierry
Jacques Flament éditions / PHILOSOPHIES
ISBN : 9782363362650 ; 16,00 € ; 01/01/2016 ; 214 p. ; Broché
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Corrige les épreuves du Bac d'abord !
Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 14 décembre 2016
Il vit l'amour avec Françoise depuis sa rencontre avec elle six mois plus tôt. Il se présente comme un amputé de la mémoire qui aurait vécu sans souvenirs marquants jusqu’à cette union qui donne un sens à sa vie, un chemin à sa mémoire, reconfigure son existence… Ainsi il s’assimile les souvenirs de Françoise relatifs à ses séjours tahitiens et il nous les fait revivre par la relation qu’il en fait.
" Tahiti se rêve d’elle-même quand Françoise m’en parle. "
Depuis qu’il connaît sa bien-aimée, il se remet en cause en tant qu’enseignant et vit les corrections de copies, souvent indigentes, comme un enfer le séparant du temps à passer avec elle. Son niveau d’exigence a augmenté, il attend désormais trop des copies qu’il corrige.
" Dès que j’ai une bonne copie entre les mains, j’ai le sentiment d’exister."
Sur un ton plus plaisant, il ajoute : " On devrait être exemptés de corrections, quand on est amoureux."
Il n’a pas de réminiscences de son adolescence, aucun souvenir de son propre passage du Bac n’est relaté, et on comprend qu’à commenter comme il le fait les textes de l’épreuve, il vise l’excellence (l’atteint et, si l’on peut dire, la dépasse) tout en épuisant provisoirement (car chaque époque relit les classiques autrement, indique-t-il justement) le commentaire relatif à ces textes. De même, il livre une copie modèle à ces extraits littéraires donnés en pâture à des étudiants qui n’ont pas toujours, pour les multiples raisons évoquées, l’opportunité d’en tirer le meilleur. Par ce prodigieux commentaire, on peut raisonnablement penser que le narrateur devient écrivain et se libère d'une certaine façon de l'emprise des textes exemplaires qu'il a enseignés.
Cela nous vaut de la sorte sur, entre autres, les thèmes (développés le long du récit de manière musicale) de la mémoire et de l’oubli, de la lecture et du temps des pages remarquables et singulières dignes des écrits de Proust ou de Green.
" Le souvenir, c’est peut-être cela : des évocations furtives donnant à l’amnésie des suées que l’on retient malgré soi. "
" Il faut de l’amour pour se souvenir. Ou de la haine aussi. "
" Faut-il avoir tout oublié pour parler de la mémoire comme d’une fiction à inventer ? "
" Je crois davantage à l’oubli qu’aux souvenirs auxquels certains s’agrippent dans la crainte ridicule de perdre la tête et par conséquent le sens de leur vie."
" En plus, elle s’adapte au temps, la mémoire ; elle est diffuse et s’exprime aussi dans l’oubli.(… ) Quand aucune trace ne reste, c’est qu’elle s’est déplacée ailleurs, la mémoire. "
" Les plus beaux souvenirs sont ceux qu’on imagine. "
" Lire, c’est draguer le fond du sens pour faire remonter l’or à la surface du temps. "
Ce narrateur ultrasensible donne par petites touches un examen de l’adolescence et de la jeunesse de laquelle, chaque année qui passe, il se sent plus éloigné. Á l’instar de Nizan s’exprimant sur ses vingt ans, il ne laisserait certainement dire à personne que l’adolescence est le plus bel âge de la vie.
Un constat dénotant une société immature en devenir qui ne sort jamais de l’adolescence car elle n'a plus le courage de se forger des rêves, de cultiver des utopies dans la terre du possible aussi bien que la force de les réaliser.
" D’un clic, ils se retrouvent à des années-lumière des exercices qu’on leur demande d’effectuer. Ils ont perdu l’habitude de lire du français. Cela ne les effraie pas. Ils parlent un anglais très pauvre et il leur permet de dialoguer à la surface de la vie. (…) On dirait que la surface des choses suffit à leur équilibre. Ils sont nés impatients et le deviendront de plus en plus. Cela ne les effraie pas. "
" J’imagine un monde où les gens ne communiqueront plus que par messages écrits et vocaux. Ils n’auront jamais je temps de discuter vraiment, trop pris par leur ordinateur et leur télévision satellitaire présente partout dans la maison. Le mutisme nous guette. L’amnésie, aussi. "
Vient toutefois le moment de la correction de la copie idéale, qu’aucun correcteur n’aurait pu écrire, qui lui fournit matière à définir cette copie parfaite comme étant « le résultat d’une alliance bien dosée entre une créativité enfin sortie de l’ombre et une intelligence terriblement efficace ».
Au fur et à mesure des commentaires et corrections qui constituent le fil d’Ariane du récit, un prétexte à méditer, des esquisses de critique du système éducatif en général et de l’enseignement de la littérature en particulier se dessinent. Car le baccalauréat, épreuve ultime et emblématique d'un cycle d'études, propose à la fois des lectures déconnectées du vécu des étudiants, révélant pour le moins leur (in)adaptation à la société numérique, tout en permettant à chacun d’obtenir la moyenne et, aux autorités, d'afficher un taux de réussite très élevé.
Un fossé s’est creusé entre le corps professoral et le milieu estudiantin. Ainsi, un de ses collègues lui dit un jour cette phrase terrible : « Les élèves sont des fantômes et ils agitent dans nos têtes des idées que nous ne comprenons plus. »
La société nouvelle et les relations qu’elle génère semble échapper aux concepteurs des tests d’évaluation et de toute la chaîne éducationnelle, dépassée, pour n’avoir pas pris la mesure du changement en cours et tout aussi incapable d’opposer une réplique éducative adaptée. Se contentant de refiler La pipe de Mallarmé ou la Fantaisie de Nerval à une masse d’étudiants, intellectuellement amorphes, pour se faire des crocs qu’on n’a pas pu leur apprendre à aiguiser...
Un constat aussi amer que lucide qui a l’avantage de mettre le doigt sur les problèmes réels, sans acrimonie ni procès d’intention, et toujours à échelle humaine. L'homme de terrain, l'homme amoureux des grands textes et de sa femme suggère des solutions tout en s’interrogeant sur le sens de sa vie et l’état de l’enseignement de la littérature.
" Quand allons-nous oser analyser, en même temps que les élèves, un extrait du dernier roman que nous avons lu et que nous avons aimé. "
" Peut-être ignorent-ils que la confusion de leurs pensées fait la richesse d’une argumentation. Il faudrait leur apprendre que disserter, c’est mettre à plat et d’une manière organisée le chantier de la pensée. "
COPIES est un livre non conforme, une suite de variations sur la copie et le modèle, le réel et la fiction, un croisement osé et réussi entre le journal d’un correcteur et l'essai, l'autofiction et l'hymne à l’amour, qui prend justement place dans la collection Philosophies des Éditions Jacques Flament. Indispensable pour comprendre les épreuves du Bac de français, les enjeux actuels de l’éducation mais aussi les noces de l’amour (de la littérature et d’une femme) avec la mémoire.
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