Les huit enfants Schumann de Nicolas Cavaillès
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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La couvée Schumann : entre génie et maladie.
Nicolas Cavaillès confirme son goût de l’écriture lapidaire avec son nouvel ouvrage : un texte méticuleusement ciselé, une grammaire au cordeau et un lexique d’une grande justesse. Ce n’est pas vraiment une surprise pour ce spécialiste de Cioran, qui aura probablement été influencé par la pensée sérieusement travaillée du philosophe des Carpates. Après avoir investi le parcours de l’argonaute François Leguat et après s’être judicieusement demandé quel pouvait être le mystère du saut des baleines, N. Cavaillès prend cette fois pour sujet la vie des huit enfants qui furent engendrés par le binôme Robert et Clara Schumann. On ne saurait d’ailleurs confondre ce Robert Schumann avec le Robert Schuman qui ne fit pour ainsi dire qu’engendrer l’Europe, ce dernier n’ayant jamais partagé sa couche suffisamment longtemps pour qu’il en résultât un enfant, voire ne l’ayant pas du tout partagée, même dans le secret de ses pieuses résolutions. Comme le dit N. Cavaillès, l’occasion sera peut-être saisie ultérieurement pour faire « le récit de l’absence d’enfant Schuman ».
Ce sont donc des pages bien-disantes qui recensent les destins des enfants Schumann et qui en établissent chaque fois une version compendieuse. Nés d’un père musicien au « génie versatile » et médusé par de graves dysfonctionnements des nerfs, les gamins ont relativement hérité de cette double propension, tantôt poussés par une impulsion artistique, tantôt figés dans un épisode maladif, les uns s’en sortant mieux que certains autres. Quant à la mère, Clara, on rapporte également ses dons pour la musique, de très hautes facultés du reste puisqu’elle connut des succès qui firent de réels ombrages à son mari. Elle tournait dans toute l’Europe, les mains agiles sur le piano, assistée par ses enfants qu’elle jugeait les plus aptes, pendant que son mari allait de pics en précipices, fréquemment dérangé par de terribles insomnies, obligé de conquérir sa génialité au cœur des ténèbres, parmi les fantômes et les démons qui le hantaient et le dirigeaient vers de mélancoliques empires. On raconte sans doute avec beaucoup de facilité que Schumann ne parvint pas à se remettre du suicide de sa sœur, mais cette explication ne vaut que pour ceux qui se contentent de réduire la maladie mentale à des antécédents commodes. Bien que cet homme se soit jeté dans le Rhin dans l’espoir d’y être définitivement englouti (il en fut repêché in extremis), il ne nous est pas permis de postuler une réciprocité certaine entre les tourments de sa sœur et les siens. Les esprits tracassés ont en effet ceci de fascinant qu’ils semblent se démarquer entre eux, chacun étant comme une espèce de dimension particulière de l’acédie, un terme utilisé par N. Cavaillès et dont la signification n’a cessé de s’enrichir culturellement. Au sens le plus classique, l’acédie correspond à une puissante dégoûtation de la vie et elle suscite chez ceux qui en sont les dépositaires une carence affective insurmontable. À l’époque médiévale, en outre, on parlait de l’acédie comme d’un péché, le sujet acédique étant accusé de volontairement persister dans cet ennui de vivre. Bien d’autres variantes de l’acédie ont depuis circulé dans les opinions et les savoirs, mais ce qui caractérise l’état acédique en général, c’est bel et bien le constat d’un déficit sentimental qui plonge l’être humain dans d’effrayantes tristesses, dans des spleens incommunicables et destructeurs. L’homme acédique, de la sorte, est potentiellement néfaste pour la famille qu’il pourrait construire. Il faut par conséquent s’imaginer l’association de Robert Schumann, dépressif endurci, avec Clara Wieck, au tempérament cassant et qui fit plus ou moins des sélections marquées entre ses enfants, cataloguant les uns comme capables et les autres comme négligeables. À ce propos, N. Cavaillès suggère que Clara n’aimât peut-être que deux enfants, en l’occurrence les enfants qui n’allèrent pas jusqu’au bout de la génération, ceux qui moururent avant de naître, ceux qui périrent lors d’une fausse couche.
Ce tableau des parents Schumann donne une idée assez fidèle de l’austérité que les descendants eurent à combattre, de la même façon qu’il ajoute une part de surhumanité à l’ensemble, le clan Schumann étant représentatif d’une certaine forme de recrudescence en toutes choses, que ce soit dans l’aliénation, le génie ou la niaiserie. L’auteur rappelle opportunément qu’il y a chez les Schumann des motifs mêlés de fierté et de honte, parce que l’on trouve dans les couloirs de cette famille des idiots, des individus exceptionnels et même de la pédophilie. Ce mélange des caractères évoque une autre grande lignée, celle des Wittgenstein, où il y eut de nombreux suicides tant les ambitions prenaient le pas sur la simplicité de vivre. On peut également songer aux Kennedy, dont les malheurs ont avoisiné les brillantes réussites, dont les accidents, les troubles mentaux et les assassinats n’ont pas empêché Rose Kennedy de mourir dans sa cent-cinquième année, telle une Adélaïde Fouque inventée par Émile Zola, mère et premier moteur des Rougon-Macquart, matrice increvable d’un sang irrégulier où les tares le disputeront aux nobles fondations.
Il est par ailleurs touchant de constater que les difficultés rencontrées par les Schumann n’ont pas épuisé les bonnes intentions et quelquefois l’envie de faire l’apologie d’une famille trop souvent réduite à ses imperfections. Ainsi les sources les plus fiables, ou en tous cas les plus affectueuses, nous viennent d’Eugénie Schumann, qui mourut quasiment nonagénaire et qui écrivit une biographie de son père afin de le défendre contre les jugements qui ne voyaient en lui qu’un souffrant désespéré. En tant qu’elle fut aussi la rédactrice d’un livre de Souvenirs, Eugénie Schumann a contribué à « [l’architecture] de la légende familiale », et N. Cavaillès s’est ingénieusement promené au milieu de ces remembrances, en recoupant tous les propos par d’autres sources et surtout en les augmentant d’impressionnantes intuitions littéraires. Car le ressort de cette chronique des enfants Schumann n’est pas de l’ordre de l’interprétation virtuose ou de la biographie calibrée, il est avant tout d’ordre littéraire. L’ouvrage est nourri d’une écriture qui non seulement redécouvre une histoire familiale captivante, mais qui découvre aussi des éléments psychiques avec audace, donnant à comprendre ce que d’autres documents n’ont fait que nous expliquer ou nous démontrer par le biais de vagues raisonnements.
Il devient donc plaisant de battre le pavé dans la Cité Schumann malgré ses rues coupe-gorge et ses voies sans issue. On apprécie volontiers les thématiques qui se révèlent a posteriori, comme par exemple le grand âge des trois sœurs Élise, Marie et Eugénie, toutes trois pianistes, ou encore les disparitions précoces d’Émile, Félix et Julie, le premier pouvant presque se comparer au « sourd, muet et aveugle » de Lovecraft, le deuxième emporté par la tuberculose et la dernière très tôt fragilisée, les nerfs aussi atteints que le père, condamnée à prendre congé de la vie en avance. N’oublions pas enfin de mentionner Ferdinand, qui mourra presque tout seul, délaissé par tous à l’exception de sa femme Antonie, ravagé par les rhumatismes et abusé par une cohorte de charlatans, médecins malgré eux. Son frère Ludwig sera davantage répudié – on lui diagnostiqua tardivement une myopie qui pouvait justifier de ses comportements bizarres, cependant sa mère força la main pour l’interner en hôpital psychiatrique, n’apercevant dans ce fils qu’un avorton minable. Et puis signalons pour terminer que N. Cavaillès considère l’existence d’un « faux frère » : Johannes Brahms, un autre génie qui passa beaucoup de son temps avec la marmaille Schumann, un genre de frère idéal qui jeta sur cette famille enténébrée une lumière prophylactique – un exorciste talentueux qui chassa quelques démons dans cette maison hantée.
Les éditions
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Les huit enfants Schumann
de Cavaillès, Nicolas
les Éd. du Sonneur
ISBN : 9782916136974 ; 14,00 € ; 21/04/2016 ; 71 p. ; Broché
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Court ouvrage
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 12 juin 2018
Schumann, nous parlons de Robert Schumann, le musicien et de Clara, sa femme, pianiste virtuose reconnue à son époque. Et donc de leur huit enfants : Marie, Élise, Julie, Émile, Ludwig, Ferdinand, Eugénie et Félix. Nicolas Cavaillès retrace le parcours et la destinée de chacun et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il ne fut pas confortable d’être enfant de Clara et Robert Schumann.
C’est que Robert Schumann ne fut pas forcément si reconnu que cela de son vivant et souffrit probablement de la célébrité de sa femme Clara, qui voyageait partout en Europe pour partager son art du piano. Du type dépressif – il est employé le terme « acédie », défini ainsi : « état spirituel de mélancolie dû à l'indifférence, au découragement ou au dégoût » - on se demande comment Robert Schumann en est venu à avoir huit enfants (oui, l’absence de contraception bien sûr), d’autant que Clara, régulièrement emportée par la tourmente de tournées ne se montre pas une mère réellement attentionnée. Comme par ailleurs il tenta, jeune, de se suicider en se jetant dans le Rhin et finit par mourir, toujours jeune à l’asile, ça ne prédisposa pas ces pauvres huit enfants au bonheur.
Alors ces huit enfants ne vont pas avoir d’enfance facile – voire pas d’enfance pour certains – leur sort sera très contrasté mais plutôt pitoyable dans l’ensemble. Nicolas Cavaillès leur consacre à chacun un – court – chapitre.
Pour tout dire, j’ai eu quelque mal à m’y intéresser sérieusement !
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