Des Jours, en s'en Allant de Marcel Migozzi

Des Jours, en s'en Allant de Marcel Migozzi

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 17 avril 2016 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 10 étoiles
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Poésie profondément humaine, évoquant avec une grande sobriété le vieillessement du corps et la mort inéluctable

Ce recueil de Marcel Migozzi inaugure, aux éditions Pétra, une nouvelle collection dédiée à la poésie sous la direction de la poétesse Jeanine Baude. L’édition est très élégante, sur un beau papier glacé qui met en valeur le texte et la photographie originale d’André Villers, qui a collaboré dans les années 50/60/70 avec de nombreux artistes peintres (principalement Picasso) et inventé de nouvelles techniques de tirages négatifs qui ont donné lieu à des expositions.

Ce recueil de Marcel Migozzi, placé sous l’égide d’une citation de Jaccottet (l’un des poètes admirés par l’auteur), est d’une très grande cohérence et s’inscrit dans la lignée des recueils précédents évoquant la progression inexorable de la vieillesse et le lent cheminement vers un décès que l’auteur sait inéluctable. Mais le ton est ici à la fois plus véhément et plus serein, comme si le poète détaillait explicitement les étapes et les symptômes d’une maladie incurable (la vieillesse) :

Rhumatismes déjà. / Os enrochés. Le sang / Passe en vieux. Le genou / est un témoin à charge.

Les bougies d’Alzheimer fument. / L’âme tarie, le sperme en moins, / Le corps composé de débris / De la couronne d’autrefois, / Peut-on donner une leçon d’indifférence / A la souffrance, vieille allumeuse ?

tout en ayant accepté l’issue fatale et l’engloutissement dans le néant de la mort :

Un jour tes jambes s’en iront, seules et / Faibles, vieilles d’os, / La douleur immobile en elles. / Tes jambes s’en iront dans la terre trouée / Définitivement. / Dernière promenade noire. / Pour tes os, ne t’inquiète pas, / Ils n’iront pas bien loin sans toi. / Dans peu de temps muet les mottes / recouvriront même tes mots / Ecrits de ton vivant.

Cette confrontation avec la mort provoque la résurgence des souvenirs d’enfance et suscite l'urgence de profiter des instants de vie, dans la contemplation des beautés que chaque jour apporte (le bleu du ciel, les fleurs du jardin, la présence des êtres aimés : Le thym fleurit le bas du ciel. / Aimons la terre ce matin / Pour que ce verbe-fleur aimer / Ne puisse se faner sur la motte du cœur ).

Toute chose est périssable ; c’est la leçon quotidienne qu’enseigne le jardin :

Les cyprès ne sont pas cardiaques. / Pourtant une branche s’éloigne / De son tronc, vieille et alourdie / De grelots secs, odeur caveau. / Ce matin, les oiseaux évitent cette branche. / Dans le très haut du ciel, / Le feuillage respire, bat. / Nulle ambulance en vue.

Néanmoins, le souvenir établit des ponts entre le passé et le présent et entretient quelque chose qui s’apparente à la survivance et empêche l’effacement. La mémoire des instants vécus, thème essentiel et récurrent dans l’œuvre de Marcel Migozzi, justifie l’écriture poétique qui s’assimile alors à un acte d’amour, à la fois charnel et mystique, envers le monde, envers les autres (notamment la femme aimée et les enfants nés de cet amour) et envers soi-même, par l’enfant qu’on a été, qui n’est pas mort et qui peut-être survivra :

(…) Bonheur ancien laisse des traces / Même amères, tant mieux. Les chairs / Peuvent en témoigner, / Et peut-être les mots en l’absence de corps.

(…) Ne dis rien. Tes paroles / Pourraient tomber dans le vieux pourrissoir / Adulte. / Sauve plutôt les meilleures de tes enfances. / Il en reste encore tant / A ressusciter, vivre, va.

La vie la mort et entre, quoi ? / Ce trou que font les mots. Pourtant / Dans le dernier inventaire : / La pomme d’amour bleue de bouillie bordelaise / La caisse en bois des morues sèches / Dans la cour de la boulangère / Les fagots qui patientent pour un gratin au four. / On sentait la douceur des nuages de poche / L’enfant les emportait au creux de son mouchoir. / En pleine guerre on mangeait peu mais bien content / De vivre à l’eau potable.

Ce pouvoir des mots, le poète le célèbre en même temps qu’il s’en méfie, car les mots se dérobent ( Les vivants savent de tout coeur / Que les mots peuvent les tromper / Que le premier en cache un autre, mort ), et en même temps qu’il s’en moque avec ironie ( Salle d’attente du poème. / Quelqu’un s’agite entre les mots. / Est-ce le nain / « Moi-Je » ? ), parce qu’il y a une vanité incongrue, pour l’homme qui a désappris le catéchisme de son enfance et ne croit plus dans les promesses de la religion, à espérer un salut quand le corps retournera à la poussière (même si ce retour à la terre s’apparente à une restitution foetale à la terre maternelle : En terre, on y sera petit, / Tout petit tas, tétant / Du bout des os le sein de la poussière ).

Néanmoins, malgré sa fragilité, la feuille de papier, qui peut devenir poème ou bateau plié par un enfant (et auquel fait peut-être écho la photo d’André Villers représentant un papier froissé), reste la seule issue possible et le seul exutoire offerts aux mots. Marcel Migozzi, poète pétri de culture méditerranéenne, n’évoque pas la mythologie grecque mais je n’ai pu m’empêcher de songer à une barque flottant sur les eaux du Léthé, dont les eaux paisibles effacent le souvenir des vivants avant qu’ils n’entrent chez les morts.

Tout un jour à vieillir dans un poème ingrat (…)

Ivres de deuil, poètes / Vous regardez toutes ces barques de papier / Qui vous éloignent de vos corps. Puis votre peu / A peu silence sombre. / Votre bouillie de sentiments dérive.

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