Histoire de la violence de Édouard Louis

Histoire de la violence de Édouard Louis

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Lucia-lilas, le 2 mars 2016 (Inscrite le 21 février 2016, 58 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 892ème position).
Visites : 3 713 

Fuir et renaître...

J’ai lu les deux d’un coup (En finir avec Eddy Bellegueule et Histoire de la violence) et suis restée sans voix.
La violence pure, la haine sans mélange m’ont stupéfiée.
Dans cette famille pauvre du Nord de la France, dans ce village où les fins de mois sont difficiles et où l’on boit pour oublier, la violence est omniprésente. Ce que l’on voit est laid, ce que l’on respire donne la nausée, ce que l’on avale engendre des haut-le-cœur, ce que l’on entend n’est qu’injures et cris.
Eddy Bellegueule, le narrateur, va tout d’abord essayer de se fondre dans cet univers qui l’agresse : il essaie de jouer les gros durs, de boire de la bière, de prendre une copine… mais rien n’y fait. C’est un tendre qui n’aime ni la bière ni les filles. Alors, il faut fuir. « La fuite est souvent associée à la lâcheté, alors qu’elle est éminemment courageuse. Rompre c’est se réinventer. » dira Edouard Louis, l’auteur, qui a changé de nom, de dents, de corps et de langue.
Seule l’école lui permettra de s’extirper de ce monde qui le rejette et dont il ne veut plus.
Mais peut-on en finir avec Eddy Bellegueule ? Ce n’est pas si simple…
Dans Histoire de la violence, ce sont les mots de la sœur aînée qui diront l’indicible : le vol, le viol, la tentative d’homicide, comme si seule la langue de l’enfance pouvait exprimer la violence subie. Il corrige les propos de sa sœur mais c’est elle qui parle, qui raconte à son mari ce que son frère a vécu cette nuit de Noël 2012, alors qu’il rentrait chez lui, la rencontre avec un jeune kabyle qui l’approche, le séduit. « Aimer une respiration, il faut le faire quand même. » s’indignera sa sœur. Et puis, les événements s’enchaînent très vite jusqu’au point limite, jusqu’au paroxysme de la violence. Mais le narrateur ne peut supporter d’entendre les policiers, ses amis, sa soeur prendre possession de son histoire : il sait que « le langage ment » et ne comprend pas comment son récit peut « ne plus lui appartenir », il se retrouve soudain « exclu de sa propre histoire. » Et ce qu’il dit se transforme en des propos racistes et violents vis-à-vis de son agresseur. N’avait-t-il pas subi de violences ce garçon dont le père avait quitté le pays pour vivre en foyer, lui qui n’avait pas su saisir la perche que lui tendait l’école pour s’en sortir ? Qui Edouard Louis avait-il eu en face de lui cette nuit-là sinon un double de lui-même, de ce qu’il aurait pu être lui aussi à peu de chose près. Alors, il ne supporte pas les mots des autres sur celui qui a failli le tuer, victime, lui aussi, finalement : « je ne pouvais pas entendre quelqu’un insulter Réda, j’ai eu envie de protéger Réda… »
Le narrateur se méfie des mots, lui qui oscille entre « deux langues ennemies, deux cultures ». Quelle est celle qui dit le vrai, ce qu’il est ? La langue des déshérités, de ceux qui sont dépossédés du langage ou bien celle de l’institution, de la classe dominante ? Comment peut-on vivre au sein de cette dualité ? Etre à la fois Eddy Bellegueule et Edouard Louis ?
Et pourtant, il faut dire, parler pour « s’arracher à son histoire » au risque de rouvrir la plaie à peine refermée, chaque mot prononcé étant une torture mais aussi une voie vers la vérité, « une nouvelle percée » vers la vie de celui qui, épuisé de douleurs, plié en deux sous le fardeau de la souffrance, est forcé de dire, lui qui aurait aimé se taire.
Les paroles de Imre Kertész viennent conclure : « … en écrivant, je cherchais la souffrance la plus aiguë possible, à la limite de l’insupportable, vraisemblablement parce que la souffrance est la vérité, quant à savoir ce qu’est la vérité, écrivis-je, la réponse est simple : la vérité est ce qui me consume, écrivis-je. »
Dire, écrire, souffrir pour s’exhumer et renaître, si c’est possible…

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Les éditions

  • Histoire de la violence [Texte imprimé], roman Édouard Louis
    de Louis, Édouard
    Seuil
    ISBN : 9782021177787 ; 18,00 € ; 07/01/2016 ; 229 p. ; Broché
  • Histoire de la violence [Texte imprimé]
    de Louis, Édouard
    Seuil
    ISBN : 9782757881736 ; 7,10 € ; 28/11/2019 ; 240 p. ; Poche
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Dommage !

6 étoiles

Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans) - 13 mars 2020

Un jeune homme est violé par un inconnu rencontré dans la rue. Il y a eu également tentative d’étranglement. Il raconte son récit mais sa sœur nous dit également son avis.
Hélas, le récit est lourd, on s’y répète à l’infini. Autant j’avais aimé du même auteur « Pour en finir avec Eddy Bellegueule », autant ce roman m’a ennuyé. Dommage !

Extrait :

Quand tu étais petit tu regardais les passants. Tu les fixais, tu avais pris cette manie tu ne sais plus où, tu regardais leurs vêtements, leur façon de marcher, et tu te disais : pourvu que je ne sois pas comme ça. Et tu n’aurais jamais pensé à devenir ce que tu es aujourd’hui.

Parler... Se taire... Ecrire...

9 étoiles

Critique de Henri Cachia (LILLE, Inscrit le 22 octobre 2008, 62 ans) - 19 mai 2018

Tout d'abord bravo à vous Lucia-lilas pour votre avis sur ce livre.
Je me demandais si j'avais à faire « une critique principale » ou « éclair », et j'ai été soulagé de lire la vôtre. Je n'avais pas envie de trahir la parole si précieuse d'Edouard Louis.
Déjà, pour « Pour en finir avec Eddy Bellegueule », je n'avais pas laissé de « critique éclair », ne trouvant pas les bons mots.

Cette « Histoire de la violence », il me semble, donne aussi à entendre les tiraillements de chaque être humain, entre tout et son contraire qui travaillent en nous simultanément. Acceptation et refus, oui et non. La violence du choix permanent.
Et cette injonction sociale qui l'oblige à porter plainte « Vous, vous en êtes sorti, mais peut-être que la prochaine fois, il tuera sa victime ». Lui ne veut envoyer personne en prison. Préférerait ne pas parler.

Je vais me procurer dès que possible « Qui a tué mon père », commandé par Stanislas Nordey qui le mettra en scène en mars 2019.

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