À l'étranger de Nicole Malinconi

À l'étranger de Nicole Malinconi

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 24 février 2004 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 445ème position).
Visites : 6 494  (depuis Novembre 2007)

Chronique d'une faillite annoncée

Nicole Malinconi revient sur une période de sa vie importante, fondamentale - pourrait-on dire en se référant au mode d’enseignement qui y est attaché -, de sa vie puisqu’elle couvre la fin de la petite enfance jusqu‘au début de l’adolescence.
De 6 à 12 ans, elle va vivre en Italie avec ses parents. Le père est italien, il veut se refaire sur le lieu même qu’il a quitté, en dirigeant une entreprise de fabrication de chaussures. La mère le suit et, très vite, la faillite de l’entreprise toute entière, familiale comme professionnelle, paraît inévitable. Les liens qui unissent la mère et la fille sont très forts ; ensemble elles s’acclimatent, trouvent leur repères... Au point qu’à la fin, c’est le pays où elle sont toutes deux nées (la Belgique) qui leur est étranger. A l’instar du père, devenu étranger en Italie...
Malinconi illustre le fait que la condition d’étranger est variable, se mesurant sur une échelle graduée, qui dépend pour sûr du territoire d’où on vient et de celui où l’on est contraint de vivre, mais ce ne sont pas les seuls facteurs... Point réconfortant, l’étrangeté n’est pas une pure fatalité, ni le fait de ne pas l’être, un acquis immuable.

Les chapitres non titrés pourraient l’être de cette façon : l’arrivée, la mort de Staline, la langue étrangère, le sucre au poids, la jeune fille malade, les deux frères, un pied en bas du gradin, l’usine à chaussures, I Miei, ne pas savoir, la nouvelle station service, le jour du cheval, le monde extérieur, les prières, le départ des voisins, les vacances à Rimini, la faillite,... sans mentionner les passages consacrés à des gens du cru: Roberto, Milena, Giulia et Marino, toutes ces rencontres qui tissent une appartenance à un lieu et à une époque, et que l’auteure sauve de l’oubli.

A posteriori, il apparaît que Nicole Malinconi s’est toujours intéressée à la question sociale (elle a été assistante sociale), aux exclus, et que, pour emprunter la distinction de Gramsci (citée par Noguez dans Le Grantécrivain), elle soit une écrivaine qui, semble-t-il, ne veut pas prendre la posture de l’intellectuel « traditionnel » (dans ce clivage, elle représenterait plutôt l’intellectuel « organique » - étroitement lié au destin d’une classe sociale) en restant attachée aux figures du père et de la mère comme à des garants de ses origines, non par souci narcissique, mais pour donner à cette expérience singulière portée universelle... Dans ce même esprit peut-être, l’écriture de Malinconi « poursuit » celle de sa marraine des Lettres, Duras, qui l'a fait aimer lire et écrire. Une langue adéquate pour Malinconi qui s’en fait comme le relais, non par simple imitation mais pour la porter plus loin, rendre au plus près le parler (même si cette langue est très écrite) des gens « d’en bas ». Un parler souvent gommé chez les écrivains-qui-écrivent-bien mais pratiquent comme une langue intérieure, qui ne prend pas le risque de l’étrangeté. Ces écrivains du « parler correct » se sont forgés une langue à eux, aux frontières fermées, qui ne craint pas les infiltrations, les voix immigrées...

Pour ceux qui ont lu Malinconi, Nous deux (prix Rossel 93) et Da solo tout particulièrement, il est émouvant de retrouver les personnages du père et de la mère mais ensemble avec l’enfant hyper sensible qui mettra du temps avant de prendre la plume pour surtout rendre compte de la détresse des autres : des femmes devant la douleur infligée à leur corps (les femmes avortées d’Hôpital silence), des prostituées de « Jardin public », des victimes des guerres (dans « Rien ou presque »), des réprouvés de la société, des étrangers à leur propre pays, à leur langue et à leur communauté par défaut de reconnaisance, d’attention, d’amour...

Ironie de cette chronique d’une faillite anoncée, l’arrivée et le départ de la mère accompagnée de sa fille et plus rarement du père (le père précède les voyages, part à l’avant construire le nid) se font en fiacre - comme par ailleurs la visite du coeur historique de Florence par le narrateur et son père dans Da solo s’effectue en calèche - ; façon de montrer que ces années passées en Italie ne furent qu’une manière de vacances un peu amères, de visite écourtée sur les lieux d’origine.
Pourquoi, pour l’enfant que nous avons tous été, ces moments passés sous la protection des parents réunis, dans l’enclos rassurant de leur affection, demeurent à jamais une source inépuisable du souvenir?
Ce récit poignant illustre par l’exemple cette interrogation.

A signaler la très évocatrice et remarquable photo de couverture.

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Etranger partout

8 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 30 août 2004

Ce récit savoureux de Nicole Malinconi m'a souvent fait penser à "Moreno" de Brina Svit, qui m'avait énormément touchée.
Nicole Malinconi est belge, fille d'un italien vivant en Belgique et d'une belge vivant en Wallonie. Un mélange italo-belge comme on en trouve des centaines en Belgique, des familles complètement intégrées depuis les soixante ans de présence italienne en Belgique, suite à une demande de main-d'oeuvre du plat pays pour les charbonnages.

Quand elle avait six ans, Nicole a suivi ses parents et est partie vivre en Toscane. Séjour de six ans dans un pays qui était le sien par origines familiales et dans lequel, pourtant, elle se sentait un peu comme une étrangère. C'est le récit de ses difficultés mais aussi des conséquences de celles-ci, les liens qui se sont brisés, le fossé grandissant entre Nicole et ses parents, entre son père et sa mère, entre un pays et un autre. L'Italie avait beau être le pays de Nicole Malinconi, rien à faire, l'endroit restait incompréhensible, il y avait la vie belge d'un côté et la vie italienne de l'autre, Nicole ayant un pied dans chacun des deux mondes. Pas facile à vivre.

Magnifiques passages consacrés à la langue, à cet obstacle qu'elle peut constituer et qui fait de vous un étranger. J'ai retrouvé ici les mêmes sensations qu'à la lecture de passages semblables dans "Moreno", cette difficulté de se sentir chez soi même en maîtrisant l'idiome du coin.

C'est une très belle lecture, intime et sensible, qui raconte la douleur de vivre d'une jeune fille en voyage vers ses racines et se heurtant à un mur d'inhospitalité.

Exilés dans la langue étrangère

8 étoiles

Critique de Fee carabine (, Inscrite le 5 juin 2004, 50 ans) - 30 août 2004

Tout comme Kinbote et Ninon, j'ai été séduite par ce récit sensible et juste d'un exil, d'une vie qu'on reconstruit ailleurs, confronté à des us et coutumes différents de ceux du pays natal, à la solitude et à la langue étrangère, dont Nicole Malinconi parle avec une telle justesse que je ne résiste pas à l'envie de recopier ces quelques phrases:

"La langue étrangère vous ignore. Elle circule autour de vous à toute vitesse, elle va sans vous, elle n'est qu'un bruit étranger vous cognant aux oreilles, présent partout, comme sans issue; impossible d'en rencontrer un autre, un qui vous serait familier, qui ne serait plus du bruit, justement; non. La langue étrangère règne en maître, elle fait la vie de la ville étrangère, partout, dès que l'on sort, dès que l'on quitte la protection de la chambre et que l'on se risque dans la rue, dans les lieux, dès qu'on entre à l'école. A cause de la langue que vous ne parlez pas, c'est vous qui devenez étranger; vous êtes quelqu'un qui ne comprend pas ce qu'on vous dit. Vous restez muets avec votre langue première devenue inutile, juste bonne à se parler à soi-même et à se réfugier dans ses pensées secrètes."

On ne pourrait mieux dire...

Trilogie ?

9 étoiles

Critique de Ninon (Namur, Inscrite le 11 avril 2004, 71 ans) - 15 avril 2004

Aprés "nous Deux" et "Da Solo" Nicole malinconi nous emmène au pays de son père.
Un régal ! J'aime la justesse de son écriture si précise et si pointue. J'aime les images, les expressions, les émotions....
Laissez vous toucher par N. Malinconi, à découvrir absolument!

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