Juste ciel de Éric Chevillard

Juste ciel de Éric Chevillard

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Hcdahlem, le 18 janvier 2016 (Inscrit le 9 novembre 2015, 65 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 668ème position).
Visites : 3 735 

Juste ciel… en route pour l'au-delà

Jamais peut-être l’expression «à mourir de rire» n’a mieux convenu que pour ce roman délicieux même s’il ne tient pas forcément ses promesses. Car en refermant le livre, on continue à se perdre en conjectures sur « comment furent créés le monde, la vie, comment tout cela prendra-t-il fin, quelle est la fonction du Mal… »
En revanche, je peux vous promettre que vous passerez un très agréable moment à lire les réflexions post-mortem d’Albert Moindre, spécialiste des ponts transbordeurs (autre espèce en voie de disparition).
Il vous sera par la même occasion donné de réfléchir sur des notions telles que l’intuition, le destin (c’était écrit), le libre arbitre, voire même sur la vie après la mort. Autrement dit, derrière cette joyeuse fantaisie, on finit par toucher ces choses essentielles qui font de l’homme un roseau pensant.
Mais avant cela, il aura bien fallu comprendre par quel concours de circonstances on est passé de vie à trépas et en quoi consiste cette «nouvelle vie». Quiproquos, voire incompréhensions ne sont alors pas inhabituels, surtout lorsqu’on ne trouve pas d’interlocuteur capable d’apporter les bonnes réponses aux questions légitimes qui se posent : « Albert ne s’attendait pas à toute cette bureaucratie. On se croirait au dernier étage du gratte-ciel, dans les locaux vitrés d’une administration tatillonne. »
Voilà qui change des représentations du paradis laissées par les écrits religieux ou par des peintres ne manquant pas d’imagination. Même si le narrateur se demande si en fait, nous aimerions vraiment passer l’éternité dans des « vallons herbus, entouré d’oiseaux blancs, d’agnelets et de buissons fleuris. »
N’oublions pas l’aspect inéluctable d’un décès. Du moins, c’est ce que l’on peut penser avant d’atteindre la page 140. Là, suivant le point de vue, les choses se compliquent ou s’éclaircissent. On y apprend que notre héros est en fait déjà mort plusieurs fois, mais que son caractère et son savoir-faire allaient devoir encore servir.
« Rien ne sera jamais définitif tant que nous n’aurons pas aboli la dimension temporelle dans laquelle s’inscrivent toutes ces histoires. » Comme dans le meilleur des romans de H.G. Wells, « on » a choisi de remonter le temps avant la morsure de vipère fatale, voire même avant la cérémonie des obsèques.
Du coup, l’histoire n’est plus la même. Ni pour Albert, ni pour ses proches, ni pour Miss Colorado 1931, ni même pour le lecteur. Qui peut ainsi continuer à se régaler de ce roman tout simplement vertigineux !
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Bilan d'une vie

8 étoiles

Critique de Catinus (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans) - 16 février 2019

Un homme est tué lors d’un accident de roulage. Des « esprits supérieurs », dirons-nous, lui racontent sa vie dans les moindres détails (voir extrait plus bas, par exemple), ce qu’il n’a pas réalisé dans son existence. Ainsi que toutes les personnes qu’il a croisées dans sa vie sans s’en rendre compte ; les gens qu’il a loupés de peu, ce que ces gens ont fait ou n’ont pas fait.
Tout cela avec évidemment beaucoup d’humour sinon ce ne serait pas drôle.
Le tout aux Editions de Minuit, ce qui n’est pas mal du tout, vous en conviendrez.

Extraits :


Tu as tué sept mille cent huit animaux, toutes espèces confondues, poissons et insectes compris, sans causer de victimes en effet parmi les éléphants et les tigres ; mais cette magnanimité pourrait bien être empreinte de lâcheté. Parmi les sept mille cent huit, tu en as tué six mille soixante-trois volontairement. Nos calculs incluent les exterminations massives au moyen d’insecticides ou de pesticides. Tu en as malencontreusement écrasé les autres en marchant dessus, en t’asseyant sur eux, en refermant un livre – quarante et un morts rien qu’en exécutant ce dernier geste -, d’une violence rare, il est vrai. Si cela peut te consoler, sache que les automobilistes parviennent à des chiffres sept ou huit fois supérieurs. Tu ne conduis pas. Tu as épargné ainsi bien des moustiques et des moucherons, mais aussi des hérissons, des lapins, des chiens, des chats, des biches et des sangliers. Australien motorisé, tu aurais à te reprocher encore la mort de kangourous et d’opossums. Et si le score t’effraie, sache qu’il ne tient pas compte des animaux de boucherie abattus pour te nourrir. Tu as englouti au cours de ta vie l’équivalent de trente-huit bovins, quarante-sept moutons, agneaux compris, soixante-douze cochons de belle taille, terrines comprises, mille douze volailles, œufs non compris, cent vingt-neuf lapins. Et de bon appétit, par surcroît. En revanche, tu n’as pas fini ton autruche. Tu as à peine entamé un cheval. Tu as recraché le singe. Le serpent t’a échappé.

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