Des voix derrière le voile de Faïza Zerouala

Des voix derrière le voile de Faïza Zerouala

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Cyclo, le 19 décembre 2015 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans)
La note : 10 étoiles
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des femmes parlent

Je me souviens très bien de la fameuse affaire du voile à Creil en octobre 1989. Je venais de quitter Amiens et de m'installer à Poitiers avec les enfants. Mais ma femme allait encore passer trois jours par semaine à Amiens où elle travaillait encore à mi-temps à la Bibliothèque départementale jusqu'à la fin décembre. L'affaire y fit grand bruit, car Creil n'était pas éloigné, et probablement quelques collégiennes ou lycéennes voulurent y suivre l'exemple des jeunes filles de Creil. Or Claire avait milité au sein d'une association affiliée à ATD-Quart monde et participé à des activités "culturelles" et d'alphabétisation dans les quartiers proches de chez nous. Elle avait donc vu de près nombre de femmes voilées. Parallèlement, nous avions vu les fenêtres des appartements de ces mêmes quartiers se hérisser de paraboles pendant les années qui précédaient.
Autant je me suis accommodé des voiles qui ne m'ont jamais choqué et ne me gênent pas (des mamans venaient chercher leurs enfants à l'école avec un foulard sur la tête), et les tenues punk ou gothiques, les pantalons troués et les tenues négligées me heurtaient davantage, autant je disais que les paraboles allaient communautariser les populations qui regarderaient la télé en provenance de leur pays d'origine, au lieu de leur permettre de se familiariser avec la langue française par le biais de la télévision. Ce qui n'a effectivement pas manqué, et qui a accentué également le port du foulard et du voile chez ces populations déshéritées. Et personnellement, j'ai toujours été opposé à la loi de 2004 qui, sous prétexte de laïcité (celle-ci a bon dos), a stigmatisé l'islam : "Cette loi a créé plus de dommages qu'autre chose et a donné naissance à une génération de femmes déscolarisées", dit une des participantes à ce livre très intéressant et qui vient de paraître.
Faïza Zerouala, journaliste spécialisée dans les questions de société, y donne la parole à des femmes (elles ont de 18 à 58 ans) qui ont choisi de porter le voile : c'est la première fois qu'on les entend, ou du moins que moi je les entends. En effet, dès qu'il est question de ce sujet, on entend pérorer à longueur d'émission de radio et de télévision des hommes et des femmes qui, en spécialistes patentés, parlent à leur place : qu'il s'agisse d'hommes politiques cherchant à ratisser large sur les terres du Front national, de sociologues à la ramasse médiatique ou de femmes persuadées que le féminisme de type occidental est une norme universelle, tous et toutes s'accordent à penser qu'une femme qui se couvre est forcément une femme soumise ou forcée, alors même qu'on voit dans le livre que souvent elles commencent à se voiler quand elles sont ados "sans l'approbation de leurs parents" (qui craignent que ça perturbe leurs études), voire par opposition à eux.
Chaque chapitre comprend une introduction où l'auteur du livre explique comment elle a choisi et interviewé la personne qui, ensuite, raconte son histoire à la première personne. Toutes ces dix femmes interviewées y témoignent de la difficulté de porter le voile, aussi bien sur le plan personnel, comme signe d'engagement religieux, qu'à l’égard des autres, famille d'abord (qui a intériorisé « Il ne faut pas faire de vagues, ça va être vécu comme une provocation, on n'est pas chez nous ici », mais justement si, elles rétorquent « C'est parce qu'on est chez nous ici qu'on doit montrer ce que l'on est »), et surtout professeurs, employeurs, passagers de transports en commun, commerçants, fonctionnaires de l'administration, où elles doivent essuyer des actes et des propos relevant de l’islamophobie ordinaire (et de sa bêtise), celle du quotidien, celle qui fait mal et pourrit leur vie de femmes musulmanes en France. Avec son cortège de peur, de haine, de crainte d'agressions réelles et rarement médiatisées.
Le témoignage de Naïma est saisissant : elle a porté le voile quand elle fut lycéenne puis l’a ensuite retiré. Bonne élève, particulièrement en histoire (ce qui m'a évidemment interpellé, comme on dit aujourd'hui), elle fut souvent exclue des cours. Son professeur d'histoire avait refusé de la présenter à un concours de dissertations sur la déportation et la Résistance. Elle se débrouilla toute seule pour s'y inscrire et gagna le prix. Écoutons-la : "Je me suis débrouillée sans cours, avec Internet et une biographie de De Gaulle. Et je suis arrivée première. Ni mon prof, ni le proviseur ne m’ont félicitée. Alors que je ramenais une coupe au lycée, et que je lui offrais une pub gratuite car la presse locale en avait parlé ! […] j’ai décidé d’aller à la cérémonie en tailleur, et voilée. C’était une revanche. J’ai serré la main du président du conseil général, qui n’était pas très content qu’une lycéenne voilée gagne. Les anciens résistants qui étaient là m’ont, eux, félicitée : - C’est bien que des personnes de votre origine se souviennent de cette histoire" (faut croire qu'ils sont moins cons que la moyenne). Elle ajoute, elle qui a compris que pour s'intégrer, il fallait être bonne en classe (et le voile n'empêche en rien d'étudier) : "C'est paternaliste et sexiste de renvoyer la femme à son environnement social ou familial". J'ajouterai que c'est colonialiste, et que tant d'années après, on a gardé nos vieux réflexes manichéens datant de l'ère de l'esclavagisme et du colonialisme.
Enfin, on apprend dans ce livre que les motivations sont nombreuses et souvent fort différentes entres ces femmes qui ressentent le besoin de se couvrir, et qu'on ne peut parler de voile en général, "tant ce bout de tissu qui suscite tant de commentaires et de réprobation recouvre des réalités différentes". Le foulard, le hijab, le jilbeb, le sitar, le niqab (seule une des dix interviewées va jusque-là), ne sont pas la même chose, même si tous peuvent revêtir une signification religieuse. Ce qui pose problème, c'est le jugement que notre société pose dessus, alors qu'elles-mêmes ne font pas de prosélytisme, mais ne peuvent pas s'en passer. Elles veulent simplement être une femme musulmane, et regrettent le discours extrêmement normatif qui règne en France : en les repoussant de l'espace public, veut-on les enfermer chez elles ?
"C’est simple, les femmes voilées n’ont pas accès aux médias. Ce sont des hommes ou des femmes non voilées qui parlent d’elles. Or certaines choses, quand tu ne les vis pas dans ta chair, sont difficiles à exprimer", dit l'une d'elles. Est-ce qu'on ne peut pas les écouter un instant ? Arrêter de les victimiser (j'entends bien que l'auteur n'a interrogé que des femmes qui le portent volontairement) en les amalgamant comme opprimées par les hommes et/ou la religion, et surtout de les réduire à leur voile. Je dois être naïf, mais j'aimerais que les anti-voile lisent ce livre et acceptent un instant d'oublier leurs préjugés et d'écouter ces "silencieuses". Laissons-les exercer leur choix et évitons de les juger sommairement, acceptons de les croire quand elles disent le faire de leur propre initiative. On peut être contre le voile (après tout, c'est une position, c'est un droit), mais ce livre nous rappelle que notre prétendu "universalisme" ne s'applique pas partout, et que la conscience doit rester libre.
Et voilà un livre libre.

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  "L'autre", cette inconnue, cette ignorée 4 Provisette1 19 décembre 2015 @ 15:53

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