La grande muraille de Ismaïl Kadaré

La grande muraille de Ismaïl Kadaré

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Jules, le 7 février 2001 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (24 564ème position).
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Le pouvoir et la terreur

La première nouvelle concerne " la Grande Muraille ", qui doit protéger les populations chinoises des tribus nomades.
Mais le problème est que les paysans ne cessent d’enlever des pierres de ce mur pour construire ou étoffer leurs propres maisons. Sans cesse, le mur doit être réparé et les pierres retournent des maisons au mur. Au départ, la grande muraille a été édifiée par la Chine pour se protéger des nomades, mais les choses changent et voilà que se sont les nomades qui veulent se protéger de la Chine et demandent à celle-ci de consolider son mur. En effet elle a un pouvoir lénifiant sur eux, par ses palais, ses soies, ses femmes. Ce pouvoir est une terrible menace. Alors, chacun veut pouvoir se protéger de l'autre derrière la muraille. Le peuple finit par se demander si ce n'est pas de la muraille elle-même qu'il conviendrait de se protéger. Et puis, la vraie question serait peut-être encore ailleurs : il se pourrait que les vieilles paroles à son propos finissent par avoir plus d'influence qu’elle-même.
Le seconde nouvelle est intitulée " Le Firman aveugle ". À une certaine époque, l’empire ottoman est parcouru de bruits des plus inquiétants : le regard de certains pourrait provoquer des catastrophes énormes. Comme la maladie du prince héritier, la mort du jeune Hodja Ibrahim et bien d’autres choses. Que faire contre le mauvais œil ?. Il est indéniable, se disent les populations, que le mauvais œil existe et que ce n’est pas la première fois dans l’empire que le pouvoir a dû agir. Le Sultan va donc prendre une décision, mais laquelle ?. Celle-ci va tomber sous l’aspect d'un édit des plus radical ! Toute personne qui aurait le " mauvais œil " est tenue de le signaler au pouvoir. Cela fait, les autorités crèveront les yeux de la personne concernée, qui touchera une somme assez importante pour " compenser " la perte de ses yeux. Par contre, celui qui ne serait pas venu se dénoncer spontanément se verrait aussi crever les yeux, mais sans aucune indemnité. La rumeur prétendait que, le Sultan dans sa sagesse, avait ainsi arbitré entre deux tendances : la mort, exigée par les uns, pour les porteurs du " mauvais œil, alors que d’autres souhaitaient simplement priver les personnes atteintes du mal de toutes fonctions. Le Sultan, soit le pouvoir, sortait presque grandi par la décision prise !. La dénonciation par tous moyens est évidemment encouragée et même obligatoire. Il n’est pas difficile d’imaginer que les dénonciations n'allaient pas manquer et il revenait donc à chacun de peser ses risques de se retrouver aveugle, mais sans pension financière, ou de devancer une éventuelle dénonciation. Cette nouvelle est tout à fait symbolique et nous montre ce que peuvent donner les excès du pouvoir, mais également le danger que tout individu peut représenter pour les autres lorsqu'un tel pouvoir est en place.

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Les éditions

  • La grande muraille [Texte imprimé], récits Ismail Kadaré trad. de l'albanais par Jusuf Vrioni
    de Kadaré, Ismaïl Vrioni, Jusuf (Traducteur)
    Fayard
    ISBN : 9782213031378 ; 8,00 € ; 25/08/1993 ; 136 p. ; Broché
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2 grandes nouvelles

9 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 10 décembre 2008

Deux grandes nouvelles publiées par Ismaïl Kadaré hors de l’Albanie, de son exil français. Elles concernent à priori des lieux, des époques, des sujets différents. La muraille de Chine d’une part, premier de ses textes écrits en France, et l’époque ottomane d’autre part, écrit en 1984 en Albanie mais immédiatement mis à l’abri en France. Des thèmes différents donc, mais une seule et même préoccupation : l’oppression, les persécutions, la débilisation d’un régime dictatorial, reproche silencieux mais immuable de l’ère Hojda, le dictateur albanais.
« La grande muraille », c’est celle de Chine (clin d’oeil personnel, j’en reviens tout juste). Le narrateur est militaire en place sur la grande muraille, surveillant, et se borne à constater les mouvements étonnants qui peuvent s’y dérouler ; entre les phases d’entretien et de reconstruction, et celles où les paysans la démonte pour s’approprier des pierres de construction, les phases également au cours desquelles on laisse passer des barbares du nord venant négocier avec l’Empereur. Justement, nous sommes dans une telle phase, les barbares viennent de passer pour aller discuter et en même temps des signaux concordants indiquent qu’une nouvelle phase d’entretien de la muraille va être lancée.
Mais rien n’est simple et les différents contacts qu’aura Shung, le surveillant, ainsi que ses propres analyses, le conduiront à privilégier une hypothèse inimaginable à priori ; et si la grande muraille, maintenant, n’avait d’autre utilité que de protéger les barbares, les nomades du nord, du raffinement et de la vie émolliente chinoise ?
Ismaïl Kadaré terminera avec un dernier parallèle, avec une autre grande muraille : la mort. Qui protègerait quoi de qui, ou réciproquement ? Le rattachement à la situation qu’a connu à ce moment l’Albanie est laissé à l’initiative du lecteur. Il s’impose évidemment.

« Le Firman aveugle » est un peu plus transparent d’avec l’oppression qu’a connu l’Albanie et Kadaré fut prudent de mettre son texte à l’abri à l’étranger pour le publier une fois lui-même à l’abri. Il est typique de textes qu’on peut lire en provenance de pays connaissant l’oppression, la dictature. Dans le sentiment, le malaise plutôt, qu’il laisse, j’ai pensé à Franz Kafka, et notamment sa « Colonie pénitentiaire », à Kundera aussi, comme si une filiation de malheur s’imposait à l’insu de tous.
Le sujet est dément. Nous sommes en pays ottoman et le sultan vient d’éditer un décret destiné à lutter contre « le mauvais oeil ».

« Les porteurs de mauvais oeil n’étaient plus, comme par le passé, condamnés à mort, mais seulement privés de la possibilité de commettre leurs méfaits. L’on atteignait cet objectif en leur ôtant l’arme même du crime, laquelle consistait précisément dans leurs yeux mauvais.
C’est ainsi qu’aux termes dudit décret, toute personne convaincue de ce pouvoir malfaisant serait privée de ses yeux.
Les individus frappés par cette mesure recevraient de l’Etat une indemnité dont le montant prévu était supérieur pour ceux qui viendraient avouer spontanément leur tare aux autorités. »

La suite est oppressante puisque ce sur quoi va disserter Kadaré est l’arbitraire de la terreur qui va ainsi peser sur toute la population, du vizir au dernier des mendiants, de se voir éventuellement dénoncé par un voisin, un inconnu … Et Ismaïl Kadaré greffe là-dessus une histoire d’amour qu’on va voir se déliter une fois rentrée dans les affres de la terreur. C ‘est très puissant et le parallèle d’avec l’Albanie d’alors est clairement transparent.
A méditer pour nous qui avons encore la chance de passer à travers de tels régimes. Il en reste pourtant, et de bien nombreux à la surface de la Terre.

Intense et subtil

7 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 13 juin 2005

Kadaré vient tout juste de remporter le prix Man Booker international, une sorte de prix Nobel qui a pour but d’honorer l’ensemble de l’oeuvre d’un écrivain, je ne pouvais donc pas passer à côté.

Jules s’est acquitté admirablement de la tâche de résumer ces deux nouvelles, je vais donc mentionner cette écriture élégante qui évoque tout le grandiose entourant la grande muraille de Chine et une campagne de persécutions horrible à l’époque ottomane. Les deux histoires s’apparentent au conte et racontent merveilleusement l’asservissement des peuples face au pouvoir. Définitivement original et exotique.

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