Colette Baudoche de Maurice Barrès
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Loin de la bienpensance
Voilà un roman qui pourrait causer des crises d’apoplexie à toute une élite de bien-pensants, tant on peut y lire les mots de « français, sol, peuple, race, nation ».
Metz 1907, 37 ans d’occupation prussienne. C’est au travers d’une rencontre entre deux personnages appartenant à chacun des deux camps que le lecteur comprend la difficulté de cette coexistence.
Après avoir célébré les charmes uniques de Metz et sa campagne, mais enlaidis par le goût allemand, Barrès nous montre un jeune Prussien, Frédéric Asmus, fraichement débarqué pour devenir professeur de lycée et perfectionner son français. Il trouve à s’héberger chez une vieille dame et sa petite-fille, Colette Baudoche, avec qui il sympathise rapidement.
En leur compagnie, Asmus va goûter les beautés de la civilisation française, et prendre conscience des lourdeurs de la civilisation germanique. Il se sent de plus en plus en porte-à-faux avec le pangermanisme affiché de ses compatriotes, et finira par demander en mariage la jeune Colette.
Mais cette demande coïncide avec la célébration solennelle de la mort des soldats français pendant la guerre de 1870. Colette ne peut se résoudre à épouser un Allemand et laissera Asmus à ses regrets.
De ce qui aurait pu être une bluette dans le style de Romeo et Juliette, Barrès fait une intéressante plongée dans cette période mal connue de l’occupation prussienne en Alsace –Lorraine.
Non sans parti-pris, Barrès montre la volonté prussienne de germaniser cette région de longue tradition française : la gare de Metz, spectaculaire manifeste de la présence allemande, une visite de Guillaume Ier, un enseignement germanophile. A cette volonté répond la résistance de la population messine : refus d’assister aux cérémonies allemandes, organisation de conférences en français, attachement au sol natal, alors que les Prussiens s’accommoderaient du départ la population locale pour coloniser en profondeur.
Si Colette Baudoche mérite sa qualité d’héroïne éponyme, elle qui sacrifie son amour pour l’honneur national, c’est Asmus qui est le personnage le plus intéressant parce que le plus complexe. Ecartelé entre deux attachements, il représente aux yeux de Barrès le défenseur le plus crédible de la culture française. Mais il doit à la fois se justifier face à ses compatriotes pangermanistes et subir les sarcasmes et la méfiance des locaux. Idiot utile de la cause française, il sera le grand perdant de ce mélange culturel.
Le passage le plus éclairant est le dialogue qu’Asmus tient avec ses collègues pangermanistes à l’occasion d’un incident significatif survenu dans sa classe : alors que le professeur est tenu d’enseigner que "Napoléon était un menteur", un élève messin proteste sur la foi des déclarations de son père. Asmus ne peut que lui donner raison, ce dont il doit rendre compte à ses collègues. Aux pangermanistes qui avancent qu’"il faut amener au germanisme les jeunes cervelles lorraines", et que la civilisation française risque d’ « énerver nos vertus mâles. », Asmus réplique que « la pâte germanique a besoin d’un peu de levain français », que la France présente un atticisme propre à enrichir la culture allemande.
Si Barrès parle admirablement de la terre de France et de ses habitants, il traite souvent par le mépris les manifestations de la culture germanique, qui, il est vrai, représentent l’occupant de sa terre natale. A quelques années du premier grand conflit du XXème siècle, on sent apparaitre les rancoeurs et les malentendus qui feront de Barrès le "rossignol des tranchées."
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