Oublier en avant de Marlena Braester
Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie
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Une longue marche dans le désert, comme une expérience à la fois physique et mystique
Marlena Braester est une poétesse roumaine d'expression française, qui s'est établie en Israël. Néanmoins, ce brassage d'influences multiples ne se reflète pas dans cette poésie minérale très épurée, qui nous immerge dans l’immensité accablante du désert et nous confronte à la pénibilité d’une lente progression sur des dunes de sable friable s’étalant à perte de vue jusqu’à l’horizon immense. La lumière est aveuglante, la soif est obsédante dans ce paysage vide, hanté d’ombres et de pierres, où le néant semble tout à la fois figé et tremblant...
Nous les pèlerins du désert
– les corps tremblant dans leurs contours –
nos ombres nous précèdent dans la marche
dans sa veillée diffuse
il a soif, le désert
l’horizon est si proche
l’horizon est partout
l’horizon de la soif
La poésie joue sur les contrastes et les oppositions entre l’éclat de la lumière et la noirceur des ombres et de la nuit, entre la portée illimitée du regard et l’aveuglement, entre le silence de la voix et les sons inarticulés qu’énoncent le désert, entre la fixité des pierres et l’écoulement permanent du sable soulevé par le vent comme dans un vaste sablier, entre l’éternité palpable et la densité friable de l’instant...
jour et nuit / nuit et jour / s’apaise l’avenir de toutes les pierres
Le sablier / étrangle le désert entier / pierre dans le sable / sable dans la pierre / pierre et sable à la fois / le discontinu et l’insomnie / étranglés / se dénouent les heures / une à une / se dénouent les instants / un à un / suicide / du sablier.
La marcheuse est peu à peu envahie par un sentiment de fatigue et de confusion, que traduisent le rythme lapidaire des vers et les multiples reprises, comme des répétitions, au sein de poèmes qui semblent alterner pauses et hésitations… Néanmoins, le recueil n’est pas la description d’une expérience physique : il est aussi la relation d’une expérience quasi mystique de dissolution de l’être dans la réalité plus vaste du désert.
c’est alors que / « je » / existe le moins / au large d'un désert mûr / absorbé / par la continuité / des grains / mais / l’instant n’a plus / le poids du grain
Le désert n’est pas un vide inerte. Sa sécheresse est paradoxale car elle est la matrice d’une présence cachée sous le sable des dunes et dans les plis du temps. Cette présence est d’abord celle des déserts futurs que le désert présent enfante, comme un symbole d’éternité à valeur de mythe : toutes les pierres sont promises à l’érosion et deviendront sable à leur tour. La mort n'est jamais évoquée : il ne s'agit que d'une transformation portée par le flux du temps... Mais, surtout, le désert est gravide des sons et des images qui donneront jour au poème enfoui dans les sables, comme une sorte d’exsudation s’écoulant par la bouche de la poétesse qui porte désormais en elle la présence du désert…
la poésie nous précède / ensablée / plus nous voulons la lire / plus elle s’ensable (…)
Poésie-érosion / quelques grains de sable / entre tes doigts / transparents / absorbant la lumière de / l’instant / du bout des doigts / retenant ton ombre (…)
Dans la rumeur à rebours / de l’oubli / se laisser écrire / dans nos corps de sable / le poème s’écrit / sous l’étreinte de sable / traînée de sons / traduit / par le sable / effaçant les lettres / d’un poème déjà écrit / bleui d’oubli (…)
des sons dégoulinent / sur la peau / un son reste accroché / à la hauteur de la bouche / - interrogeant (…)
Les éditions
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Oublier en avant [Texte imprimé] Marlena Braester
de Braester, Marlena
J. Brémond / Collection Prix Ilarie Voronca
ISBN : 9782910063771 ; 10 EUR ; 01/01/2002 ; 46 p. p. ; Broché
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