Rue Deschambault de Gabrielle Roy
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Magie de l'enfance, vocation de l'écrivain
"C'était un immigrant, et papa m'avait dit cent fois qu'on ne saurait avoir trop de sympathie, trop d'égards envers les déracinés qui ont bien assez à souffrir de leur dépaysement sans qu'on ajoute par le mépris ou le dédain."
Il m'arrive quand je passe à Paris d'aller à la Librairie du Québec et de rapporter une moisson de livres. Que je ne lis pas forcément tout de suite. J'aime trop être dans l'attente. C'est ainsi que je viens, lors d'un de mes derniers déplacements, d'emporter "Rue Deschambault", de Gabrielle Roy (1909-1983), acheté il y a trois ou quatre ans.
Cette romancière canadienne francophone (qui obtint le prix Femina en 1947) y raconte sous la forme de nouvelles plus ou moins brèves des épisodes de son enfance et de sa jeunesse dans le Manitoba, ceux qui ont justement fondé sa vocation d'écrivain. Ce sont le plus souvent des rencontres, des souvenirs d'enfant, de sa curiosité qui s'aiguisait au fil de ses apprentissages.
On y trouvera un magnifique portrait de son père, employé du gouvernement au service des immigrants, notamment venant de l'empire russe, qui s'installaient dans le Manitoba ou le Saskatchewan. Un père taiseux, souvent absent, puisqu'il était à régler les problèmes de ses Doukhobors ou de ses Petits-Ruthènes, mais un père admirable, avec qui la petite fille (nommée Christine dans le livre, largement autobiographique) apprendra la fraternité et l'accueil.
Mais tout aussi beau est le portrait de sa mère, qui régit avec vigueur et beaucoup d'amour la maison et la famille nombreuse : deux de ses filles vont devenir religieuses, une autre sombre dans la folie. Le chapitre "Les déserteuses", où la mère quitte le foyer avec Christine pour prendre le train jusqu'au Québec, sans avoir demandé l'autorisation à son mari absent, et après avoir gagné par elle-même l'argent du voyage par des travaux de couture, est d'une humanité déchirante.
Tout aussi superbes sont les chapitres où sont évoqués les nombreux immigrants qui peuplent le Canada, et qui n'y sont pas toujours bien accueillis : "Les deux nègres", "L'Italienne", "Wilhelm", nous montrent Christine enfant ou adolescente qui apprend à regarder avec les yeux du cœur ces étranges étrangers. Auxquels on pourrait ajouter les vieillards à qui l'enfant, en vacances chez une tante un peu austère, rend visite en faisant une fugue ("Mon chapeau rose"). Ou bien la tante Thérésina, souffrant d'un asthme chronique, calfeutrée sous des piles de lainages et dans une chambre surchauffée, et son mari, l'oncle Majorique, éternel vagabond qui veut à toute force rapprocher sa femme de la Californie, où le climat lui serait plus favorable : elle y mourra sitôt arrivée !
Je n'en dis pas plus, c'est un livre tout bonnement magique (réédition chez Boréal, 2010), qui donne, évidemment, envie de lire ses autres livres. Bien entendu, le fait d'avoir vécu moi-même mon enfance à la campagne (moins rude certes que celle du Manitoba) m'a fait adhérer sans peine aux petits bonheurs et petits malheurs de l'héroïne.
Et, au moment où l'Europe dans son ensemble, et la France en particulier, se braque sur le soi-disant « problème » des immigrants, la phrase que j'ai relevée et mise en exergue nous invite à méditer.
Les éditions
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Rue Deschambault [Texte imprimé], roman Gabrielle Roy
de Roy, Gabrielle
Boréal / Boréal compact
ISBN : 9782890525771 ; 9,00 € ; 15/08/1993 ; 265 p. ; Broché
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