Retour à Duvert de Gilles Sebhan

Retour à Duvert de Gilles Sebhan

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 13 octobre 2015 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans)
La note : 8 étoiles
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Le bon grain et l'ivraie

Le 20 août 2008, le corps décédé de l’écrivain Tony Duvert est trouvé à son domicile, dans un petit village de Touraine où il vivait dans une quasi réclusion depuis 1994. Il était mort depuis plusieurs semaines, personne ne s’inquiétait de ne plus le voir dans le village. Il avait pourtant été un écrivain célèbre, titulaire du Prix Médicis en 1973 pour « Paysage de fantaisie », défrayant la chronique, provoquant le scandale, déclenchant des bagarres et des polémiques à la moindre occasion. Il avait un don pour se fâcher avec tout le monde même ses meilleurs amis. Il prônait la pédophilie dont il était un fervent adepte et un pratiquant assidu, surtout lors de ses séjours au Maroc. Mais, après le scandale du Coral, quand les homosexuels et les pédophiles se sont séparés, ne faisant plus cause commune, Duvert est devenu très prudent, il a cessé d’écrire et s’est presque retiré du monde. Il a alors vécu dans la dèche avec une mère qui ne l’aimait pas et qu’il ne supportait plus. A la mort de celle-ci, un petit héritage lui a permis de vivre moins mal mais c’est surtout l’adaptation d’une de ses œuvres à la télévision qui lui a procuré une meilleure situation financière vers le début du nouveau millénaire.

En 2010, Gilles Sebhan, publie une biographie de cet auteur talentueux mais très sulfureux, cette publication provoque de nombreuses réactions de personnes concernées par l’homosexualité, et même la pédophilie, mais aussi celle de son frère survivant, l’autre est décédé trop jeune, et de nombreux amis éditeurs, auteurs, critiques, etc.…, célèbres, connus ou inconnus. Il accumule ainsi une grande quantité de matériaux : correspondances, photographies, documents divers et témoignages oraux qui lui permettent d’affiner l’image du personnage et de reconstituer la part de sa vie la plus méconnue. Il comprend alors la nécessité d’écrire une nouvelle biographie de Duvert car il pense avoir fait la part trop belle à cet auteur à scandale et avoir chargé à tort son frère, l’accusant d’avoir laissé mourir son cadet sans assistance.

C’est donc cette biographie revisitée que Gilles Sebhan publie aujourd’hui chez Le Dilettante et que j’ai lue avec une grande attention. Il faut être courageux pour écrire deux fois la biographie d’un tel personnage, un personnage qui dégage si peu de sympathie qu’on ne peut avoir une quelconque empathie à son endroit. Comment s’attacher à un être arrogant, prétentieux, querelleur, provocateur, misanthrope, imbu de lui-même, mauvaise langue, éternel persécuté et comme heureux de l’être. Comment parler d’un pédophile qui a étalé ses « exploits » comme autant d’actes de bravoure sans une certaine répugnance. Sebhan, dans un premier temps pensait qu’il était plutôt pédéraste à la mode des Grecs de l’antiquité, esthète, amoureux du corps des enfants mais certains documents laissent planer le doute, le pédophile aurait peut-être commis des actes d’une réelle gravité mais qui ne sait n’accuse pas. Le biographe, lui aussi doté d’un réel talent littéraire, sait garder, dans cette version au moins, la distance nécessaire avec son personnage et semble toujours conserver une réelle impartialité avec son sujet, il n’affirme que ce qu’il peut prouver. Il a le grand mérite de faire renaître un grand auteur tout en ne laissant pas sous le tapis la poussière de ses actes immoraux et son comportement inacceptable envers les autres.

Le sujet est aujourd’hui très brûlant, à juste titre, et pourtant on ne peut l’ignorer, faire l’autruche serait la pire des solutions, il faut savoir, j’ai envie de lire un texte de Duvert pour essayer de comprendre car la pédophilie n’est peut-être pas seulement un vice, ni une maladie qu’on attrape, c’est peut-être aussi un état dont on hérite et dont on souffre cruellement. Sebhan ne se prononce pas sur ce sujet mais à lire la vie de Duvert on peut ressentir une réelle douleur et penser que toute son agressivité et son désespoir peuvent venir du fait de devoir lutter contre un état qu’il ne voudrait pas assumer. Je n’évoque en rien une opinion mais seulement un ressenti de lecture.

Dans cette lecture, j’ai aussi apprécié de rencontrer beaucoup d’hommes de lettres, des gens qui faisaient partie du monde littéraire de la seconde moitié du XX° siècle, et d’ainsi mieux connaître ce monde, ses mœurs et ses œuvres. J’ai l’impression d’avoir étoffé ma culture grâce à Sebhan et Tony Duvert qui fut directeur de la revue « Minuit » créée par les éditions du même nom, chroniqueur régulier à « Gai Pied » pendant de nombreuses années et qui reste à jamais à la tête d’une belle bibliographie. Encore une fois, sachons distinguer l’auteur de l’homme, l’écrivain du pédophile, celui qui a donné une chance à de nombreux jeunes écrivains de l’être arrogant et violent, presque toujours insupportable.

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