L'inconnu cardinal de Donia Berriri, Fanny Michaelis (Dessin)

L'inconnu cardinal de Donia Berriri, Fanny Michaelis (Dessin)

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 21 septembre 2015 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 7 étoiles
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Une poésie sincère et touchante, mais qui gagnerait à se libérer d'un attachement excessif aux formes "canoniques" de la poésie

C’est la lecture du poème liminaire, où j’ai retrouvé l’inspiration des textes « poétiques » que j’écrivais vers l’âge de mes 20 ans (révolus depuis 20 ans…), qui m’a incité à me plonger dans cette mince plaquette qui se place sous l'égide de Baudelaire « N’importe où ! Pourvu que ce soit hors de ce monde ! ». Ce premier texte du recueil est un poème en prose qui évoque le désir d’ailleurs, lancinant dans le cœur de tout jeune adulte au sortir de l'adolescence, et d’une vie plus intense que la morne banalité de notre quotidien englué dans la répétition des jours et l’asphalte des villes, où se presse une foule de passants anonymes.

Les passants météores défilent à corps perdu au pied de la butte éthérée. Leurs poches débordent d’amertume (…) Bientôt, les lampadaires exultent et les enfants se taisent. Les étoiles s’inclinent à l’heure où la ville revêt sa morne chape transpercée de buildings. De pâles lueurs s’échappent des fenêtres embuées et de frêles bouffées des cheminées ensommeillées. S’entassent les rêves dans les cours étroites au ciel sans issue. Il ne fait plus bleu, l’anthracite a gagné les toitures endolories. Les pierres englouties par les pluies irascibles recrachent l’oxyde des automnes passés. Septembre se souvient.

Ce thème récurrent, qui hante le recueil, est décliné sous de nombreuses formes dans des poèmes en prose et des poèmes rimés, aux formes classiques (sonnets, etc.). L’auteure, que je ne connais pas et dont l’âge n’est pas indiqué, est sans aucun doute assez jeune car les thèmes du recueil et les procédés de son écriture poétique (notamment une utilisation un peu forcée et imparfaitement maîtrisée de la versification en alexandrins) attestent d’une voix qui cherche encore les moyens de faire entendre ses accents, intimes et personnels, pour restituer la densité de moments intensément vécus ou ressentis au plus profond d’elle. Il lui faudra faire l’effort de renoncer aux formes fixes qui l’enferment dans un carcan et ôtent de la spontanéité à son écriture, dont la poésie se manifeste avec beaucoup plus de naturel et d'impact, grâce à des images justes, et même avec davantage de musicalité, dans les textes en prose ou en vers libres ou dans quelques vers alexandrins rejetés hors des poèmes.

Elle s’est endormie un soir, il était bien trop tôt.
Je me suis réveillée sur l’autre continent dans un rêve incolore, à l’heure où les souvenirs s’étaient enfuis déjà. L’été avait filé et ne reviendrait pas.
Demain semblait si loin, quelle maudite impatience m’a fait courir plus vite !

**

Sourire figé
La lune retient son souffle

***
On a peut-être trop ici d’un cœur pour deux


La composition du recueil, divisé en quatre parties intitulées selon les signes cardinaux (en écho au titre), s’attache essentiellement à la dualité Nord/Sud. On devine, à la lecture des poèmes qui se font écho, que l’auteure, vraisemblablement originaire du Maroc (tant sont nombreuses les références à Tanger), a vécu la double épreuve d’un déracinement, hors d’un pays dont elle garde la nostalgie, et d’une immersion, brutale et violente, dans la jungle de béton d’une ville, où elle s’est sentie perdue au milieu d’une foule d’autres êtres également perdus (cf ses multiples évocations du quartier de la goutte d’Or). La déréliction nourrit cette poésie, qui avoue les désirs de départ, les rêves d’ailleurs (par le biais du rêve et des images inspirées par la nature, très présente dans le recueil) et les désillusions du réel, comme pour les transcender. Néanmoins, il n’y a là aucun épanchement larmoyant ni volonté d’apitoyer le lecteur. Au contraire, cette écriture, malgré ses défauts (de jeunesse ?) est touchante par l’espèce de foi confiante qui semble l’habiter, notamment l’amour de la poésie appliquée comme un baume sur les épreuves de la vie et capable de ré-enchanter le monde. Il est simplement dommage que l’auteure, au lieu de parler avec simplicité et sincérité à son lecteur, se soit attachée à des formes fixes qui s’apparentent parfois à des exercices d’écriture un peu maladroits (notamment dans la recherche des rimes, l’accolement quasi systématique d’un adjectif à tout substantif et l’utilisation un peu forcée des diphtongues et des « e » muets pour obtenir le bon compte des 12 pieds). Alors que l'auteure assume de s'exprimer à la 1ère personne, ce formalisme « académique » instaure une distance que n’annonçait pas le très beau dessin de couverture (une jeune femme nue en position fœtale, peinte dans un style d’enluminure persane, sur fond de vagues enroulées), qui suggérait tout à la fois la fragilité et le dévoilement.

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