Profession du père de Sorj Chalandon
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Mon père ce héros...
Il y a longtemps que je n’avais pas lu un si bon livre. Un homme raconte son enfance difficile dominée par un père au comportement étrange, un père qui le bat régulièrement à la moindre faute, un père qui terrorise sa mère soumise, un père qui s’invente une profession d’agent secret faisant partie d’une organisation dont le but ultime est l’assassinat de De Gaulle. L’enfant croit tout, gobe tout des mensonges de son paternel sans jamais douter de lui et se demander pourquoi sa famille est si isolée du reste du monde sans jamais recevoir de visiteurs ni fréquenter qui que ce soit. Parvenu à l’âge adulte et vivant loin de ses parents, il découvre peu à peu qui était son père et l’origine de ses fantasmes d’agent secret et de son fameux ami américain supposément son parrain prénommé Ted.
Merveilleux livre ayant pour thème la maladie mentale et les ravages qu’elle peut causer sur la vie familiale et sociale des proches de la personne atteinte. L’auteur raconte tout avec parfois un humour irrésistible malgré le tragique de la situation. Et la fin, cette fin si émouvante et d’une tristesse indicible.
Un auteur et un livre qui méritent un sinon plusieurs prix littéraires et j’espère de tout mon cœur que ce sera le cas tellement j’ai aimé ce récit tragi-comique d’une famille vivant repliée sur elle-même, vivant dans un appartement tenant plus du caveau que d’un foyer. Récit admirable.
Les éditions
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Profession du père [Texte imprimé]
de Chalandon, Sorj
B. Grasset
ISBN : 9782246857136 ; 19,00 € ; 19/08/2015 ; 320 p. ; Broché -
Profession du père [Texte imprimé]
de Chalandon, Sorj
le Livre de poche / Littérature & Documents
ISBN : 9782253066255 ; 7,90 € ; 01/09/2016 ; 288 p. ; Broché
Les livres liés
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Les critiques éclairs (9)
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Délire schizophrénique
Critique de Bernard2 (DAX, Inscrit le 13 mai 2004, 75 ans) - 28 avril 2022
Un livre qui ne peut laisser indifférent et dont on se souvient.
À noter une adaptation cinématographique éponyme, assez réussie, avec Benoît Poelvoorde dans le rôle du père.
Un thème qui ne manque pas d'intérêt
Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 19 février 2016
L’histoire est relatée avec les non-dits de circonstances, les silences, des personnages victimes qui se voilent la face devant l’évidence qu’ils refusent d’affronter. La réalité est clairement dans certains cas plus difficile à admettre que les fantasmes d’un mythomane profond et colérique.
S’agit-il ici d'un récit autobiographique ? C’est possible car si comme le dit l’adage, si c’était une fiction, elle aurait le défaut de ne pas être crédible. Cela ne correspond pas exactement à la biographie officielle de l’auteur, mais il est très probable qu’il s’inspire fortement d’une réalité personnelle.
En fin de compte, si ce livre m’a davantage pris que « Le quatrième mur », je ne sais pas vraiment dire pourquoi, j’ai tout de même un léger problème avec la mise en musique de Chalandon qui manque de lyrisme.
Je est un autre !
Critique de Rotko (Avrillé, Inscrit le 22 septembre 2002, 50 ans) - 25 janvier 2016
Chacun a bien évoqué l’enfance brisée par les folles idées du père, ses comportements de mythomane/mégalomane, les retombées cruelles sur le narrateur, qui le font encore souffrir à l’âge adulte, jusqu’à perturber sa vie affective et sociale.
Le pouvoir d’attraction de ce récit a même pu pousser certains lecteurs à croire à une autobiographie à peine déguisée.
Sauf avis contraire, et à la différence de Sorj Chalandon, le narrateur ne devient pas écrivain, mais restaurateur d’œuvres d’art, aboutissement d’une volonté d’expression qui se manifestait par ses dessins « à la Picasso », échappatoire salutaire, puisque toutes les autres issues se trouvaient bloquées par l’obligation du secret.
Ce choix de profession n’est pas sans intérêt dans le récit : le narrateur procède par petits épisodes (courts chapitres) de la vie de son père, acteur multiple, et de la sienne propre, il les met en scène ou les remet à jour, à partir des données primitives de l’enfance. Ainsi le restaurateur révèle-t-il la peinture initiale de l’œuvre à lui confiée, pour retrouver une authenticité et l’émotion du regardeur, enfouie sous des retouches maladroites, dues peut-être au passage du temps.
Recréation, mais aussi vision évolutive dans le récit, puisque les personnages vieillissent, conservant malgré tout quelques traits de leurs caractéristiques initiales : le père affabulateur et tyrannique, le fils crédule et traumatisé, la mère soumise et aveugle …
On pourrait même dire que la faculté d’inventer des histoires perçues comme convaincantes est passée du père au fils, ce dernier trouvant avec Luca dans son entourage scolaire une victime bien crédule et docile de ses inventions. A se demander même s’il n’y a pas là une image du romancier capable de séduire et de convaincre les lecteurs …
Le romancier, comme les auteurs de fictions dans « profession du père », se tire bien d’affaire, puisque les hasards de l’enquête ne remontent pas jusqu’au scénario du manipulateur : à l‘école, le collégien narrateur n’est pas inquiété, et à la maison, le père est couvert par les silences de la mère ou ses maladresses à manier une cassette de prétendus « aveux ».
Dès lors, l’attention pourrait se déplacer sur des complicités objectives du délire paternel : la mère « efface » de son esprit les comportements du père, voire son existence, et le médecin référent n’a rien vu ou entendu d’anormal chez son patient !
Par une grande économie de moyens - un mot de trop le trahirait ou affaiblirait l’impact des « histoires » racontées, Chalandon, à défaut de mener son lecteur en bateau, l'embarque à son bord, et avec un grand sang-froid veille à la bonne livraison de son récit.
Au lecteur de gérer émotions et réflexions, l’auteur a fignolé son travail et passera dans quelque temps à inventer d’autres histoires ... convaincantes ;-).
Fantasmes et réalités
Critique de Tanneguy (Paris, Inscrit le 21 septembre 2006, 85 ans) - 27 novembre 2015
Ce récit de toute une vie plonge le lecteur dans un profond malaise, mais il est plutôt bien et se lit facilement.
Une enfance en enfer
Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 11 novembre 2015
Émile, alors qu'il arrive à la soixantaine, entreprend de raconter son enfance. Entre un père malade mental, une mère soumise et résignée, laissant son mari frapper son petit garçon, le laissant passer des nuits enfermé dans l'armoire, le laissant le priver de nourriture.
"Tu connais ton père, disait-elle".
Et ses coups sans relâche.
Et ses délires ; délires que le petit garçon ne perçoit pas. Si son père lui dit qu'il est membre de L'OAS, il est fier de la confiance qu'il lui témoigne, même si cela s'accompagne de nouvelles brimades. Si son père lui dit qu'il va tuer De Gaulle, il va forcément libérer la France du traître.
Un récit difficile, jusqu'au bout, où seule la reconnaissance, à quelques semaines de sa mort, de la folie profonde du père, libérera la parole du fils qui aura pourtant cette pensée : "Je n'arrive pas à ne pas l'aimer". Alors même qu'il fait le constat définitif du manque d'amour, ou pour le moins d'affection, l'indifférence de ses parents quand lui même vient d'être papa.
Un livre poignant, bouleversant, violent, dérangeant où l'on se demande comment un enfant arrive à se construire et à admettre un tel comportement de ses propres père et mère.
Enthousiaste lecture
Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 7 novembre 2015
Chalandon a eu le grand mérite d'aborder un sujet grave sur un ton badin. C'est digeste, souvent drôle, bourré de "touches de rappel" qui se marient parfaitement.
Bravo. Mille fois bravo monsieur Sorj Chalandon. Des textes pareils on en redemande.
La décence dans la tragédie
Critique de Bluewitch (Charleroi, Inscrite le 20 février 2001, 45 ans) - 26 octobre 2015
Parachutiste, maître de judo, agent secret, footballeur, pasteur... le père d'Émile Choulans se dit être tout. Tout ça. Et lorsqu'il faut remplir la feuille d'inscription à la rentrée des classes, c'est toujours le même problème. Dans les histoires de son père, il y a l'OAS et son rêve de rendre l'Algérie aux Français (on est au début des années soixante). Il y a la trahison de De Gaulle. Il y a Ted, le parrain américain d'Emile, celui qu'il n'a jamais vu, agent secret et maître d'orchestre de sa vie.
L'enfant de la première partie du livre est fier et admiratif du père, malgré la violence verbale et physique, malgré l'humiliation, la "maison de correction", cette armoire où il doit passer des heures à genoux en guise de punition... Tout cela sous le regard d'une mère passive, sourde et aveugle, complice ignorante, soumise et battue. Envoyé pour des missions folles, épuisé mais docile, Émile gagne le terrain de la vie comme il peut, cerné par l'enclos familial et l'absence d'autre modèle que son quotidien en huis-clos. Et puis vient Émile l'homme, le changement de regard, la compréhension, la compassion mais aussi l'énorme blessure, la plaie ouverte. L'homme qui comprend la folie du père, cette folie contagieuse qui les a bercés tous avec brutalité. Le père est fou, et pourtant, son monde croit à ses histoires. "Tu connais ton père, Émile...".
Ce qui est extraordinaire chez Chalandon, c'est sa capacité à susciter du grand sans jamais en faire trop. Son sens de l'image lui facilite l'économie de mots, d'effets, de surenchère. Tout vient, tout est à sa juste place et touche, touche encore. C'est une délicatesse de la souffrance qu'il nous offre, la rendant plus violente encore.
Cette mise à nu du cœur et de lui-même se fait avec une énorme pudeur, un grand respect, étonnant et subtil. Chalandon est stupéfiant dans l'art de nous rappeler la décence dans la tragédie, sa part comique et humble aussi, là, dans notre époque de décadence, de voyeurisme et de vulgarité de l'horreur. Il nous rappelle cette décence qu'il serait si facile d'oublier.
Troublants souvenirs
Critique de Killing79 (Chamalieres, Inscrit le 28 octobre 2010, 45 ans) - 27 septembre 2015
Mais cette fois-ci, j’ai fait une exception. J’ai pris cette décision pour la simple et bonne raison que c’était Sorj Chalandon qui s’y collait. Cet auteur m’avait passionné quand je l’ai découvert avec « Mon traître » et « Retour à Killybegs », son diptyque sur l’IRA. Il m’avait ensuite secoué et bouleversé avec son théâtral et guerrier « Quatrième mur », à tel point que je m’étais promis de lire tous ses écrits à venir. Et autant vous dire tout de suite que j’ai bien fait.
Comme souvent chez lui, l’histoire qu’il partage avec nous, n’est pas totalement autobiographique, car il utilise des prénoms fictifs, des métiers fictifs. Mais on sent bien à la fermeture du livre qu’il a voulu se raconter lui-même à travers une fiction un peu romancée. L’écriture de Sorj Chalandon est toujours aussi précieuse. Sans fioritures et composée de phrases courtes, elle nous plonge dans le cerveau du narrateur pour nous en faire ressentir toutes les émotions. Et comme dans ses romans précédents, les sentiments qui transpirent de ce texte, ne sont jamais excessifs. L’auteur fait une nouvelle fois preuve d’une extrême justesse, comme s’il ne voulait ou ne pouvait pas tricher et c’est ça qui rend son œuvre si captivante.
Le récit est divisé en deux parties qui résument l’état d’esprit du narrateur par rapport au comportement de son père. Une première est consacrée à son enfance qui fait la part belle à l’innocence, à la naïveté mais aussi à la tyrannie. La seconde s’attache à son âge adulte où il est surtout question de détresse et de tristesse. Grâce au talent de Sorj Chalandon, j’ai vécu à ses côtés toutes ces émotions, souvent le cœur serré et je réitère donc ma promesse… vivement le prochain !
Profession du père de Sorj Chalandon
Critique de Presse-k (, Inscrite le 9 mars 2014, 39 ans) - 23 septembre 2015
Cette oeuvre commence avec une scène comme on n’en voit pas tous les jours. À l’enterrement de son père, le narrateur dit : « Nous n’étions que nous, ma mère et moi. Lorsque le cercueil de mon père est entré dans la pièce, posé sur un chariot, j’ai pensé à une desserte de restaurant. Les croque-morts étaient trois. Visages gris, vestes noires, cravates mal nouées, pantalons trop courts, chaussettes blanches et chaussures molles. Ni dignes, ni graves, ils ne savaient que faire de leur regard et de leurs mains. J’ai chassé un sourire. Mon père allait être congédié par des videurs de boîte de nuit. ». Ce paragraphe donne en quelque sorte le ton de la suite.
Plus loin, cette phrase démontre un peu cette relation complexe et distante que le narrateur entretien avec son père : « Ma mère est entrée. Elle s’était changée. Sa jupe rouge, son chemisier blanc et sa veste légère. Elle sortait. Elle avait gagné. Elle laisserait du jambon et du fromage blanc. Cela me faisait plaisir de manger en tête à tête avec mon père ? Je ne savais pas. Jamais je ne m’étais trouvé seul à table avec lui. ».
Pour essayer d’excuser son mari auprès de son fils, la mère du petit Emile, qui est Chalandon, lui disait : « Tu connais ton père ».
Les scènes qui m’ont énormément marquée :
A – Quand il avait neuf ans :
Invitée et convaincue par l’une de ses collègues d’assister à un spectacle, sa mère décide d’y aller et prévoit pour son fils et son mari, de quoi souper. Une fois sa mère partie, le narrateur va toquer à la porte de son père, pour savoir s’il venait manger avec lui. Son père ne répondit pas et haussa le volume de la radio… Il a sursauté dans son lit, en entendant des coups forts et répétés contre la porte. Croyant que son père dormait, il descendit voir ce qui se passait et entendit la voix de sa mère qui n’arrivait pas à ouvrir la porte (le père avait laissé une clef dans la serrure). Il vit son père dans le noir, qui d’un signe du menton, le renvoya dans sa chambre, se mit à le tabasser puis lui dit : « Si tu lui ouvres, je la tue ».
B – Quand il a eu zéro de moyenne à l’école :
Le fait de suivre son père dans ses délires l’éloignait de ses études. Le jour où il est rentré à la maison avec un zéro de moyenne, c’est sa mère qui l’a annoncé au père et celui-ci le lyncha: « Je ne pleurais pas. Je tremblais, je gémissais, j’ouvrais et fermais les yeux très vite comme lorsqu’on va mourir, mais je ne pleurais pas. Je pleurais avant les coups, à cause de la frayeur. Après les coups, à cause de la douleur. Mais jamais pendant. Lorsque mon père me frappait, je fixais un point dans la chambre, le pied de mon lit, mon carnet déchiré, un livre jeté sur le sol, ses mules de cuir. Je pensais à tout ce qui finirait bien par disparaître. Parce qu’ils s’arrêtent, les coups. Toujours, ils s’arrêteraient. Lorsque mon père avait mal aux mains, que ma mère criait fort, que je ne bougeais plus. Il y avait toujours un moment où son poing retombait. Et cette fois encore, son poing est retombé. J’ai ouvert les yeux. Il m’a regardé à la recherche d’air. La chambre, les draps, la couverture, l’oreiller, les pages arrachées, le danseur lacéré. C’était comme chaque fois. Il se réveillait. Se demandait ce qui s’était passé dans notre maison. Son regard le disait. Il était perdu de me voir à ses pieds. ».
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