Danser les ombres de Laurent Gaudé

Danser les ombres de Laurent Gaudé

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Tanneguy, le 22 août 2015 (Paris, Inscrit le 21 septembre 2006, 84 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 576ème position).
Visites : 5 978 

Le martyre d'Haïti

Laurent Gaudé est un écrivain reconnu et souvent apprécié, ses récits sont colorés et poétiques ; c'est encore le cas cette fois quand il aborde Haïti et sa population dont on connaît surtout le côté pittoresque et son histoire dramatique : elle a connu plusieurs dictatures sanguinaires, les Duvallier père et fils, puis Aristide le prêtre fou que les bonnes sociétés européennes ont d'abord considéré comme respectable (il était contre les Américains !).

Elle se remettait à peine de ces drames lorsque l'île a été frappée par un terrible tremblement de terre qui a tout ravagé. Voilà le sujet de ce roman qui vit ces catastrophes au travers plusieurs personnages attachants appartenant aux couches populaires locales.

Le style particulier de Laurent Gaudé convient bien au récit, demi-teintes et poésie. Pour ma part j'ai eu du mal, au début, à assimiler tous les personnages et j'ai dû relire les trente premières pages mais ensuite j'ai pris grand plaisir à suivre le parcours de tous ces personnages jusque... Mais qu'advient-il aujourd'hui de Haïti ? Avons-nous oublié ?

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Adieu les ombres

9 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 65 ans) - 8 février 2021

Il y a d’abord Lucine, qui a quitté Jacmel pour Point-à-Pitre, chargée d’annoncer au père de son neveu, la mort de Nine, sa soeur . Elle n’était pas revenue dans la capitale depuis 5 ans, obligée d’abandonner ses études de droit pour s’occuper des deux enfants de sa sœur. Happée par la ville, par son fourmillement, la vie, le bruit, l’avenir qui s’offre de nouveau à elle, mais aussi par des souvenirs douloureux.
Il y a Saul, fils illégitime d’une riche famille, qui, lui, n’a pas terminé ses études de médecine, handicapé à vie par les tortures.
Il y a aussi Firmin Jamay, plus connu sous le nom de Matrak, passionné de combats de coq, reconverti en chauffeur de taxi, ancien Tonton Macoute.
La frêle Lily, toute jeune fille condamnée par la maladie, qui a choisi de quitter la clinique de Miami pour finir sa vie à Port-au Prince.
Et bien d’autres personnages liés par une volonté et une envie de vivre, de tourner la page de la dictature sanglante. Des amis capables de discuter pendant des heures sur le bonheur, l’instant présent, la mémoire, le plaisir dans ce pays qui se remet à peine du règne des Duvalier, années de terreur, de violences, de tortures.

Puis 35 interminables secondes "où l’air est plus solide que le sol" , où "la terre tremble d’un long silence retenu, d’un cri jamais poussé."
Quand la poussière retombe, on se regarde, on se cherche, on se réunit, on s’entraide comme les membres d’une seule et unique famille. 
"Ce qui s’ouvre maintenant, c’est la peur d’après le malheur et la vie d’avant, elle, semble n’avoir jamais existé... "
Il y a ceux que l’on retrouve… et ceux que l’on croit retrouver.

Deux parties bien distinctes dans ce roman. "L’avant", une galerie de personnages touchants, admirables de volonté de vivre, de bonheur, même si parfois, on se perd un peu dans les prénoms, noms et surnoms.
"L’après" nous emmène au cœur d’une catastrophe mais surtout dans une dimension à laquelle nous ne sommes pas habitués.

On pense bien sûr à Lyonel Trouillot pour la vie haïtienne, à Dany Laferrière dans "Tout bouge autour de moi" pour le tremblement de terre, mais force est de constater que la puissance de l’écriture de Laurent Gaudé, particulièrement présente dans la singulière deuxième partie, en fait un roman fort, original et captivant.

« Suffit les morts ! »

9 étoiles

Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 25 novembre 2015

Alors que Haïti, après des années de combat contre la tyrannie et l’ignorance commençait à stabiliser ses institutions et reconstruire son économie, « d'un coup, sans que rien ne l'annonce, d'un coup, la terre, subitement, refusa d'être terre, immobile, et se mit à bouger ...Durant trente-cinq secondes qui sont trente-cinq années ...À danser, la terre ...À trembler ». C’était le 12 janvier 2010.

DANSER LES OMBRES, roman où se mêlent lyrisme et émotion, puissance et délicatesse, est l’occasion pour Laurent Gaudé de rendre hommage au peuple de l’île dévastée par le séisme, un peuple où la pratique du vaudou fait se côtoyer les deux univers du visible et de l’invisible, de l’humain et du surnaturel.

La première partie ayant pour cadre la période antérieure au séisme, mais où l’irruption subite de l’esprit Ravages « celui qui renverse la vie des hommes, écroule les existences, celui qui casse les vies et fait pleurer les femmes »laisse planer la menace d’un drame, fait vivre une gamme de personnages attachants et profondément humains tant par leurs mérites que par leurs faiblesses, meurtris par leur passé et qui tentent de se reconstruire.

Vient ensuite, au plein centre du roman, l’épisode du séisme que Gaudé présente sur le mode fantastique comme un sursaut vorace de la terre devenue monstre. « La terre n'est plus terre mais bouche qui mange. Elle n'est plus sol mais gueule qui s'ouvre. Trente-cinq secondes où les murs se gondolent, où les pierres font un bruit jamais entendu, jamais ressenti, de mâchoire qui grince . Hommes, ce qui est sous vos pieds vit, se réveille, se tord, souffre peut-être, ou s'ébroue. »

La terre s’est ouverte, c’est le long lamento où se mêlent les voix des vivants hébétés à la recherche de leurs proches, celles des blessés et celles des morts ensevelis, esseulés, qui appellent au secours ou supplient les vivants de venir les rejoindre.

Dame Petite, la servante qui toujours s’était tue, devient la prêtresse du refus des morts, et prend la tête d’un cortège où morts et vivants se mêlent dans la nuit. Il faut grâce à une danse semer les morts, raccompagner dans leur univers souterrain ceux que la terre a recrachés. « Il est temps de fermer le monde…... Nous allons danser les ombres et le monde se refermera ». Commence alors la danse des morts, « en avant, des pas de côté, à reculons, accélérant d’un coup …..une danse saccadée faite de pas de remords, d’hésitation, de course », pour que les morts ne sachent plus jamais comment revenir dans le monde des vivants.

On assiste dans ces pages au lent et poignant engloutissement des personnages du roman. « Adieu les ombres, il faut laisser partir tout ce qui est mort, tout ce qui a été éventré, retourné, ces vies englouties que l’on a aimées ». Seule restera Lucine, « la seule échappée du grand appétit de la terre » qui chaque nuit errera à la recherche de Saul, celui dont elle a serré la main jusqu’au bout, celui dont elle a encore « le nom sur les lèvres, et son parfum d’homme dans la tête »

Un magnifique roman qui n’est pas sans rappeler d’autres œuvres de Laurent Gaudé . En premier lieu , OURAGAN qui a pour cadre l’ouragan Katrina ravageant La Nouvelle Orléans en 2005, mais aussi CRIS d’où s’élèvent les voix de la terre éventrée et meurtrie des tranchées de la guerre 14-18, et LA PORTE DES ENFERS qui présente le voyage dantesque d’un père à la recherche de son fils dans le royaume des morts .

Laurent Gaudé est l’un des rares auteurs à l’aise dans le registre fantastique qui parvient à évoquer l’invisible, le surnaturel sans sombrer dans le grand guignol .

tremblement de terre à Haïti

9 étoiles

Critique de Ddh (Mouscron, Inscrit le 16 octobre 2005, 82 ans) - 8 septembre 2015

Les ombres, les esprits, il faut les faire danser dans une sarabande où morts et vivants se rejoignent, se séparent.
Laurent Gaudé a obtenu en 2004 le Prix Goncourt avec son roman Sous le soleil des Scorta. Après Ouragan en 2010 qui nous relatait le terrible Katrina en Louisiane, il nous revient avec le tremblement de terre en Haïti (Danser les ombres).
Lucine, une jeune bâtarde à Haïti, est étudiante dans une école d’infirmières. Saul y fait partie du personnel enseignant, tout en n’étant pas médecin ; il n’a pas terminé ses études entamées à Cuba. Patron du bar Fessou où l’on jouit mais aussi où l’on parle de politique et de démocratie, le vieux Tess s’entoure de bons copains. A Haïti, sous les Duvalliers, il y avait Matrak, tonton macoute, devenu Firmin, taximan. Viviane, la maîtresse de maison règne comme une princesse et voit d’un œil critique les bâtards de son mari. Et puis, tout bascule suite au séisme qui secoue l’île.
Laurent Gaudé fait voyager le lecteur dans un univers inconnu ; les personnages sont forts et dégagent en fin de compte une grande humanité. On ne peut rester insensible à ces élans de justice et de démocratie.

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