Collines, et autres poèmes de Joseph Brodsky

Collines, et autres poèmes de Joseph Brodsky

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Septularisen, le 8 août 2015 (Inscrit le 7 août 2004, - ans)
La note : 8 étoiles
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Et que ce siècle ivre de sport, fait tournoyer nos têtes

Là-bas l’espace entier n’est qu’immobilité,
là-bas tout paraît un songe malade et morbide,
là-bas Dieu n’est plus qu’une lumière à la fenêtre
par une nuit de brume, dans la maison la plus lointaine.
(Extrait de « Élégie à John DONNE »)

Au lendemain de l’annonce du Prix Nobel de Littérature 1987 à Joseph (Iossip) BRODSKY, les lecteurs français s’aperçurent avec stupéfaction que plus aucun livre n’était disponible, en traduction française, du poète Américain d’origine Russe. S’engouffrant dans la brèche, et pour profiter à fond de « l’effet Nobel », les éditions du Seuil eurent donc tôt fait de rééditer cette plaquette parue à l’origine en 1966 (!) et comportant un long poème ("COLLINES" dont un extrait est repris plus bas) et une sélection des poésies de l’auteur.

Ce recueil est donc avant tout une vision globale de l’œuvre du poète, et un livre idéal pour « rencontrer » sa poésie pour la première fois. Comme toujours il est délicat de dire quelque chose, de décrire la poésie d’un auteur. D’autant plus ici que Joseph BRODSKY passe (à tort ou à raison d’ailleurs…) pour le dernier de la lignée des grands poètes Russes.

Disons simplement que bien que vivant en exil forcé aux USA la poésie de BRODSKY (qui écrivait en Russe) reste profondément enracinée dans la tradition poétique de son pays natal. Elle est influencée par des grands noms de la poésie Russe, BRODSKY ne nie d’ailleurs pas cette « filiation », notamment Ossip MANDELSTAM (1891-1938), Marina TSVETAÏEVA (1892–1941), Boris PASTERNAK (1890-1960) et son amie et mentor en poésie, Anna AKHMATOVA (1889-1966) :

Je n’ai pas vu, je ne verrais pas vos larmes,
je n’entendrai pas le chuintement des roues
qui vous portent vers le golfe et les arbres
à travers le pays où manque votre statue.
(Extrait de "A Anna AKHMATOVA").

Comme toute grande poésie contemporaine, c’est très ancré dans le quotidien et la vie de tous les jours, avec un réalisme magique sans pareil dans la poésie d’aujourd’hui. Joseph BRODSKY ayant une étonnante capacité de conteur il réussit littéralement à nous faire voir et revivre ses souvenirs comme si nous y étions.

Toute vie n’est qu’un battement de cœur,
un bruit de phrases, un clapotis de fautes,
une nuit sur la barque du sexe
qui descend le ruisseau du silence.
(Extrait de « LM »)

C’est une poésie lucide, parfois sarcastique. C’est original, subtil, fin, très délicat, très bien écrit et les images frôlent parfois la subtilité absolue. Ce n’est pas une poésie révolutionnaire, c’est avant tout une poésie lyrique nourrie par la vaste culture classique de son auteur. Elle est dominée par les thèmes de l'exil, de la séparation, de la solitude, de la mort…

Un recueil magnifique en tous les cas, et une très bonne introduction à la poésie de Joseph BRODSKY.

« DÉFINITION DE LA POÉSIE »

A la mémoire de Federico Garcia Lorca.
La légende raconte qu’avant d’être fusillé il vit au-dessus des soldats se lever le soleil et dit alors :
- Et pourtant le soleil se lève…
C’était peut-être le début d’un nouveau poème.

Revoir un instant les paysages
derrière les fenêtres où se penchent
nos femmes,
nos semblables,
les poètes.

Revoir les paysages
derrière les tombes de nos camarades
et la neige lente qui vole
quand l’amour nous défie.
Revoir
les torrents troubles de la pluie qui rampe
sur les carreaux et brouille toute mesure,
Les mots qui nous dictent notre devoir.
Revoir
au-dessus de la terre inhospitalière
la croix étendre ses derniers bras
raidis.
Une nuit de lune
revoir l’ombre longue
que jettent les arbres et les hommes.
Une nuit de lune
revoir les lourdes vagues de la rivière
qui luisent comme des pantalons usés.
Puis à l’aube
Voir une fois encore la route blanche
où surgit le peloton d’exécution,
Revoir enfin
le soleil se lever entre les nuques étrangères
des soldats.

Un extrait de « COLLINES» :

La mort ce n'est pas le squelette
qui fauche les moissons du cauchemar.
La mort c'est ce buisson
où nous attendons tous.
La mort ce n'est pas le nœud noir
ni les larmes des enterrements,
la mort c'est le cri des corbeaux,
la mort c'est une banque rouge.

La mort c'est la ruée des machines,
c'est la prison et c'est le jardin,
la mort c'est le flot des hommes
et des cravates qui pendent à leur cou,
la mort c'est la fuite serrée des vitres
le long de nos maisons, des bains, de l'église.
La mort c'est tout ce qui nous suit
car Ils sont aveugles à jamais.

La mort c'est notre force
notre peine et notre sueur.
La mort c'est notre âme
nos nerfs et notre chair.
Nous ne monterons plus jamais
sur la colline. Nos fenêtres étincellent.
Nous Les voyons encore vaguement
mais nous leur sommes invisibles.

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