Là-bas, au loin, si loin... de Jean Raspail

Là-bas, au loin, si loin... de Jean Raspail

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Vince92, le 24 janvier 2018 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 46 ans)
La note : 7 étoiles
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Ecrivain des confins

En choisissant de rééditer six romans de Jean Raspail dans leur prestigieuse collection Bouquins, les éditions Robert Laffont rendent un bel hommage à un écrivain atypique, qui n’a pas reçu les égards qu’il méritait de la part du monde des Lettres de son pays, la France. Mais sans doute que la France ne compte plus vraiment pour ce vieil homme désormais qui a écrit surtout sur le voyage et les contrées lointaines. Attaché à la découverte de l’autre, mais aussi, et les esprits triviaux y verront un paradoxe, attaché à la défense de l’identité européenne, Jean Raspail est un incompris, écrivain profond et subtil, sans doute trop pour une époque qui ne prend pas le temps de réfléchir.
Le recueil, préfacé par Sylvain Tesson est divisé en trois parties : La première, intitulée « La Patagonie », regroupe Le Jeu du Roi (1976), Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie (1981-Grand prix du roman de l’Académie française), et Qui se souvient des hommes (1986). Raspail entretient avec ce territoire perdu, situé aux confins de l’Amérique du Sud une passion dévorante au point de lui avoir consacré plusieurs de ses ouvrages. Le jeu du Roi donc, relate l’histoire d’un jeune garçon qui rejoint le délire d’un vieil homme cloîtré dans sa forteresse et qui se dit descendant du roi Antoine de Patagonie. Un jeu, certes, mais le jeu n’est drôle que s’il est sérieux… et il appartient aux êtres les plus sensibles, les plus humains au fond, d’accorder à ce genre d’échappée toute l’attention qu’elles méritent. Antoine de Tounens, il en est question dans le second des romans édités dans lequel Raspail relate de façon romancée l’aventure complètement délirante d’Orélie-Antoine de Tounens, fondateur du Royaume de Patagonie. Le personnage, qui a réellement existé, a vécu son rêve jusqu’au bout, jusqu’à la désillusion : bataillant comme un diable pour faire exister son royaume, il devra finir ses jours sans le sou, raillé par les siens et les membres de son entourage. Si ces deux premiers romans sont intéressants, notamment pour nous faire découvrir cette épopée qui de moi était alors inconnue, ils ne sont finalement qu’anecdotiques dans l’oeuvre de Jean Raspail. Partant d’un fait divers surprenant, l’écrivain transpose ce qui n’est qu’une misérable prétention en idéal absolu. Il faut faire vivre ses rêves, certes mais que déduire de cet échec ? Sans doute que le principe de réalité est toujours le plus fort, qu’une volonté, si elle n’est pas accompagnée du talent et des intérêts des puissants, ne parviendra pas à grand-chose. Et quand bien même… qu’aurait fait de son pouvoir de Tounens ? Aurait-il été un autre de ces monarques absolus ?... De Tounens n’était pas fou, un bel illuminé qui aurait pu s’avérer dangereux.
Le troisième roman est d’une toute autre ampleur et est sans doute le texte le plus abouti du volume. Qui se souvient des hommes raconte la vie et la mort d’un peuple, celui des Alakalufs au travers les existences de quelques uns de ses membres au cours des ans… Raspail fait presque un travail d’ethnologie en contant les habitudes et les mœurs de ces hommes et de ces femmes qui vivaient sur leurs canots dans les vastes espaces de la Terre australe, près des détroits mythique qui forment le cap Horn. Car employer désormais le passé pour évoquer ce peuple est de rigueur, il n’existe plus, sa langue n’existe plus, son histoire est vouée à disparaître de la même façon. C’est ainsi que la population mondiale se standardise, que les particularismes meurent et font place à la « mêmemisation » de notre grande famille humaine. Un grand roman qui ouvre un champ de réflexion infini sur notre devenir en temps qu’Humains.
La seconde partie regroupe deux romans, Septentrion (1979) et Sept cavaliers…(1993) Si le premier ne m’a particulièrement impressionné, le second en revanche est remarquable. A noter que Jaques Terppant en a tiré une adaptation en trois tomes en bande dessinée également remarquable. Les deux romans partagent à vingt ans d’intervalle l’essentiel des préoccupations de Jean Raspail, à savoir l’effondrement de la civilisation occidentale, l’avilissement des hommes, leur virilité qui s’étiole au fil des générations, l’absence de courage qui guide leurs actions… déjà dans le camps des Saints, le plus célèbres des romans de Raspail, ce dernier mettait en lumière la différence de « mentalité » entre d’un côté cet Occident avachi et de l’autre, un monde en devenir, plein d’une population n’ayant rien à perdre et rêvant d’une revanche sur une civilisation européenne qui a dominé le monde si longtemps.
Enfin, la troisième partie ne comporte qu’un texte, Miséricorde, inachevé et qui explore le thème du pardon, de la pitié et de la miséricorde. C’est un texte très religieux, mettant en scène des prêtres qui doivent juger l’un des leurs, coupable d’un crime horrible. Rien de plus facile pour un prêtre que de pardonner, c’est sa vocation. Et pourtant… Raspail s’aventure ici dans un récit qui frôle la science théologique et confine avec la philosophie, le thème est objectivement intéressant mais il n’a pas suscité beaucoup d’enthousiasme de ma part, sans doute suis-je passé à côté du propos.
Beau recueil que ce gros volume de la collection Bouquins. Bien sûr, les admirateurs de Raspail auront déjà lu plusieurs de ces titres qui le composent, reste aux autres de piocher dans les textes présentés ici : A lire en priorité selon moi, Qui se souvient des hommes ? et Sept cavaliers (etc.), les deux romans qui dévoilent avec le plus d’acuité le beau style de Raspail, et les préoccupations d’un homme qui a tenté tout au long de son existence d’éveiller les consciences…

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