Tragédies complètes de Euripide, Anne Delcourt (Autre)

Tragédies complètes de Euripide, Anne Delcourt (Autre)

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Théâtre

Critiqué par Jules, le 29 janvier 2004 (Bruxelles, Inscrit le 1 décembre 2000, 80 ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 4 567  (depuis Novembre 2007)

L'orgeuil, la peur et le sacrifice d'une fille

Sophocle et Euripide sont contemporains et meurent tous les deux en 406 av. J.C. Euripide prendra cependant un peu plus de liberté envers les anciens mythes que Sophocle et, surtout, qu’Eschyle avant eux..

Au début de cette pièce, l’armée et la flotte grecque sont rassemblées et, surtout, immobilisées à Aulis par des vents contraires. Il y a là les personnages les plus connus, les plus courageux et les plus glorieux de Grèce : Achille, Ajax, Ulysse et de nombreux autres. Tous brûlent d’envie de combattre et d’abattre Troie. Agamemnon a été nommé général en chef des armées et il sent bien que tous sont lassés par le temps qui passe. Plutôt que d’attendre là, certains préféreraient être près de leur femme, d’autres pensent à leurs récoltes et à leurs troupeaux, à tout ce qu’ils ont laissé derrière eux pour venger Ménélas dont la femme, la belle Hélène, a été enlevée par le beau prince troyen qu’est Pâris (Alexandre).

Agamemnon a consulté le devin Calchas et celui-ci lui a dit que les vents étaient contraires sur l’ordre de la déesse Artémis, qui ne les changera que si le général en chef acceptait de lui sacrifier sa fille, Iphigénie, sur son autel d’Aulis. Agamemnon accepte et envoie un ordre à Clytemnestre, son épouse et sœur d’Hélène, de venir le rejoindre accompagnée de sa fille. Le prétexte donné à ce voyage est qu’Iphigénie doit épouser Achille, fils de Pélée et de la déesse Thétis, à Aulis.

Mais voilà qu’il change d’avis et confie un ordre contraire à un de ses vieux serviteurs, insistant bien sur le fait qu’il ne peut en aucun cas manquer la reine avant son arrivée.

Ménélas surprend cet ordre et le garde. Il accable son frère de tous les reproches de la terre et une discussion des plus vives s’engage. Ménélas finit par comprendre et cède, mais voilà que c’est Agamemnon qui, à son tour, revient à sa première idée : il ne veut pas perdre son commandement, ni la face vis à vis de toute l’armée.

Arrivent Clytemnestre et Iphigénie. La reine rencontre Achille et ils sont aussi surpris l’un que l’autre par cette histoire de mariage. Achille se fâche, on a usé de son nom, sans son accord, pour commettre un meurtre. Et puis, dit-il, : « Qu’est ce qu’un devin après tout ? Parmi beaucoup d’erreurs, il dit un peu de vrai, quand la chance le sert. Si elle se refuse, il n’a qu’à disparaître. » Il s’offre donc en défenseur, mais les deux femmes décident d’abord de tenter de fléchir le roi. Pourquoi Clytemnestre devrait sacrifier sa fille pour la femme de Ménélas ? S’il l’a perdue, il doit y avoir des raisons, non ? Qu’il sacrifie plutôt la sienne !…

Mais le destin est en route et, à la différence des autres versions données de cette histoire, nous allons voir ici une Iphigénie consentante, prête à se sacrifier pour la grandeur de la Grèce, pour l’armée. Elle dit à sa mère que, ce faisant, elle gagnera l’immortalité de son nom et qu’elle élèvera ses parents encore plus hauts. Elle semble envoûtée, transportée par l’idée de ce sacrifice d’elle-même.

Euripide apporte une nouveauté dans cette pièce en donnant aux chœurs une liberté totale par rapport aux personnages. Il pousse également plus loin qu’à l’habitude l’aspect psychologique de ses personnages. Agamemnon est présenté comme un lâche qui change d’avis comme de chemise et surtout préoccupé de lui-même. Ménélas ne vaut pas mieux et le courage n’est pas la qualité première des deux frères. Quant à Ulysse, il semble être craint comme la peste par les deux autres et semblerait pouvoir avoir un rôle important mais dangereux dans toute cette histoire.

Achille, le généreux défenseur, semble plus fâché qu’on se soit servi de son nom sans son accord que par le reste. D’ailleurs, il le dit : « … et moi j’aurais prêté mon nom aux Grecs si la route de Troie se fût ouverte à ce prix. Non je n’aurais pas refusé de servir l’entreprise commune. » Mais voilà, on ne lui avait parlé de rien !

Un autre aspect important de cette pièce est le rôle tenu par les femmes. Elles ne semblent utiles que dans la mesure où elles servent les projets des hommes. Euripide ne manque pas d’insister sur cet aspect des choses. Il prête cette réplique des plus dures à Iphigénie parlant à sa mère : « Plus que dix mille femmes, un homme a des raisons de vivre. » Cela a dû faire du bruit à l’époque !

Il n’est pas possible d’être plus clair !…

Un texte qui semble plus humain et bien plus proche de nous que d’autres.

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