Les âmes petites de Véronique Joyaux

Les âmes petites de Véronique Joyaux

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Cyclo, le 14 juillet 2015 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans)
La note : 10 étoiles
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Victor Hugo, pas mort

La poésie sociale serait-elle de retour ? On sait qu'il n'y a rien de plus difficile à réussir. Il faut beaucoup d'empathie pour les classes sociales défavorisées si on souhaite éviter l'emphase ou la thèse. Beaucoup s'y sont cassé la figure. Victor Hugo pourtant a eu quelques belles réussites en ce domaine : dans "Le mendiant", par exemple, poème du recueil "Les contemplations", il fait l'éloge de la misère en la sublimant (dernier vers : "Sa bure où je voyais des constellations"), comme il a su le faire dans son épopée en prose, "Les misérables". C'est justement à ce dernier livre, et en particulier à la figure du gamin de Paris, Gavroche ("Cette petite grande âme venait de s'envoler", écrit Hugo à la mort de Gavroche sur la barricade), que se réfère ouvertement Véronique Joyaux par le titre qu'elle donne à son recueil de poèmes : "Les âmes petites". Après tout, il y a de plus mauvais patronages !
Véronique Joyaux nous "entrouvre les portes" de ces humbles demeures où vivent les gens simples, ceux qu'on ne voit plus, parce qu'ils sont "si loin / si proches", ceux qui connaissent "l'importance de chaque geste / le poids de l'âme et de la fatigue", ceux qui vivent dans "un espace petit", dans "l'odeur âcre des corps lassés"... Là, si on sait regarder, "on devine des gestes simples", "une longue patience", celle de "leur vie / discrète et besogneuse", quand "s'achève une journée lente", un jour "passé comme un autre / aussi terne et prévisible", quand chacun a l'impression de "passer là invisible dans la foule", tant tout le monde se ressemble, avec sa fatigue du lourd travail ou du chômage.
Véronique Joyaux nous montre la difficulté de parler, de maîtriser le langage, qui est le lot des ces âmes petites : "Il se livre peu", "elle ne peut partager le silence avec des mots". Elle nous décrit le SDF avec son "mégot encore rouge / jeté là tel une âme au ralenti", cette femme qui "dans la glace [...] croise ce visage fatigué qui est le sien", ceux qui ne peuvent pas "prendre le temps [de] réchauffer le corps", ceux qui répètent les "gestes cent fois commis", ceux qui gèlent sans doute dehors, mais qui ont aussi l'impression "qu'il fait froid dedans", parce qu'ils sont dans une très haute solitude : "Ils guettent d'un œil le visiteur improbable / s'il vient ce ne sera pas pour eux / mais pour un autre que l'on aime encore". Ou ces vieux qui semblent "aller jusqu'à ce point de vivre / où vivre n'est plus rien". Ceux qui sont plantés devant la télévision, parce que la solitude devient inhumaine : "sur l'écran les images défilent / juste là pour la présence". Et ceux qui se donnent "l'impression soudaine […] de respirer", parce que tout de même, on n'est pas des chiens !
Loin du nombrilisme ou de l'hermétisme d'une certaine poésie actuelle, voici un recueil qui réchauffe, qui nous incite, peut-être, à ne plus accepter d'être malmenés par la vie. Ou à regarder les malmenés autrement.
(largement inspiré de la préface)

Un des poèmes :

Ses pas toujours les mêmes
les gestes quotidiens
si infimes que personne n'y prête attention
ne leur donne poids

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