L'Oiseau aux ailes d'or de Mun-Yol Yi
(Kumsijo)
Catégorie(s) : Littérature => Asiatique
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Vie d'un artiste et destinée d'une oeuvre
Des trois récits réunis dans mon édition (*) celui-ci apparaît comme le plus profondément ancré dans la culture asiatique à la fois par la spécificité de la forme d'expression artistique dont il est question et par les références à la pensée confucéenne et aux mythes bouddhiques qui l'irriguent.
Bien que se situant approximativement entre 1910 et 1980 (d'après les quelques jalons politico-historiques glissés çà et là par l'auteur), ce texte constitue une ouverture enrichissante sur l'univers particulier de la tradition lettrée sino-coréenne où se mêlent intimement poésie, peinture et calligraphie.
Un vieil homme, Kojuk, sur le point de mourir se souvient de ce que fut sa vie, une vie essentiellement consacrée à son art au mépris de tout le reste et de ses plus élémentaires devoirs familiaux.
Le récit, narré à la troisième personne, nous est livré de manière un peu décousue au début, telle que la mémoire restitue les choses, certains aspects s'éclairant peu à peu.
Enfant abandonné et au final confié à la garde d'un lettré, Sokham, héritier de la tradition, il entretiendra tout au long de son existence une relation ambivalente et tourmentée avec le maître, éprouvant pour lui à la fois "une indicible admiration et une non moins violente haine", celui-ci refusant longtemps d'en faire son disciple alors que le jeune garçon révèle un don artistique exceptionnel.
Au fur et à mesure de son déroulement, le récit va lever le voile sur cette attitude a priori incompréhensible et s'attacher à mettre en lumière deux conceptions de la création artistique car c'est bien là la finalité réelle du texte.
A l'instar de "Notre héros défiguré", YI Munyol a l'art de mettre en scène via une histoire, ici celle d'une vie et d'une œuvre, ce qui aurait pu faire l'objet d'une réflexion théorique sur la finalité de l'art dans un registre plus ardu.
L'un (Sokham, le maître) en défend une vision élevée qui en quelque sorte transcende la simple beauté graphique "La peinture est celle de l'âme. On peint son âme en empruntant l'objet. Il n'est pas nécessaire de s'attacher à la beauté formelle de l'objet".Pour lui, au-delà de la technique, il y a l'Art et au-delà une dimension supérieure de l'être qui atteint l'harmonie et s'accommode d'une vie ascétique loin des honneurs et des plaisirs superficiels.
A l'opposé, Kajuk, réfutera cette vision en ne s'attachant qu'à la beauté de la forme pour elle-même. Admiré, reconnu, vivant aux frais de riches mécènes, il mènera un temps une vie de plaisirs et de succès faciles qui ne lui laisseront au final qu'un goût de vide et d'échec jusqu'à comprendre enfin le message du maître et ne plus espérer qu'en cette sorte de Graal de l'artiste incarné dans la vision du mythique oiseau aux ailes d'or.
Dans la fin, marquante, semble à nouveau pointer une amertume devant le glissement des valeurs, l'évolution d'un monde contemporain qui a sonné le glas d'un monde ancien.
(*)L'édition poche Babel d'Actes Sud référencée dans la fiche "Notre héros défiguré" réunit en outre "L'oiseau aux ailes d'or" et "L'hiver cette année-là" (cf. chacune des fiches spécifiques).
Les éditions
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L'Oiseau aux ailes d'or [Texte imprimé], récit Yi Munyol trad. du coréen par Ch'oe Yun et Patrick Maurus
de Yi, Mun-Yol Maurus, Patrick (Traducteur) Yun, Ch'oe (Traducteur)
Actes Sud / Lettres coréennes (Arles)
ISBN : 9782868694942 ; 2,98 € ; 10/08/1993 ; 88 p. ; Broché
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