Passage de la ligne de Édouard Peisson

Passage de la ligne de Édouard Peisson

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Cyclo, le 24 mai 2015 (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans)
La note : 10 étoiles
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pour amateurs de romans de mer

Paru en 1935, "Passage de la ligne" est le roman d'un cargo, Le Pélerin, qui se trouve à Dakar au début du livre, et aurait dû rentrer normalement à Marseille, après chargement. Mais l'agent commercial de Dakar l'oblige à se détourner vers Rio de Janeiro, au grand désarroi de bon nombre de marins, aussi bien le jeune lieutenant Ledur, qui n'apprécie que modérément les Tropiques, que le chef mécanicien Jaubert, qui pensait passer la Toussaint avec sa femme et ses cinq enfants ou que les matelots, contraints à un éloignement encore plus long. Le matelot Monteil est malade, mais il le dissimule, et comme il avait droit à des jours de congé, il les prend en restant dans sa cabine pour ne pas être descendu à terre et mourir à l'hôpital : "Tu vois mourir les hommes près de toi. Tu leur as parlé le soir, et, le matin suivant, on les emporte sur un brancard. Tu te demandes si le prochain ce ne sera pas toi", explique-t-il.
Peu à peu, on fait connaissance du commandant Rey, issu d'une lignée de commandants, du second, Chabot, lui, issu du peuple, et qui sait qu'il ne sera jamais commandant, du cuisinier, des mécaniciens, des hommes d'équipage. On quitte Dakar, trois jours après, Monteil meurt : son corps est glissé à la mer. "Insolation", écrit le capitaine sur son livre de bord, pour ne pas affoler l'équipage. Peu après, un autre matelot, Latour, tombe malade. Mêmes symptômes, mais le lieutenant Ledur, qui fait office de médecin, n'arrive pas à se déterminer : peste, fièvre jaune, paludisme, typhoïde ? Latour, ne supportant pas la douleur, se jette à l'eau. Suicide donc.
La panique commence à gagner l'équipage. Tout cela ne viendrait-il pas de la nourriture en conserve, qui serait avariée ? Un mouvement de révolte se dessine : les matelots viennent demander au commandant l'autorisation de tuer les deux moutons qui sont à bord pour manger du frais. Le commandant laisse faire. Et voilà que le lieutenant Ledur, à son tour, commence à avoir les mêmes symptômes : douleurs de tête, frissons, fièvre intense par crise... Et d'autres hommes à leur tour...
Je n'en raconterai pas plus. Ce roman d'Edouard Peisson est formidable ; les types humains sont superbement présentés, chacun avec sa particularité et son mystère : le lieutenant Ledur "se disait aussi que tout homme présente à son prochain une énigme difficilement déchiffrable".
Fort de son expérience de neuf années de mer, l'auteur fait plus que témoigner. Il nous livre une histoire pleine de bruit et de fureur, dans une écriture et un montage proche du cinéma. C'est comme un thriller : les informations ne sont pas donnés de façon linéaire, mais au fur et à mesure de l'avancée de l'intrigue, pour faire comprendre les motivations des uns et des autres. Un très bon roman de cet excellent écrivain qui appartint à l'école "prolétarienne" de Henry Poulaille.
Pour moi qui sors d'un voyage de trois mois en cargo, j'ai été ravi de trouver chez un bouquiniste ce roman vieux de quatre-vingts ans, qui montre que la littérature française aussi a de grands écrivains de la mer;

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