La philosophie ne fait pas le bonheur de Roger-Pol Droit

La philosophie ne fait pas le bonheur de Roger-Pol Droit

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Saule, le 26 mars 2015 (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans)
La note : 8 étoiles
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Les dérives de la philo-bonheur

Roger-Pol Droit s'attaque dans ce livre à une dérive récente et navrante des philosophes : la prétention de ceux-ci de rendre la vie des gens meilleure. Que ce soit Onfray l'hédoniste, Comte-Sponville ("Le but de la philosophie est la sagesse, donc le bonheur" dit-il), Lenoir, etc. ils ont tous revêtu les oripeaux de ces nouveaux chantres du bonheur. Or, nous dit Roger-Pol Droit, prétendre que la philosophie a pour but - et a les moyens - de pourvoir le bonheur n'est rien moins qu'une abjection.

Pour expliciter sa thèse, l'auteur remonte aux philosophes antiques qui préconisaient d'utiliser la raison pour dompter les passions (stoïciens, épicuriens, etc.). Cependant l'idée du bonheur de ces philosophes antiques était bien éloignée de notre idée du bonheur qui ressemble plus à une succession de plaisirs. Des anciens, l'auteur passe aux Saints du moyen-âge qui voyaient le bonheur dans un monde futur. Ensuite aux savants qui pensaient trouver le bonheur dans le progrès. Et puis les modernes : Kant avait réglé la question en affirmant que la philosophie était incapable d'atteindre le bonheur. Car la philosophe resort du domaine de la raison tandis que le bonheur est du domaine de l'imagination. Le bonheur chez Kant est défini comme un idéal lointain, un horizon indéfini et flou. Schopenhauer ira plus loin : le bonheur est une illusion que la philosophie doit combattre. La raison ne rend pas heureux du tout (au contraire). Et Freud aura montré les limites de la raison. Comment est-ce que après Kant et Schopenhauer les philosophes actuels ont pu pervertir la philosophie en la transformant en une sorte de "philo-bonheur" indolore ?

Roger-Pol Droit donne quelques pistes qui expliquent cette mode des petits plaisirs, de jouir des choses simples, en laissant de côté la vraie vie qui est indomptable et surtout en oubliant l'éthique, en ignorant le conflit qui a toujours opposé le plaisir individuel à la justice, la liberté. Il affirme que la philo-bonheur qu'on nous propose à la becquée (de force, car tout le monde se doit d'être heureux !) est une abjection, un asservissement : c'est la négation de la vie !

Je dois dire que je suis tout à fait convaincu par la thèse de l'auteur. Comme il le dit, depuis 25 siècles que la raison et la philo se développe, sa capacité de changer le monde a été très limitée (infiniment plus limitée que les passions qu'ont pu générer les religions par exemple). Ne demandons pas à la philo de nous rendre heureux. J'ai trouvé aussi dans ce livre une réflexion intéressante sur le bonheur (quoique ce n'était pas le propos principal du livre). Il faut comprendre que le bonheur est pour une large part hasardeux, il "arrive" (ou pas) mais n'est certainement pas commandé par la raison (happiness en anglais vient de "to happen"). Etre heureux est un horizon vers lequel chacun doit viser, mais halte à la tyrannie, et il est des causes plus grandes qui peuvent valoir de sacrifier les plaisirs individuels.

Un livre très intéressant et qui va à l'essentiel. Un peu trop vite à l'essentiel peut-être, pour le prix (20 euros quand même), on aurait aimé avoir plus de développements sur les différentes écoles de philosophie par exemple (mais l'auteur a écrit d'autres livres pour ça). Rien que pour la réflexion qu'il suscite sur le bonheur ce livre vaut d'être lu. Et puis ça fait plaisir de voir les philosophes à la mode comme Onfray, Comte-Spomville, .. remis en perspective (tout ces beaux parleurs me paraissaient déjà suspects).

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