Lomax - tome 0 - Collecteurs de Folk songs de Frantz Duchazeau

Lomax - tome 0 - Collecteurs de Folk songs de Frantz Duchazeau

Catégorie(s) : Bande dessinée => Divers , Arts, loisir, vie pratique => Musique , Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Numanuma, le 13 mars 2015 (Tours, Inscrit le 21 mars 2005, 51 ans)
La note : 10 étoiles
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Sauvegarder le passé avant qu'il ne disparaisse

Noir et blanc. Dans une forêt américaine anonyme, dans les Sud des Etats-Unis, un père et son fils ont établi leur campement. La tente est spacieuse. Une automobile est garée à proximité. Le feu crépite. Le père fume un cigare, le fils lui verse une goutte de whisky. Ils écoutent le cylindre qu’ils ont gravé un peu plus tôt. Matériel peu conventionnel pour une exploration en forêt.
Ce père et son fils sont deux explorateurs peu conventionnels. Cette forêt n’est qu’une halte sur leur chemin : ils sont à la recherche des chants traditionnels, folkloriques, de leur Amérique. Une Amérique WASP, comme on nous l’apprend dans nos collèges, franchement raciste, comme on l’apprend plus tard, au lycée. Il s’agit de John et Alan Lomax.
D’une manière ou d’une autre, si le monde a eu accès au blues, c’est en partie grâce à ces deux hommes partis dans une quête digne de Don Quichotte dans ce qu’elle a d’impossible et de grandiose : raconter l’Amérique par ses chants, ses traditions, avant que cette mémoire disparaisse. Ces enregistrements, ces travaux sont faits pour le compte de la Bibliothèque du Congrès. Ils feront date.
Peu de lieux sont cités dans cette magnifique BD. De nombreux noms de bluesmen sont cités dans cette magnifique évocation du Sud, pas tout à fait celui de Nino Ferrer, plutôt celui de Reth Butler, du Klu Klux Klan et de la chanson de Billie Holiday, Strange Fruit. Grâce aux Lomax, ces hommes entrent dans l’histoire de la musique américaine, mondiale, et un peu dans l’Histoire, tout court. Bien sûr, la majorité d’entre eux resteront affaire de spécialistes de la note bleue, des musicologues, mais quelques-uns sortiront du lot et feront carrière ; mieux, feront référence. Leadbelly, Guitar Slim, Son House…
Pour poursuivre la route le long des berges du Mississippi et remonter le temps et l’histoire, procurez-vous, si vous arrivez à le trouver, le bouquin d’Alan Lomax qui a inspiré cette BD : Le pays où naquit le blues, édité chez les Fondeurs de Briques. Pour la partie musicale : http://accords-croises.com/fr/news_accueil.php/…
Blues, musique d’église, chants de travaux, c’est un pan complet de l’histoire américaine vue par le prisme de la musique noire qui s’étale dans les cases de Duchazeau. A chaque fois que je tombe sur une BD de cette qualité, je regrette un peu plus de ne pas maîtriser le vocabulaire du dessin et de la peinture. Ici, les noirs sont intenses et se confondent parfois avec les personnages mais avec cette idée que le chanteur sort de cette nuit sans fin qu’est la vie d’un Nègre dans les Sud raciste, inculte et esclavagiste.
J’utilise volontairement et sans arrière-pensées le terme Nègre, qui a deux traductions en anglais : negro, comme dans negro-spirituals, et nigger. Le premier désignant une personne noire de peau, voire simplement la couleur noire, est devenu très péjoratif dans la bouche des racistes de tous poils.
Le second est pire : il personnifie la haine du Blanc envers le Noir et est dirigé principalement contre les Africains et les Afro-américains. C’est un terme d’exclusion et de discrimination ; c’est l’insulte ultime et l’un des marqueurs culturels les plus importants aux USA. Et pourtant, les deux mots seront réutilisés comme des éléments positifs par certaines personne comme Martin Luther King avec le mot « negro », et les rappeurs Nigga with attitude, entre autres, pour « nigger ». J’ajoute le « I’m Black and I’m Proud » de Jameeeeeees Brown.
Il y a tout ça dans ce bouquin. La lutte et l’espoir. Et l’éternel combat entre la musique du Diable, le blues, et les chants d’église, l’un ne pouvant cohabiter avec l’autre. Et les chants de travail, qui rythment la journée à trimer dans les « levee camps », soit les chantiers destinés à creuser des digues et des remblais le long du Mississippi, traduction imparfaite, autre éléments fondamental de l’histoire américaine. Tous ces éléments se combinent et s’entremêlent : la rythmique des chants de travail, les thèmes du blues et le système de chant/contre-chant du gospel.

Oh Lord, have mercy,
Save poor Bob if you please

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