Archipel de Pierre Louÿs
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Divers , Littérature => Francophone
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société moderne et Antiquité
J'ai découvert et ai été charmée par Pierre Louÿs lors de la lecture de son célèbre Aphrodite. J'ai donc souhaité connaitre mieux ses œuvres, et mon choix s'est porté sur un livre qui se présente comme un recueil d'articles sur la société antique (grecque, mais pas que), d'articles sur la société et les mœurs de son époque (le dix-neuvième siècle), et de quelques contes.
Les contes, qui sont vraiment minoritaires dans ce court ouvrage, présentent les mêmes caractéristiques que celles que j'ai appréciées dans Aphrodite : une écriture fine et poétique, des personnages jamais loin du tragique, de la sensibilité et de la sensualité, une certaine cruauté aussi.
Les articles sur l'antiquité portent sur des sujets très variés, on passe allègrement de la femme dans la poésie arabe aux fastes d'une fête à Alexandrie ou aux sports antiques.
Les articles qui portent sur la société du dix-neuvième siècle posent le constat de certaines défaillances de ce siècle (la baisse de la natalité, la réforme de l'orthographe…) et Pierre Louÿs propose ce qu'il faudrait faire pour qu'elles évoluent dans le bon sens (selon lui).
Ce qui m'a marqué dans Archipel, c'est la très grande modernité des propos. Quand Pierre Louÿs fait l'apologie de l'Antiquité, c'est son absence d'hypocrisie qu'il met en avant (dans "Lesbos d'aujourd'hui", il y regrette la vie plus secrète que du temps de Daphné et Lesbos de ses habitants). L'amour et le plaisir physiques ne sont pas seulement impudiques voire sacrilèges, mais porteurs de valeurs. Il y a chez Pierre Louÿs une certaine nostalgie de cette esthétique qui concilie le physique et les valeurs ; dans "Sports antiques", par exemple, il nous dit : "Nos coureurs, attirés par l’appât des prix, s’entraînent constamment au même exercice [...] le sport ainsi compris est tout le contraire de l’art."
Bien loin de l'érotisme qui teinte ses romans, Pierre Louÿs se fait dans Archipel essayiste, chroniqueur, conteur, réformateur… et surtout, il fait montre d'une pensée véritablement libre et tolérante. Ce recueil est à la fois instructif, souvent drôle, et bien écrit, une petite perle, que j'ai pris bien du plaisir à lire.
Quand le mari fait la guerre, la femme fait la débauche…
Le chiffre des naissances est en raison directe du degré de promiscuité : très faible dans les ménages bourgeois, très élevé dans les quartiers pauvres, et considérable chez les vagabonds. Loin de favoriser la conception des femmes, le mariage n'est souvent qu'une école mutuelle de stérilité volontaire. Mais j'admets que cette école soit en même temps une occasion quotidienne d'heureuses méprises, fût-ce au besoin par l'adultère furtif qui nous donne une bonne part de naissances légitimes.
Mieux encore : le jeune homme n'est libre qu'à vingt-cinq ans. Nous touchons aux limites de l'absurde. On estime qu'à vingt-deux ans, un homme est assez mûr pour porter les galons de lieutenant. On lui confie quatre-vingt-quinze hommes avec la permission de les envoyer – sans le consentement de son père – se faire massacrer. Et sans ce même consentement on ne lui confie pas une femme qui l'aime assez pour le suivre ?
Une école dramatique n'est vraiment grande que si elle a devant elle la libre expression. L'expurger, c'est l'appauvrir. La gouverner, même de loin, c'est encore nuire à sa beauté.
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