Ouvrez les yeux ! : Le XXIe siècle est mal parti de René Dumont

Ouvrez les yeux ! : Le XXIe siècle est mal parti de René Dumont

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Economie, politique, sociologie et actualités

Critiqué par Eric Eliès, le 28 février 2015 (Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans)
La note : 6 étoiles
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Le testament politique de René Dumont : un texte engagé, profondément militant mais trop synthétique pour être suffisamment étayé

René Dumont revendique depuis des décennies un engagement total pour le développement durable et assume de porter dans les média, sans véritable écho, un idéal utopiste. Ce livre, très condensé, donne l'occasion de mieux connaître sa pensée et ses convictions politiques, au-delà de ses coups d'éclat (comme celui du verre d'eau) et de sa célèbre dénonciation, qui a pu apparaître comme une révélation prophétique, des obstacles entravant le développement des pays africains…

Ecrit en 1995 dans le contexte de la campagne des présidentielles, ce petit livre engagé est à la fois un pamphlet, au ton péremptoire et aux affirmations virulentes, et une déclaration de soutien, dénuée de toute ambiguïté, en faveur de l’écologie politique incarnée alors par Dominique Voynet, candidate à l’élection présidentielle.

René Dumont condamne l’accaparement des richesses mondiales par quelques Etats, anciennes puissances coloniales, et la domination de l’idéologie libérale, dont le triomphe provoque un gaspillage des ressources source de graves injustices sociales, et une catastrophe environnementale, qui obère l’avenir de la planète et des générations futures. René Dumont considère qu’il faut une révolution des mentalités, que seule la gauche politique peut mener à bien car la droite, aveuglée par les illusions de la croissance et de la mondialisation, est trop soucieuse de défendre des intérêts économiques de court terme. Néanmoins, René Dumont, qui a une grande expérience de terrain, n’est ni communiste ni collectiviste (il a trop souvent constaté l’échec de réformes agraires) : il se proclame keynésien et promeut une sociale démocratie authentique, telle qu’elle fut incarnée en Suède par Olaf Palme, capable de contrôler et de réguler l’économie et d’assurer une meilleur répartition des richesses produites.

Il lui semble que les efforts consentis par les Etats riches, qui rechignent à remettre en cause leurs privilèges (notamment les USA) et leur foi dans les bienfaits du libre-échange mondial, sont dérisoires et que les populations ne sont pas correctement informées de la situation réelle du monde.
René Dumont souhaite une révolution idéologique à l’échelle mondiale mais, face aux maigres résultats des sommets internationaux (il a des mots très durs envers le GATT), manifeste un profond pessimisme (ce qui ne l’empêche d’être militant et actif) en soulignant les menaces, actuelles ou imminentes, qui assombrissent l’avenir :
• L’exploitation effrénée des ressources naturelles, et son impact sur l’environnement (épuisement des richesses, pollution massive de l’eau et de l’air, réchauffement climatique)
• L’explosion démographique des pays du tiers-monde, qui a triplé la population mondiale en moins d’un siècle, et l’urbanisation dont le rythme délirant provoque l’entassement de populations misérables dans des bidonvilles
• Les conditions de misère extrême dans lesquelles vit une part importante de la population, dans les pays pauvres (agriculteurs déracinés, travailleurs exploités et sous-payés, chômeurs sans ressource) mais aussi de plus en plus dans les pays développés (chômeurs, SDF, etc.)
• La multiplication des conflits, alimentée par les dépenses militaires des grandes puissances et par la radicalisation des idéologies politiques, économiques et religieuses (notamment l’islamisme, que René Dumont, en 1995, n’hésite pas à comparer au fascisme et évoque avec des termes aux échos très contemporains…). Je cite :

L'intégrisme islamiste est de loin le plus répandu, le plus dangereux ; mais n'oublions pas qu'il n'est pas le seul et se nourrit des autres. Et surtout des misères généralisées, résultant pour beaucoup de notre organisation économique. [...] Cet intégrisme nous amène à une lutte des cultures à l'échelle mondiale. Les intégristes s'attaquent à nos libertés et aux héritiers du siècle des Lumières et de la Révolution française. Il s'agit là d'une nouvelle forme de fascisme, aussi redoutable que le nazisme. le voici qui gagne en Asie, même dans les pays d'islam tolérant.


Pour René Dumont, la situation actuelle consacre, après celui du communisme, l’échec du libéralisme, incapable d’organiser la distribution des richesses produites par sa formidable efficacité productive. Le monde actuel est devenu inacceptable et aucune lueur d'espoir (sauf en Asie du Sud-Est - René Dumont évoque notamment Taiwan) ne permet de croire en un avenir meilleur. Si l’humanité ne s’organise pas immédiatement pour enrayer les menaces qui pèsent sur lui, l’Histoire (cf la crise de 1929) nous enseigne que la pauvreté, la malnutrition, et l’exclusion sociale croissantes vont inéluctablement provoquer des crises violentes et, sans doute, de nouvelles guerres. Il faudrait donc, avec la même vigueur mise au XIXème siècle pour éradiquer l’esclavage, protéger l’environnement, améliorer l’éducation, mieux répartir le travail (par la régulation des échanges internationaux (pour éviter la mise en compétition d’un agriculteur du Sahel et d’un fermier européen) mais aussi par la suppression des heures supplémentaires, etc.) et développer le logement (si besoin par la réquisition) pour que chacun puisse avoir une vie décente respectueuse des générations futures.

Cette générosité est louable mais le livre pêche par sa brièveté ; brassant des sujets nombreux et complexes avec quelques phrases au style lapidaire, il n’évite pas les clichés (René Dumont est un « ultra-pacifiste anti-militariste » qui affirme qu’il faudrait supprimer purement et simplement toutes les dépenses militaires : opposé à toutes interventions militaires françaises des années 90 (ex-Yougoslavie, invasion du Koweit par l'Irak), il lance également des accusations graves envers la France, qu'il accuse de complicité dans le génocide rwandais) et commet quelques raccourcis simplistes (ex : René Dumont associe consommation de drogues et pertes d’idéaux de la jeunesse). A mes yeux, le principal mérite de ce livre est de dresser un état des lieux (certes très subjectif) de la situation en 1995, ce qui permet au lecteur (à la lumière de la crise économique actuelle, de la diffusion du terrorisme islamiste, des discours sur le réchauffement climatique et la déforestation, etc.) de mesurer l'inertie de la communauté internationale qui donne du crédit aux discours des sonneurs d'alarme et des Cassandre : 20 ans après, les problèmes se posent dans des termes globalement similaires et nous n'avons fait que nous rapprocher du gouffre...

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