La Nuit des morts-vivants de François Blais

La Nuit des morts-vivants de François Blais

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 23 février 2015 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 7 étoiles
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Vivre en porc-épic

Le vivre ensemble se bute à la souffrance, comme le soutient Schopenhauer. Pour s'en tirer, il faut emprunter l'art de vivre des porcs-épics. À cause de leurs piquants dorsaux, ils se tiennent à une certaine distance l'un de l'autre pour éviter de subir les affres de leurs défenses.

Les personnages ont adopté leur comportement. À l'instar des dits rongeurs, ce sont des noctambules, qui occupent leur nuit, comme l'indique le titre, à visionner des films de morts-vivants. Le soir venu, Pavel et Molie louent séparément des films comme Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato, lequel a été interdit dans de nombreux pays. En fait, ils se passionnent pour tout ce qui glorifie la mort violente. C'est le piquant de leur vie sans histoires.

Les deux protagonistes vivent comme des anachorètes. Molie, qui cohabite avec sa sœur, n'a volontairement pas d'emploi. Avant de visionner des films d'épouvante, elle se trimballe dans les rues de Grand'Mère, en particulier la Sixième avenue, artère principale de la ville natale de l'auteur. Pavel travaille de nuit chez Maintenance des chutes, un magasin à grande surface. Il a un seul ami, Henrik, avec qui il prend parfois un pot dans un troquet ou avec qui il se livre à des jeux vidéo. Molie et Pavel ne se connaissent pas, mais ils louent leurs films au même endroit. Par contre, tous deux ont lu Middlemarch de George Eliot, un chef-d'œuvre de l'époque victorienne qu'ils ont trouvé ennuyeux, mais qu'ils ont lu quand même. C'est sans compter qu'ils tiennent également un journal, où ils confinent les aléas de leur journée.

Si la banalité compose leur vie, il n'y a rien de banal dans ce qu'ils vivent. Quoiqu'ils fuient leurs semblables, ce sont de fins observateurs d'un entourage qu'ils ne jugent pas. Ils mettent en pratique l'enseignement de Schopenhauer. D'ailleurs tous les personnages sont des épigones de ce philosophe. Les jeunes femmes éconduisent leur amoureux. Question de garder ses distances. C'est le prix du bonheur.

Le roman est construit à l'image de cette vision d'une vie coupée d'autrui. Comme un diptyque, le roman laisse en alternance la parole à chacun des narrateurs, soit Pavel et Molie. Et les deux narrations ne débouchent pas sur une seule avenue. En fait, l'auteur s'amuse beaucoup de leur conduite de reclus. L'expression scripturale porte la marque d'une parodie des jeunes des temps modernes. Alors que la technologie s'applique à combattre la solitude, l'agoraphobie règne en maître au sein de ceux qui craignent de se piquer en se frottant à autrui.

Le portrait est apparemment peint avec une plume ébréchée. Molie écrit sans points ni virgules, et Pavel ne se soucie aucunement de son style à l’encontre de l’avis de Boileau. Et pourtant le roman se déploie avec fière allure. Les jeunes lecteurs s'en amuseront beaucoup. L'œuvre leur est affectueusement destinée. Sa lecture sera pour eux un bon exercice d'autodérision.

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