Vox de Nicholson Baker
( Vox)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Kinbote, le 3 janvier 2004 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 8 étoiles
Visites : 5 125  (depuis Novembre 2007)

A voix nue

Un homme et une femme conversent à bâtons rompus dans une « back-room » téléphonique à propos de leur sexualité et de leurs fantasmes, la parole se prêtant par excellence à l’exercice. Les deux correspondants privilégient les histoires liées à la masturbation puisque le but de leur entretien téléphonique est de parvenir au bout de 180 pages d’entretien à ce double exercice effectué en même temps (le dada de Baker, c'est la synchronisation) avec comme seul lien la voix.

L’érotisme de Baker est pointilleux, attaché aux détails, fétichiste et très axé sur l’onanisme, mais il n’a certes pas la puissance ni l’originalité d’un Bataille ou d’un Sade qui restent évidemment les références en la matière.
Néanmoins Baker traduit dans ses romans une sorte de misère sexuelle ou d’impossible assouvissement de la chair que, à l’encontre de Houellebecq par exemple (avec lequel cependant il partage une espèce de lyrisme face au sexe pouvant aller jusqu’aux larmes), il n’attribue pas à la société ni à un contexte socio-historique. Pour Baker, la « misère sexuelle » serait, comme qui dirait, substantielle à la chose.

Dans un passage du livre, il rend d’ailleurs clairement, par la voix du correspondant masculin, l’aspect décevant de l’amour physique.
« Ce n’est pas comme si je n’avais jamais eu de rapport normaux par-ci, par-là. Seulement, je ne sais pas, vous vous introduisez, et sur l’instant, c’est le paradis, l’extase, mais après, vous vous activez, et vous ne pouvez pas bien distinguer le clitoris, ni vous concentrer sur ce qu’on ressent à soupeser les seins, à les regarder se balancer, vous êtes distrait, vore cerveau est occupé à bouger vos hanches, votre torse, à diriger vos mains qui agrippent ces hanches souples – hé ! ça a l’air bon - mais vous savez, quand je jouis dedans, j’éprouve quelque chose de mystique mais aussi d’assourdi – comme si je ne sentais plus le périmètre de mon sexe parce qu’il aurait fusionné avec elle, qu’il aurait fondu, et je ne perçois plus que la stucture intérieure du conduit, le bulbe de la jouissance qui enfle et tout ça – je perds le sentiment des autres frontières. Vous comprenez ? »
La correspondante traduit des propos semblables à la repartie suivante :
« Quand je suis sur le point de jouir, en compagnie d’un homme, j’éprouve le désir intense de l’avoir en moi, et si je l’arrache à ce qu’il est en train de faire pour le guider en moi ma première impression est fantastique, mais ensuite cette zone devient, comme vous dîtes, distraite... »
Baker trouvera la parade à cet état de fait dans son roman suivant, Le point d’orgue.

L’illustration de couverture est la reproduction d’un détail de Parts of body – French vocabulary Lesson III, 1962, de Jasper Johns.

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