Frankenstein : Et autres romans gothiques de William Beckford, Matthew Gregory Lewis, Ann Radcliffe, Mary Shelley, Horace Walpole

Frankenstein : Et autres romans gothiques de William Beckford, Matthew Gregory Lewis, Ann Radcliffe, Mary Shelley, Horace Walpole

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Vince92, le 24 novembre 2015 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 46 ans)
La note : 4 étoiles
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Un recueil très inégal

En 2014 Gallimard éditait cinq romans gothiques dans sa prestigieuse collection de la Bibliothèque de la Pléiade, consacrant ainsi le genre en le faisant figurer à ce qui est souvent considéré comme le Panthéon littéraire en France. Ces cinq romans, réunis dans un seul volume édité sous la direction d’Alain Morvan, grand spécialiste de la littérature anglaise du XVIIIe siècle sont dans l’ordre : Le château d’Otrante (1764) d’Horace Walpole, Vathek (1786) de William Beckford, Le moine (1796) d’Andrew Lewis, L’italien (1797) d’Ann Radcliffe et sans doute le plus célèbre d’entre eux, Frankenstein (1818) de Mary Shelley.
L’édition de ce recueil est réussie : une bonne présentation des ouvrages et du contexte dans lequel ils ont été publiés, des petites biographies qui permettent de comprendre la sociologie des auteurs, leur histoire et un aperçu de leur œuvre. Le choix des œuvres devant figurer dans ce volume reste cependant discutable…
Le château d’Otrante est toujours considéré comme le point de départ du « mouvement » (le gothique n’est pas vraiment un mouvement ni moins encore un genre littéraire, peut-être une mode ou un style). Son auteur, Horace Walpole, aristocrate fortuné, s’amuse à placer l’intrigue dans un contexte moyenâgeux, une architecture (élément toujours très important dans le roman gothique) inquiétante faite de souterrains, de tours et de murailles, une histoire romanesque ou le fantastique le dispute au conte philosophique. La présence de ce roman est selon moi uniquement due au fait qu’il est le point de départ de ce mouvement qui durera selon les informations que l’on peut trouver sur internet jusqu’au XXe siècle. Bien qu’il est parfois difficile de classer une œuvre selon des critères bien établis, on peut cependant en retenir plusieurs… comme le décor inquiétant, le recours aux éléments extraordinaires (tels que la présence des démons ou de personnages légendaires), l’ambiance noire et inquiétante, l’enchâssement de plusieurs récit dans l’histoire principale, etc… c’est donc Le château d’Otrante qui définit les canons du gothique et je pense qu’il était important pour le lecteur d’avoir ce récit comme point de départ. Cependant, la qualité du texte n’est pas vraiment là… les éléments fantastiques sont au mieux grotesques, les personnages caricaturaux, le déroulement de l’histoire, qui ne présente d’ailleurs aucun intérêt est confus et mal construit. On s’ennuie ferme à la lecture de ce roman, et s’il ne constituait pas une pièce remarquable de l’histoire littéraire anglaise voire mondiale de par ses apports narratifs novateurs, le lecteur contemporain ne trouverait pas de grand intérêt à se plonger dans une histoire qui n’avait à l’origine que l’ambition de divertir son auteur, aristocrate à la recherche de nouveaux « hobbies ».
Le second roman, Vathek, une espèce de conte à la manière orientale ne vaut guère mieux. Je ne suis pas friand généralement de la veine orientaliste des écrivains européens. Lorsqu’ils se fourvoient dans ce pétrin c’est souvent pour en émerger avec des histoires passablement ratées, enchaînant les stéréotypes éculés, n’ayant que peu à voir avec les Contes des Mille et une nuits. C’est ainsi le cas de Vathek, conte gothique dans lequel un sultan, ou un émir, je ne sais plus, perd toute mesure et devient despote en son royaume avec l’aide de sa mère qui use de pouvoirs magiques pour permettre à son irresponsable de fils d’étendre son emprise sur son peuple et combler tous ses désirs…. c’est sans compter la présence d’un génie propre à contrecarrer les plans de ce dernier. L’ennui le dispute à la l’envie de passer à la suite… sans doute le plus mauvais choix de la sélection du volume.
Tel n’est pas le cas du moine d’Andrew Lewis, roman étonnant à plus d’un titre et que j’ai eu un réel intérêt à lire. Dans l’Espagne de l’Inquisition, des histoires d’amours entre personnages du même milieu, un moine rendu fou par la lubricité et la logique individualiste. Tourné vers la réalisation de son désir, le Moine oublie soudain ses vœux et sa vocation tournés vers la rigueur spirituelle pour sombrer dans la plus grande déchéance morale …Lewis montre dans ce récit l’étendue de sa virtuosité… le lecteur est complètement happé par le récit confinant à l’horreur : on tremble pour la jeune héroïne et horrifié d’assister au déploiement des artifices de ce moine dévoyé qui ne pense qu’à accomplir ses désirs. Le roman de Lewis est une charge virulente contre le catholicisme romain, l’auteur s’inscrit dans une tradition des écrivains anglais protestants partisans dans la lutte permanente qui s’exerce pour la domination de l’Europe entre les Etats latins et les Anglo-Saxons et dont la religion représente un instrument politique non négligeable. Le Moine est à la mesure de sa réputation, de par sa trame narrative et son style horrifique parfaitement retranscrit par l’excellente traduction donnée dans cette édition.
Ann Radcliffe est une des figures emblématique de ce sous-genre qu’est le gothique. S’étant spécialisé dans cette veine littéraire, Radcliffe donne en 1797 l’Italien qui s’inspire clairement du Moine de Lewis. Là encore, l’auteur en profite pour attaquer le catholicisme au travers de l’institution monacale, repaire d’hommes et de femme dégénérés à force de superstitions autant malsaines que perverses. De fait, une jeune femme ingénue est menacée par un moine qui obéit à une aristocrate dont le fils est sur le point de conclure une mésalliance avec ladite jeune femme. Dès lors, complots et vieilles histoires de familles vont s’égrener tout au long d’un récit maladroit, lourd et ennuyeux. Pour appuyer sa détestation de la religion catholique, l’auteur fait intervenir l’Inquisition dans cette histoire plus que caricaturale dans un final qui se délite à l’infini. Si on ajoute à ce tableau peu amène la bouffonnerie du personnage de Paulo, le fidèle serviteur de Vivaldi, le héros de cette farce, la coupe est pleine… Il semble que ce roman ne soit pas celui d’Ann Radcliffe qui soit le plus connu… peut-être que le lecteur aurait gagné à lire les mystères d’Udolphe à la place de ce récit qui m’a peu inspiré.
Enfin, vient le célébrissime Frankenstein qui, bien que gothique (Alain Morvan, dans une notice inspirée explique pourquoi, malgré les débats parmi les critiques ce roman s’inscrit définitivement dans cette tradition) dépasse largement ce simple genre et constitue vraiment une étape significative du roman fantastique et de la littérature mondiale. Tout d’abord dans les thèmes abordés qui sont à la fois d’une étonnante modernité et d’une complexité enthousiasmante. La question de la manipulation du corps humain est innovante pour l’époque et la place du scientifique dans le Progrès alors au cœur de la société de Mary Shelley. La critique de la science et ses influences sur le développement de l’espèce constitue le cœur de l’intrigue. Bien plus qu’une simple historiette rendement menée, Frankenstein dit beaucoup et fait réfléchir le lecteur sur des notions comme la responsabilité individuelles, la place de la famille dans le développement de chacun, le remplacement du spirituel par un rationalisme scientifique de mauvais aloi. Une lecture stimulante couplée d’une incursion dans l’horreur, marquant une césure avec la tradition gothique qui jusque-là se contentait d’exploiter la terreur (la différence est également très bien expliquée par Alain Morvan dans sa notice de fin d’ouvrage)… une bonne pioche donc mais le mérite est largement atténué par une réputation renouvelée depuis presque deux cents ans maintenant.
Pour conclure, ce volume de la célèbre collection de la Pléiade est assez décevant. Outre les deux chefs-d’œuvre mondialement connus qui sont Frankenstein et le Moine, et qui sont des références de la littérature dite de « genre », les trois autres romans inclus dans ce recueil n’ont pas vraiment emporté mon adhésion, pour tout dire, je ne comprends pas vraiment l’intérêt de publier ces « petits romans » dans une collection aussi prestigieuse que la Bibliothèque de la Pléiade.

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