No man's land de Robert Ruwet

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No man's land de Robert Ruwet

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Théâtre

Critiqué par Catinus, le 15 novembre 2014 (Liège, Inscrit le 28 février 2003, 73 ans)
La note : 9 étoiles
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Deux oubliés sur une frontière

« No man’s land « pièce de théâtre signée Robert Ruwet


« Le décor unique représente un petit poste frontière. Côté cour c’est chez Henri (France ?); côté jardin chez Fernand (Belgique ?). Chacun possède sa petite «maison» : style provençal pour Henri, style ardennais pour Fernand. Les deux barrières sont baissées (perpendiculairement à la rampe de la scène) laissant entre elles un espace étroit : le no man’s land qui coupe la scène en deux parties égales. «

Pour passer le temps – qui est interminable – les deux hommes font la causette. Henri arrose ses Narcisses, Fernand parle de sa femme. Voici plus d’un an qu’ils n’ont plus vu passer une seule voiture. Un jour, Henri constate qu’on lui a coupé l’eau. Un autre jour, Fernand constate que sa radio ne fonctionne plus ; il y a juste un sifflement continu qui sort de l’appareil. Ils se demandent de plus en plus si « on » ne les a pas complètement oubliés …

Extrait :

« FERNAND .- Ma femme, le vent ça la rendait nerveuse. Elle ne supportait pas ça. Je me rappelle... une fois nous étions en vacances à la mer... c’était une pension réservée aux douaniers. C’était pas très bien mais c’était pas très cher. On y a été pendant plus de dix ans.
Toujours la même chambre : on ne voyait pas la mer qui était à plus de trois kilomètres mais on entendait les trains parce que c’était juste à côté de la gare.
Un jour... c’est-à-dire que c’était la nuit, il y a eu une tempête. Ça soufflait ! Mais alors là... ça soufflait ! Ma femme en a fait une crise de nerfs. Si.
N’empêche, ça nous faisait de belles vacances. Parce que, il n’y avait pas du vent tous les jours. Enfin... les bonnes années. Quand le vent tombait et qu’il ne pleuvait pas trop fort on allait marcher sur la plage. Aaaah... On marchait ! On marchait ! Mais pas trop longtemps : ma femme faisait des allergies au sable. Et puis elle souffrait de la thyroïde alors l’iode ne lui convenait pas. Si.
N’empêche, ça nous faisait de belles vacances. Et puis le gros avantage, c’est qu’il avait un golf miniature dans le jardin de la pension. Réservé aux douaniers, hein ! C’était gratuit. Fallait juste laisser cent balles en caution des fois que quelqu’un aurait en chipé une, de balle. Pas facile comme golf. Y avait un trou où on devait escalader une butte. Fortiche ! Même qu’une fois ma femme a ramassé une balle sur le front. Commotion cérébrale. Trois jours d’hosto. Si. N’empêche, ça nous faisait de belles vacances.
Et le vendredi c’était le marché. On y trouvait de tout. De tout ! Comme chez nous. D’ailleurs c’était les mêmes camelots. Mais comme c’était à la mer on achetait un peu plus, question d’avoir quelques souvenirs typiques pour les parents. Il y avait un monde fou. Une fois, ma femme s’est fait voler son sac. Avec tout notre argent. Si. N’empêche, ça nous faisait de belles vacances.
En général on bouffait plutôt mal dans cette pension mais parfois, le dimanche, ils faisaient un effort. C’était toujours : poulet, frites, salade. Paraît que c’est toujours comme ça à la mer le dimanche. Ca : chaque région a ses coutumes. Moi, le poulet, ça va. Dans la douane... Ma femme, elle, elle ne supportait pas le poulet, à cause des petits os : elle trouvait ça dangereux. Oh ils étaient gentils. Je payais un petit supplément et on lui donnait un morceau de cabillaud. Cuit à l’eau. Même qu’un dimanche elle a avalé une arête et qu’elle a failli étouffer. On a été à l’hosto. On avait l’habitude. On nous reconnaissait. Si. N’empêche, ça nous faisait de belles vacances.
Ce qui était chouette, c’était que chaque année on retrouvait les mêmes copains. Et les mêmes emmerdants... Parfois on liait des liens très intimes : à certains on envoyait ses vœux au nouvel an... Et c’est là que ma femme a fait la connaissance de Rémy. Un planqué de l’administration centrale. Un de ces douaniers qui a jamais vu une frontière de tout près. Oh... je ne me fais pas d’illusions : ça devait durer depuis des années. Parce que Rémy était là chaque année en même temps que nous. Depuis dix ans. Fameux hasard non ?
Cette année-là, j’étais allé chez le pharmacien chercher des antibiotiques pour ma femme qui commençait une grippe... qu’elle disait. Quand je suis rentré, je les ai surpris au pieu... J’ai été fixé : elle n’avait pas la grippe. Depuis je suppose qu’elle continue à aller chaque année à la mer avec Rémy.
(Henri revient et reprend la place qu’il occupait)
Moi je suis bloqué ici. Bloqué ! Mais qu’est-ce qu’on peut faire d’autre, hein ? Vous pourriez me le dire, vous collègue ? «

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