Ma belle blessure de Martin Clavet

Ma belle blessure de Martin Clavet

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 14 novembre 2014 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 6 étoiles
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Les Désarrois de l'élève Rastaban

L’intimidation est devenue une plaie dans les écoles du Québec, plaie d’autant plus béante que les réseaux sociaux l’aggravent en dehors du cadre scolaire. Avec son roman, Martin Clavet explore ce filon à travers Rastaban, un garçon de dix ans, qui fréquente une nouvelle école après que son père eut déniché un emploi dans une autre ville.

L’auteur laisse la parole à son héros, qui confine, dans un journal, les faits et gestes de sa journée. De par la langue, il projette son roman dans une dystopie qui pourrait faire penser au film Hunger Games. La fréquentation scolaire serait-elle un moyen de faire tabasser les enfants ? Pour ce monde, pas si imaginaire que cela, Martin Clavet a inventé un langage particulier afin de conférer à son propos la candeur de l’enfance. Les phallusiens (hommes) et les gynées (femmes) envoient leur rejeton à l’académie (école) où ils espèrent qu’il se fera des frënz (amis) et qu’il aimera son magistère (enseignant). Rastaban est très heureux à l’idée de fréquenter une nouvelle école, où il s’attend à se signaler aux yeux de ses pairs pour son habileté au ballon-tueur (ballon-chasseur). Pourtant, tous l’ignorent au moment des récréations. Les élèves le jugent trop féminé (efféminé) pour l’intégrer à leur jeu. Il doit se tourner vers Lysithéa, une grassouillette avec laquelle il se lie d’amitié. Le rejet fragilise l’égo. Mais il y a pire. Rastaban devient le bouc émissaire de Phobos, un élève qui le prend tellement en aversion qu’il le considère comme une tapette (homosexuel), qui ne mérite qu’un traitement digne des gladiateurs des arènes romaines qui offraient leur vie à l’empereur.

La situation est insupportable et s’envenime du fait que le silence règne en maître. La dénonciation assurerait un sauf-conduit pour le cabinet d’un psy. L’alternative n’est pas très réjouissante. De plus, un corollaire accompagne les victimes de l’intimidation : l’insomnie, l’anxiété, le prurit et le développement de tics comme celui de s’épiler les cils. Les adultes ne sont d’aucun secours en telle occasion. Ils ferment les yeux ou ne discernent aucunement la problématique. L’enfant est laissé en somme à lui-même. Se taire devient la seule solution pour protéger son image en dehors du cadre scolaire.

L’expérience du petit héros est intolérable. Le lecteur suivra douloureusement les péripéties de Rastaban. Pour créer une distanciation de cette réalité, l’auteur recourt à l’uchronie en donnant à sa trame un air futuriste. Les vêtements et les coiffures rappellent les œuvres de science-fiction. D’ailleurs, le rejet dont souffre le jeune protagoniste origine de son attention particulière à son apparence physique. La différence dérange. Qu’arrive-t-il à cet enfant ? On ne se sort jamais indemne d’une telle victimisation. Elle démolit pour toujours. Et quand la rancœur s’en mêle, on peut s’attendre au pire.

On peut louanger Martin Clavet d’avoir dénoncé l’intimidation à l’école primaire et d’avoir démontré comment elle s’orchestre. Mais le sensationnalisme caractérise un peu trop cette œuvre au détriment d’une analyse plus approfondie de la thématique. Quand même, l’auteur a mérité le prix Robert-Cliche 2014 que l’on accorde pour un premier roman. Dans ce créneau, Les Désarrois de l’élève Törless de Robert Musil reste encore le parangon à égaler.

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