Les groseilles de novembre : Chronique de quelques détraquements dans la contrée des kratts de Andrus Kivirähk

Les groseilles de novembre : Chronique de quelques détraquements dans la contrée des kratts de Andrus Kivirähk

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Sentinelle, le 16 octobre 2014 (Bruxelles, Inscrite le 6 juillet 2007, 54 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (3 451ème position).
Visites : 10 645 

Chronique de quelques détraquements dans la contrée des kratts

L’Homme qui savait la langue des serpents (Prix de l'Imaginaire 2014 du Roman Etranger), première traduction française de l’auteur estonien Andrus Kivirähk, fut une découverte littéraire majeure de l’année 2013 en ce qui me concerne. Ce roman, qui tenait autant de l’épopée, du mythe que du texte fondateur et testamentaire d’un peuple à une époque très lointaine, tout à la fois ironique, surréaliste, sombre et tragique, m’avait totalement conquise. C’est donc avec curiosité doublée d’une certaine impatience que j’attendais la traduction de ce second roman.

D’emblée, on constate que Les Groseilles de novembre se démarque fortement de L’Homme qui savait la langue des serpents, dans le ton comme dans la forme. Se situant dans un petit village estonien aux allures moyenâgeuses, ce roman est en fait une chronique villageoise étalée sur le mois de novembre, chaque chapitre du livre reprenant chronologiquement les péripéties du jour. Le mois de novembre étant un mois particulièrement pénible sur le plan climatique (il fait froid, humide, pluvieux, neigeux), il symbolise au mieux l’univers de ce village perdu dans les terres estoniennes.

Au travers d’une narration à la structure beaucoup plus éclatée que son prédécesseur, se côtoient une multitude de personnages aussi surprenants les uns que les autres : des démons maraudent dans les bois, des défunts font un bon repas et prennent un bain de vapeur dans une étuve le jour des âmes, le diable (surnommé le Vieux-Païen) fait des affaires, la sorcière prépare des poisons, des tourbillonneurs se déchainent, le pasteur fait la messe, les barons du manoir se font spolier, le granger soigne, un intendant tombe amoureux de la fille du baron allemand et l’idiot du village fait l’idiot.

Mais le plus intriguant de tous est bien le « kratt », une drôle de créature au service de son maître, assemblé de bric et de broc par l’homme, et dont la fonction principale est de voler et de chaparder pour son propriétaire. Seule condition pour l’homme : pactiser avec le diable pour donner une âme au kratt, en versant quelques gouttes de son sang. Mais le diable est parfois bien stupide ou le paysan bien malin, lorsque quelques gouttes de groseilles font aussi bien l’affaire.

L’auteur Andrus Kivirähk donne vie à tous ces personnages fantastiques et imaginaires, en puisant son inspiration dans le folklore et la tradition orale. Il rend également hommage aux croyances, aux idéaux, à l’espièglerie et la débrouillardise d’un peuple de paysans pauvres estoniens provenant d’une des dernières régions païennes d’Europe, puisqu’ils ne furent évangélisés qu’au début du 13e siècle par des chevaliers allemands. Le paysan avait donc une approche assez « utilitaire » du christianisme, puisqu’il croyait autant en Dieu qu’au diable, aux esprits et autres démons, et n’hésitait pas à faire des affaires avec le diable (assez facile à berner) quand son intérêt était en jeu. Son plus grand plaisir étant de duper et de voler les biens des piètres seigneurs du manoir…

Il n’est pas étonnant dans ces conditions que Les Groseilles de novembre soit considéré comme son meilleur roman à ce jour en Estonie. Cette farce, drôle et caustique, n’a pas pour autant la même force que L’Homme qui savait la langue des serpents, certes plus sombre mais bien plus émouvant. Il n’en demeure pas moins intéressant et agréable à lire, en nous faisant voyager dans un folklore estonien païen, en compagnie de paysans chapardeurs des plus sympathiques. Et j’attends donc déjà avec impatience la traduction d’un troisième roman, qui paraîtra l’année prochaine, toujours chez Le Tripode. Et tout aussi différent des deux précédents romans, parait-il. Amis lecteurs, vous voilà prévenus !

Message de la modération : Prix CL 2017 catégorie Romans fantastiques et SF

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Contrée de kratts

10 étoiles

Critique de Shan_Ze (Lyon, Inscrite le 23 juillet 2004, 41 ans) - 29 septembre 2017

C'est donc ça un OLNI (Objet Littéraire Non Identifié) ? Un roman qui vous percute l'esprit d'une façon explosive ? Ça ne ressemble en rien de ce que j'ai lu précédemment mais j'ai vraiment adoré. Ça nous vient d'Estonie, de petites histoires d'automne (de novembre, plus précisément). du premier au dernier jour du mois de novembre, l'auteur nous fait découvrir un petit village de la contrée des kratts. Dans ce village, il y a un manoir où vivent des barons et sa cohorte de personnel et les autres pauvres paysans qui n'ont d'autres moyens pour survivre que de voler leurs voisins (surtout le plus riche). Mais c'est encore mieux si c'est le kratt, créature fabriquée à partir de matériel divers, qui s'occupe des tâches les plus ingrates…
Ce roman ne manque d'humour et d'imagination ! Les différentes légendes urbaines sont passées en revue et Kivirahk présente des personnages haut en couleur comme Sander, le granger ou le couple de vieux qui cherche le bon moyen de faire fortune ou encore celui qui a la bonne idée de tomber amoureux de la fille du manoir… Des histoires qui se croisent et décroisent en avançant doucement dans le mois et gagnent en puissance dans ses scènes du folklore estonien. La roublardise est reine chez ces villageois mais heureusement, car les créatures diaboliques ont du répondant. Attention car les contes n'ont pas toujours une happy end…
Parait-il qu'il y a d'autres romans d'Andrus Kivirahk encore meilleurs ? Génial !! (La couverture de l'édition française est vraiment très belle !)

Pour savoir pourquoi il faut avoir des groseilles en novembre dans un petit village estonien !

9 étoiles

Critique de Ellane92 (Boulogne-Billancourt, Inscrite le 26 avril 2012, 48 ans) - 8 mai 2017

Je ne connais pas grand chose de l'Estonie. J'avais lu Purge de S. Oksanen dans le temps, qui apportait un certain éclairage assez noir il faut dire (formulation quelque peu contradictoire, je vous l'accorde) sur une partie de l'histoire de ce petit pays. Après avoir lu "Les groseilles de novembre", je ne suis pas sûre d'en savoir tellement plus. Et c'est peu de le dire.
Dans cet ouvrage, Andrus Kivirahk nous raconte au jour le jour les évènements d'un petit village estonien dans lequel les lois qui régissent nos vies occidentales françaises sont complètement... comment dire, impropres ?!
Ce que l'on peut dire des Estoniens de ce petit village, c'est déjà qu'ils se positionnent par rapport au manoir et à ses habitants. Soit ils les détestent et les volent, soit ils travaillent pour eux et les volent. L'objectif principal des valets de ferme semble d'être d'en faire le moins possible, tandis que, au vu de la grande pauvreté de chacun, on subsiste grâce aux vols des kratts, créatures créées de bric et de broc et animées par une âme accordée par le Diable, ou le vieux païen comme on l'appelle par là-bas, que l'on paie de 3 gouttes de sang ou de groseille, pour peu que l'on soit prévoyant.

Le ton de Kivirahk est caustique, ses personnages bêtes et veules. Son génie est d'arriver à nous tenir en haleine sur les 30 jours que compte le mois de novembre en nous racontant les histoires de ces petites gens, histoires qui confinent à l'absurde le plus souvent. Mais il y a aussi de jolies envolées un peu lyriques (la passion amoureuse entretenue par les discours du kratt de neige parodie le roman courtois en en conservant la tragédie), mélancoliques (ah... je me suis beaucoup attachée à la sorcière et au granger), des idées très créatives (il faudrait vraiment trouver la formule qui permet de se transformer en loup garou, ou de passer les murs !) et des passages tout simplement géniaux (j'ai adoré l'incarnation de la maladie et sa confrontation avec le village !).
Au final, je ne connais toujours pas grand-chose à l'Estonie. Mais je sais à quoi servent les groseilles en novembre, et j'ai découvert un auteur qui est capable en quelques lignes de nous amener dans un tout autre univers peuplé d'histoires étranges et caustiques. Une belle découverte!

Belle découverte

9 étoiles

Critique de LesieG (CANTARON, Inscrite le 20 avril 2005, 58 ans) - 21 avril 2017

Comme je l'ai dit dans le forum, ce livre est totalement déroutant par son étrangeté mais j'ai beaucoup aimé.
Il y a de l'originalité dans le texte tout autant que dans la façon dont est tourné le roman, un chapitre équivaut à un jour du mois de novembre et donc une histoire. Je l'ai lu un peu comme un conte.
J'ai aussi beaucoup aimé ce mélange de personnages humains, mi humain/mi animal (je fais référence ici aux lycanthropes), démons ou même fabriqués comme les kratts qui vivent finalement tous ensemble.
On se rend compte d'ailleurs que les pires sont finalement les humains, quelle petitesse, toujours à vouloir voler l'autre, à essayer d'arnaquer. Ca en est presque jubilatoire (les passages où ils mangent n'importe quoi, bougies, savons...).
J'ai ressenti aussi beaucoup de tendresse pour le Kratt "bonhomme de neige".

Quoi qu'il en soit, je vois que beaucoup font référence à "l'homme qui savait la langue des serpents", je pense que - dès que j'aurai un moment de lecture libre - je le lirai car j'ai beaucoup apprécié cet auteur assez cynique sur son pays.

les kratts, vous connaissiez, vous ?

7 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 17 avril 2017

Bien sûr que non. Vous ne connaissez pas, et moi non plus, puisqu’on parle là d’une « créature » typiquement estonienne, une créature créée de boue, de paille, de chiffons, de bois et accessoirement de quelques gouttes de sang de son créateur, gouttes de sang payées au Diable en guise de reconnaissance de dette, à charge pour le Diable de donner une âme au Kratt. Et pour quoi faire, me direz-vous ? Oh ! Essentiellement pour aller commettre de menus larcins ou tâches inavouables pour le compte du propriétaire. Bon, on est en Estonie là ! Ca n’arriverait pas chez nous …
Mais comme ils sont malins, nos paysans estoniens, les gouttes de sang ils se débrouillaient pour les remplacer par du jus de groseilles, écrasées au bon moment. Soit dit en passant …
Et des épisodes de ce genre, c’est à jet continu qu’Andrus Kivirähk nous en sert au fil de courts chapitres au rythme nerveux, avec des évènements, des personnages tous plus improbables les uns que les autres. Il est de bon ton de laisser tomber la moralité si l’on veut survivre à cette lecture. Foin de moralité et tout pour la survie, au détriment des autres si besoin !
D’ailleurs Andrus Kivirähk nous met en garde via une note de l’éditeur :

« Pour pleinement goûter les charmes de ce roman, il convient de rappeler que l’Estonie a été l’une des dernières régions païennes d’Europe. Elle n’a été conquise et évangélisée qu’au début du XIIIème siècle, dans le cadre d’une croisade menée par des chevaliers allemands. A partir du Moyen Age, les paysans estoniens sont devenus des serfs au service des grands propriétaires fonciers, les « barons baltes ». Mais, chez Kivirähk, le peuple n’a rien perdu de son espièglerie et de ses croyances. S’alliant parfois avec le diable, cohabitant dans leurs villages avec les esprits et les monstres les plus divers, les paysans façonnent régulièrement des kratts pour satisfaire leurs désirs et duper de piètres seigneurs … »

Et donc les sorcières exercent leurs talents au grand jour, des démons et autres monstres traversent de temps en temps le village et rôdent de toutes façons dans les bois, et les kratts, les kratts qui se dématérialisent, qui peuvent voler, passer les murailles, …
Une drôle de vision de l’Estonie au final. Une vie paysanne misérable mais astucieuse. De l’utilité de conserver des groseilles pour le mois de novembre …

Le manoir , les paysans , les Kratts , la sorcière et le vieux païen

8 étoiles

Critique de Ndeprez (, Inscrit le 22 décembre 2011, 48 ans) - 5 novembre 2014

Tout comme Sentinelle j'avais adoré le moment passé avec "l'Homme qui savait la langue des serpents" , aussi je me réjouissais qu'un autre roman d'Andrus Kivirahk soit traduit par les éditions "le tripode" (ex-Attila).
Bien qu'il soit effectivement très différent j'ai retrouvé dans "les groseilles" tout ce qui m'avait charmé dans le roman précédent , un monde loufoque peuplé de créatures étranges (Le kratt est , à lui seul , une fantastique trouvaille) et d'humains à la morale quelque peu singulière.
Chaque page foisonne de trouvailles frôlant parfois le psychédélisme , jamais ennuyeux "les groseilles de Novembre "est un excellent livre , à l'humour caustique.
J'attends avec impatience la future traduction d'un autre roman de cet auteur.

Un petit bémol seulement : Cette édition est un peu moins luxueuse , moins d'illustrations, papier de moins bonne qualité par rapport à son prédécesseur .

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